L’ordre civil en mer: une nécessité

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Le Greenwich Forum a fait le point sur le sujet au cours d’un séminaire organisé les 22 et 23 juin à Londres. La menace, le cadre juridique international et la coordination européenne ont été abordés. En outre, des opérationnels ont présenté les points de vues, des gardes-côte, de la police et de la Marine Royale.

UNE MENACE RÉCURRENTE

La principale menace reste la piraterie. Ses objectifs vont du vol de biens personnels à la rançon des personnes et au détournement de navires. Les pirates sont mieux armés, plus déterminés et veulent des butins plus gros. C’est ce qu’a déclaré le commandant Pottengal Mukundan, directeur à l’International Maritime Bureau (IMB) qui suit la piraterie dans le monde. En revanche, le nombre d’attaques a diminué: 276 en 2005 contre 325 l’année précédente, 445 en 2003 et 469 en 2000. En outre, 23 navires ont été détournés. Dans ce cas, tout marin qui résiste risque d’être blessé ou même tué. Il n’y a donc eu aucun meurtre signalé mais 12 membres d’équipage sont porté disparus. Parmi les 440 navigants pris en otages l’an dernier, 241 l’ont été en Somalie, 76 en Indonésie et 48 au Nigeria. Il s’agit surtout des officiers qui ne sont libérés qu’après versement de rançons…"qui finissent en grande partie dans les poches de riches hommes d’affaires locaux". Les navires les plus visés sont les pétroliers à pleine charge au franc bord bas et, pour les plus grands, obligés de manœuvrer dans certaines zones réservées. Toutefois, le nombre de détournements de navires pour vols de cargaisons a baissé au cours des deux dernières années. Souvent, les pirates ont été capturés et le navire et sa cargaison récupérés avant qu’ils aient eu le temps de s’en débarrasser. Le pays le plus dangereux est encore l’Indonésie avec 79 attaques en 2005 à cause de ses nombreuses îles, repaires faciles, et la Somalie (35) en raison de l’absence de gouvernement central et d’assistance disponible sur place. Sous la pression internationale, la présence de bâtiments militaires étrangers s’est accrue. Mais ceux-ci hésitent à pénétrer dans les eaux territoriales, où les pirates tentent de faire venir leurs proies par toutes les ruses possibles (faux signaux de détresse par exemple).

Les ports de Chittagong, Djakarta, Tandjunk Priok, Lagos et Balikpapan sont considérés comme "à risques".

Selon le commandant Mukundan, la lutte contre la piraterie passe par les organismes publics chargés de faire respecter la loi: leurs membres sont armés, peuvent arrêter les pirates et les déférer devant les tribunaux. Ensuite, c’est plus délicat, car les victimes hésitent à fournir des preuves par crainte des représailles contre leurs familles. Pourtant, des condamnations ont été prononcées en Chine, en Inde, en Corée du Sud et aux Philippines. Depuis les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis et les discussions du code ISPS au sein de l’OMI, 115 pays ont ratifié la convention sur la sûreté maritime ("Suppression of Unlawfull Acts against the Safety of Maritime Navigation"). De son côté, l’IMB diffuse régulièrement des informations sur la piraterie et cite les États riverains qui n’assument pas leurs obligations.

UN CADRE JURIDIQUE INTERNATIONAL SOUPLE

L’ordre civil en mer repose sur la convention des Nations unies sur le droit de la mer de 1982, ratifiée par 148 États et l’Union européenne.

Ce droit repose sur deux principes: juridiction des États sur tous les navires, quel que soit leur pavillon, dans les eaux adjacentes à leurs côtes; juridiction des États sur tous les navires battant leurs pavillons, où qu’ils se trouvent.

Aujourd’hui, les juridictions des États du pavillon et des États riverains sont de plus en plus façonnés par des accords bilatéraux et multilatéraux et adaptés aux nécessités par des modifications d’interprétation. Tel est l’avis de Vaughan Lowe, professeur de droit international à l’université d’Oxford: "C’est plus désordonné et pragmatique que basé sur des principes, mais ça marche!". Il s’est limité à trois domaines: le trafic illégal de stupéfiants, celui des êtres humains et le terrorisme international. Le trafic illégal de stupéfiants, phénomène mondial et probablement lié au crime organisé international, continue de croître. Les renseignements le concernant intéressent d’abord la police, les douanes et les services de sécurité nationale qui les recoupent avec d’autres sources. Le trafic d’êtres humains est plus ambigu sur le plan juridique, en raison de la convention sur les réfugiés de 1951 ratifiée par 140 États. Enfin, dans le cas du terrorisme international, la prévention l’emporte sur la poursuite judiciaire. Ainsi, des renseignements imprécis peuvent indiquer qu’un conteneur ou un membre de l’équipage du même navire transporte un produit susceptible de déclencher la maladie du charbon (anthrax en anglais).

Souvent, il est difficile pour ceux chargés de la police en mer de savoir dans quel cas ils se trouvent. Le cadre juridique doit donc être assez souple pour s’adapter à des circonstances changeantes et ne peut s’appliquer sans tenir compte des systèmes juridiques nationaux des parties concernées. Sinon, des suspects arrêtés pourraient ne pas être traduits en justice… pour vice de forme! En outre, la coopération internationale devient une nécessité pratique pour des raisons de coût et de distance. Mais de nombreux États manquent des ressources suffisantes (financières, navires, technologie et personnels formés) et beaucoup de navires ne relâchent jamais dans le pays de leur pavillon.

Pourtant, des solutions existent pour pallier ces inconvénients. D’abord, la Container Security Initiative américaine est appliquée par 26 administrations douanières dans 44 ports dans le monde. Ensuite, le code ISPS est aujourd’hui obligatoire dans les 148 États parties à la convention Solas. De plus, les accords bilatéraux ("Proliferation Security Initiative"), initiés par les États-Unis et autorisant la visite et la mise sous séquestre de navires suspects sous préavis de deux heures, couvrent 60 % du tonnage commercial mondial. En outre, un amendement (article 8 bis) à la convention SUA ("Suppression of Unlawful Acts against the Safety of Navigation") permet depuis 2005 de monter à bord d’un navire étranger en vue d’arrêter des personnes soupçonnées de blanchiment d’argent ou de financement de mouvements terroristes.

Enfin, le professeur Lowe propose de suivre avec précision les navires océaniques sur de grandes distances en mer et pendant de longues périodes, grâce à des équipements connectés à un réseau des stations à terre, comme le font les gardes-côte américains depuis les années 1990.

Enfin, "les conditions imposées par les compagnies d’assurances maritimes peuvent avoir une influence importante sur les plans, les équipements et les modes d’opération des navires", explique-t-il.

LES GARDES-CÔTE

Le capitaine de corvette Brad Kieserman des gardes-côte américains a souligné que l’obtention de l’accord des autorités compétentes locales pour intervenir est une question de minutes. La vérification du registre, trop longue, ne devrait plus être une condition de confirmation des indices sur la nationalité du navire suspect à inspecter. Cela rendrait plus efficace l’emploi des rares ressources opérationnelles et réduirait les risques de fuite dans les eaux territoriales d’un autre État ou la destruction de preuves. Par ailleurs, Brad Kieserman a montré deux enregistrements vidéos d’incidents réels. Dans la première, des immigrants clandestins, pris de panique devant l’arrivée des gardes-côte, s’étaient rassemblés de l’autre côté de leur embarcation de fortune pour ne pas être identifiés. Le bateau a coulé en quelques minutes en faisant de nombreuses victimes.

Dans la seconde, des réfugiés cubains, qui avaient détourné un bateau de pêche pour entrer aux États-Unis, frappaient les gardes-côte qui tentaient de monter à bord. Capturés, ils ont été renvoyés à Cuba pour être jugés… dès l’obtention de l’engagement des autorités cubaines qu’ils ne seraient pas exécutés. "De tels incidents arrivent très souvent. C’est ça, la réalité de la mer!"

LA POLICE

La commissaire de police Barbara Wilding (Pays de Galles du Sud) a insisté sur la composante "eau" du terrorisme international. Outre Al-Quaïda, des organisations terroristes existent en Somalie, au Sri Lanka, dans les Territoires palestiniens, en Indonésie et aux Philippines. Les attaques contre le navire de croisières Achille-Lauro (1985), le destroyer Cole (2000), le cargo Nisha (2001), le pétrolier Limbourg (2002) et le vraquier Étoile (2004) se sont produites dans des ports ou des eaux territoriales. Les plates-formes offshore et les voies d’eau à proximité des centres urbains sont aussi vulnérables. En dehors des attaques suicides à bord de bateaux ultra-rapides, les terroristes peuvent utiliser des navires de commerce comme "couverture", comme les trafiquants de drogue et d’armes, ou les mettre à disposition d’autres organisations d’autres pays. La riposte inclut la capacité à réagir vite, l’aide des services spécialisés à terre, les retours d’expériences et le partage de renseignements sur l’environnement maritime.

LA MARINE ROYALE

Le champ d’action de la Marine Royale s’étend de l’estuaire de la Mersey au détroit de Malacca.

Elle n’est pas, en tant que telle, chargée de faire respecter la loi mais peut embarquer des agents à cet effet, a expliqué le contre-amiral David Snelson, responsable de la capacité opérationnelle de la Royal Navy. Le ministère de la Défense n’autorise encore qu’une participation limitée à la sûreté du territoire, mais envisage d’inclure la sûreté maritime dans les missions de la Marine. Le partage d’informations avec la police et le ministère des Transports peut encore s’améliorer. "Certains pays sont en avance sur nous, dont les États-Unis, la France et l’Italie". Enfin, il a rendu hommage à l’efficacité de la fonction de préfet maritime en France, qui cumule des responsabilités civile (action de l’État en mer) et militaire (commandement maritime de zone).

De son côté, le vice-amiral Jeremy Blackham, aujourd’hui consultant en matière de Défense, a mis l’accent sur la technologie, l’interopérabilité et la formation dans la lutte contre le terrorisme maritime. La technologie, dont le niveau croît à un rythme exponentiel, est accessible partout et donne l’initiative à des adversaires potentiels. La surveillance s’est beaucoup améliorée avec les satellites, les drones (aéronefs sans pilote) et les senseurs performants.

L’interopérabilité des équipements nécessite des normes, procédés et protocoles communs pour améliorer la coordination dite "sensible". Enfin, il faut former et entraîner régulièrement les personnels à tous les niveaux, même les plus élevés. "Nous avons besoin d’un dialogue constant et considérable entre toutes les parties prenantes si nous voulons réaliser un système international efficace (de lutte)", conclut l’amiral Blackham.

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