La fédération française du négoce en gros de pommes de terres et légumes (Fedepom) a tenu son congrès à la CCI de Boulogne-sur-Mer le 16 juin dernier. Un choix géographique hautement symbolique. C’est sur ce port que les négociants ont jeté leur dévolu pour créer une filière nordiste de grande exportation de pommes de terre d’abord, et d’autres produits ensuite. Ils ont trouvé à Boulogne une oreille attentive, plus qu’à Dunkerque, leur choix initial. En effet, la disparition du producteur de ferro-alliage Comilog, premier client du port de commerce boulonnais, et le démantèlement de cette usine, a conduit le port de Boulogne à accélérer la mise en place d’un plan de conversion. En lieu et place de l’usine disparue, doit naître une zone ro-ro de 3 à 4 ha dotée de deux rampes polyvalentes, et les équipements logistiques nécessaires à l’arrière. Le port est déjà relié en direct à l’autoroute A16. Le faisceau de voies ferrées qui desservait Comilog reste en place. Le projet BGV, qui, espère-t-on, associe BGV International, NorFerries et un réseau de ports, place Boulogne au centre d’un système logistique du frais entre la Norvège, l’Espagne, et le Royaume-Uni. Pourquoi pas Saint-Pétersbourg?
Fedepom placerait bien la production de pommes de terre et d’oignon du Nord-Pas-de-Calais et de Picardie, qui vise le marché russe à côté du poisson et des primeurs espagnols. Pour le moment, les pommes de terre nordistes et picardes – de loin les premières régions productrices françaises – sont remises au négoce néerlandais et embarquées à Flessingue ou Rotterdam.
"Nous ne nous faisons pas d’illusion sur le sort de nos marchandises", observe Francisco Moya, directeur de Negonor et vice-président de Fedepom, chargé de la logistique. "Nous ne sommes pas prioritaires. C’est pourquoi nous souhaitons créer notre propre filière maritime à la grande exportation. Pendant très longtemps, notre négoce s’est contenté d’exporter par la route vers les proches voisins de l’Europe communautaire. Entre-temps, le négoce et la logistique néerlandais se sont emparés du marché. Le port de Flessingue est remarquablement équipé, simple et efficace. Aujourd’hui, nous estimons la grande exportation vitale pour notre avenir. C’est pourquoi il est indispensable de recréer une filière maritime en France, sur des bases très professionnelles."
ESSAIS DIFFICILES
La réflexion a débuté avec les années 2000. La France est le second producteur européen de pommes de terre, derrière l’Allemagne et avant la Grande-Bretagne, avec une production qui tourne autour de 4,5 Mt. Les deux tiers de la production sont concentrés en région Nord-Picardie. La France est surtout de loin le premier exportateur de pommes de terre de conservation, avec 1,2 Mt environ. L’Espagne absorbe près de la moitié de ces ventes. La consommation mondiale change. De la vulgaire patate, on passe à des espèces très variées aux usages différents. La France, avec une production diversifiée et de qualité, vise la qualité et les marchés rémunérateurs, que ce soit dans l’hexagone ou à l’extérieur. La Russie est un énorme producteur, mais connaît des aléas climatiques, et sa nouvelle bourgeoisie veut, elle aussi, goûter la pomme de terre fine. La profession pense aussi à l’Afrique, au Moyen-Orient et, à terme, à l’Asie.
C’est pourquoi en février 2003, le BBC-Norway est à quai au F11 de Dunkerque pour embarquer pas moins de 10 000 t de marchandises pour Saint-Pétersbourg. Les palettes sont chargées difficilement, par un temps épouvantable, par des équipes inexpérimentées, dans une cale non climatisée. L’escale est longue. À l’arrivée à Saint-Pétersbourg, il fait un hiver redoutable. Les Russes ne sont pas mieux à même de décharger. Une partie du fret est perdue.
PROFESSIONNALISME DEMANDÉ
Les négociants nordistes ne s’avouent pas vaincus mais Dunkerque traîne les pieds pour créer une vraie structure concurrentielle de Flessingue. Pas d’opérateur portuaire spécialisé dans le conventionnel réfrigéré, un port Est qui manque de quais et entrepôts adaptables au froid, trop de risques… Aussi, quand un an plus tard, une plaie sanitaire frappe les Pays-Bas leur interdisant d’exporter vers la Russie, les français saisissent leur chance, mais via Boulogne. Avec le concours de Boulogne Forest Terminal (BFT), et d’un armateur russe, ils lancent dans l’urgence une ligne quasi régulière de Boulogne à Saint-Pétersbourg. Pendant la saison, de novembre 2004 à mars 2005, un caboteur charge régulièrement au quai de l’Europe. Mais l’expérience tourne court. Aucune escale n’a eu lieu cette saison. Francisco Moya note que si les escales ont été assez régulières, les chargements et le transport ont parfois été hasardeux, des non-qualités ont été notées par le réceptionnaire. La machine repart à Flessingue.
Il s’agit à présent, partant de rien, et instruit par l’expérience, de monter une filière logistique réellement professionnelle, assise sur un volumineux et diversifié marché du frais à Boulogne. "Car les Russes à Flessingue ne trouvent pas seulement de la pomme de terre. Ils font leur marché", note Francisco Moya. Tomates, fruits, fleurs… Des entrepôts de cross-docking ultrarapide et réfrigérés, à chambres diversifiées et spécialisées, recevant d’un côté les poids lourds, pour charger de l’autre des rouliers à grande vitesse, des professionnels formés autour du concept, voilà le rêve hollandais qu’entretient Fedepom à Boulogne. Sea-Invest, l’un des deux actionnaires de BFT, n’est-il pas le grand spécialiste des fruits à Anvers et Zeebrugge, et l’actionnaire de Léon Vincent en France?
Le tableau ci-dessus montre les résultats des dernières campagnes de août à février. Ils ne sont donc pas complets, mais montrent clairement les tendances.
La production de pommes de terre de conservation devrait baisser en France dans l’avenir de 1,3 % à 1,8 %, estime Fedepom. En Europe, la plupart des pays annoncent également une baisse de production.
La consommation nationale (et européenne) continue de baisser. Cela s’explique par la concurrence des autres produits (riz, pâtes, etc.), par l’évolution vers les petits conditionnements, etc. Plusieurs leviers de croissance sont à l’étude notamment celui de l’accroissement de la qualité et la segmentation culinaire.
La France demeure de loin le premier exportateur avec une très bonne campagne 2005-2006. Près de 500 000 t ont été exportées vers l’Espagne et 200 000 t vers le Portugal. Les chiffres donnés par la Douane vers la Russie sont décevants cette année mais la plupart de nos pommes de terre partent vers cette destination en empruntant la logistique belge et néerlandaise. Ces exportations sont donc reprises sous la rubrique Belgique et Pays-Bas.