Le dernier épisode de ce bouleversement, sans précédent depuis la réforme portuaire de 1998, s’est joué en mai dernier, après que le premier opérateur portuaire du pays, Patrick Corp se décide enfin à céder aux avances musclées de Toll Holdings, premier logisticien australien. Quelques mois seulement après le rachat de P&O Ports par DP World.
Des deux dossiers, c’est le bras de fer entre Toll et Patrick Corp qui a le plus tenu en haleine les quais australiens. Entre les tentatives avortées et les effets de manche d’acheteurs déclarés ou potentiels, la saga aura duré plus de neuf mois. Paul Little, le patron de Toll, a fini par signer un chèque de 3,6 Md€ pour rallier les actionnaires de Patrick à sa cause. "La plus grosse opération financière jamais réalisée dans le secteur", selon Peter Scanlon, l’un des anciens dirigeants de la compagnie vendue donc au prix fort. Une pluie de dollars qui a fait sourire dans le milieu, mais qui permet aujourd’hui à Toll Holdings de s’emparer du dernier maillon qui manquait encore à sa chaîne de transports en Australie.
Avec cette acquisition, la société, déjà présente depuis 1998 sur les quais de vracs australiens, entre en effet en force sur les terminaux à conteneurs des ports de Sydney, Melbourne, Fremantle et Brisbane où Patrick Corp a traité près de 2,5 MEVP en 2005. Avec une croissance annuelle de trafic estimée à près de 10 % durant les cinq prochaines années, Toll pourrait rapidement rentabiliser son opération. Surtout qu’en mai dernier, l’opérateur australien s’emparait de la branche logistique du singapourien Semblog et de ses entrepôts installés dans une bonne dizaine de pays asiatiques, dont la Chine, la Corée et le Japon qui comptent parmi les principaux importateurs de biens sur le marché australien.
UN RACHAT SOUS CONDITION
La toile semble donc être tissée, selon la logique rappelée encore en juin dernier par Paul Little, "faire de Toll Holding, la première société de transports intégrés d’Asie-Pacifique".
L’absorption en cours de Patrick Corp lui permet déjà de faire son entrée dans le cercle restreint des grandes compagnies australiennes, tous secteurs confondus. Son chiffre d’affaires devrait s’élever à plus de 5 Md€ fin 2006, contre moins de 2 milliards l’année passée.
Reste encore pour Toll à se mettre en conformité avec la loi fédérale antitrust. Pour arracher en avril dernier, l’autorisation de la commission de la concurrence, Paul Little s’est en effet engagé à se séparer de quelques "bijoux de famille". C’est le cas de la compagnie de fret ferroviaire Pacific National, détenue à 50 % par Toll et Patrick avant leur fusion et en situation de monopole dans plusieurs états de la fédération australienne. Les activités de Patrick Corp en Tasmanie doivent également être cédées dans les plus brefs délais. Au final, ces ventes d’actifs pourraient rapporter plus d’un demi-milliard d’euros à Toll Holdings.
L’émotion a été moins grande en Australie concernant la reprise des activités portuaires de P&O par Dubai Port World. Bien sûr la disparition de la légendaire Peninsular & Oriental Steam Company a provoqué des regrets chez certains nostalgiques de l’empire britannique, mais pas sur les terminaux. "Ce rachat fait partie des logiques de concentrations observées ces dernières années dans le maritime"? a déclaré Llew Russel, directeur de l’Organisation maritime d’Australie, dès la confirmation de l’opération en mars dernier. Pas de polémique à l’américaine donc. Le secteur a déjà pu apprécier le savoir-faire du troisième manutentionnaire mondial, présent sur les quais d’Adélaide depuis janvier 2005 lors du rachat par DP World de l’américain CSX World Terminal. Pour les observateurs, l’arrivée de la société émiratie pourrait même redonner une nouvelle jeunesse à certains des terminaux anciennement gérés par P&O. En annonçant sa volonté d’investir une cinquantaine de millions d’euros sur ses installations australiennes dans les prochaines années, les dirigeants de DP World ont déjà rempli d’aise les différentes directions portuaires concernées.
Au final, l’organisation des principaux terminaux à conteneur du pays ne devrait pas être modifiée par ces arrivées de poids. Les opérateurs changent, mais le duopole de la manutention australienne reste en place. Seuls les syndicats se montrent aujourd’hui prudents. Plus de 3 000 dockers viennent de changer d’employeurs et les accords de la manutention signés pour 10 ans devront être renégociés en 2008.
"C’est là que l’on saura à qui on a à faire", s’inquiète Paddy Crumlin, le secrétaire général du MUA (Maritime union of Australia).