Ce projet et ses conséquences économiques et stratégiques ont été présentés au cours d’un colloque organisé à la Société de géographie à Paris le 15 juin, avec la participation du Premier vice-président et ministre des Affaires étrangères de Panama, Samuel Lewis Navarro, et l’administrateur de l’Autorité du canal de Panama (ACP), Alberto Aleman Zubieta.
Le colloque s’est tenu dans le même amphithéâtre où, du 15 au 29 mai 1879, s’est déroulé le congrès international qui a décidé le percement du canal de Panama. Ferdinand de Lesseps, fort du succès du canal de Suez inauguré dix ans plus tôt, est en effet parvenu à intéresser suffisamment de monde au projet pour le commencer.
Interrompus à la suite d’un scandale financier et de difficultés techniques en 1898, les travaux seront repris entre 1904 et 1914 par les États-Unis. Ceux-ci firent de la zone du canal "une enclave territoriale sans se soucier de son avenir, alors que l’administration panaméenne entend conserver l’environnement du bassin hydrographique", a indiqué Alberto Aleman Zubieta.
LE PROJET
Selon l’ACP, le projet d’élargissement a pour objectifs d’augmenter la capacité du canal, de maintenir sa compétitivité et d’accroître ses ressources financières. Il se décompose ainsi:
• une voie additionnelle séparée par deux jeux d’écluses de trois niveaux, affecté chacun d’un bassin permettant de réutiliser 60 % de l’eau douce nécessaire à chaque transit;
• des voies d’accès aux nouvelles écluses avec élargissement et approfondissement de l’actuel chenal de navigation;
• l’augmentation du niveau maximal d’utilisation du lac Gatun.
Le premier jeu d’écluses sera construit sur la côte Pacifique, au sud-ouest de l’actuelle écluse de Miraflores, et le second à l’est de l’actuelle écluse de Gatun sur la côte Atlantique. Une nouvelle voie de chaque côté permettra le transit de navires d’une largeur de 49 m, d’une largeur de 366 m, d’un tirant d’eau de 15 m, de 170 000 tpl et de 12 000 tjb. Chaque nouvelle chambre d’écluse aura une longueur de 427 m, une largeur de 55 m et une profondeur de 18,3 m. Il y aura 9 bassins dans chaque jeu d’écluses, soit en tout 18 bassins de 70 m de long et 5,5 m de profondeur pour réutiliser l’eau. Il sera ainsi possible d’éviter de construire des barrages qui auraient inondé des terres dont la population aurait due être relogée ailleurs. Le financement externe des travaux (hors péages) sera transitoire pendant les périodes de pointe des travaux. Le financement total pourra être réglé en huit ans et l’investissement devrait être amorti en moins de dix ans, avec un rendement de 12 % et compte tenu de l’inflation. Enfin, les travaux d’élargissement n’interrompront pas le fonctionnement du canal.
ENJEUX ÉCONOMIQUES…
Le projet devrait créer de 35 000 à 40 000 emplois, dont 7 000 liés directement aux travaux d’élargissement.
En outre, l’accès des navires plus grands permettra d’augmenter les recettes car les péages sont calculés en fonction du tonnage. Aujourd’hui, environ 4 % du commerce mondial transite par le canal. Cela représente environ 300 Mt/an, à savoir conteneurs, céréales, acier et produits dérivés, charbon, produits pétroliers et chimiques, véhicules, phosphates et fertilisants. Les États-Unis sont le premier usager devant la Chine, le Japon, le Chili, la Corée du Sud, le Pérou, le Canada, l’Équateur, la Colombie et le Mexique. En ce qui concerne les porte-conteneurs, leur taille autorisée passera de 4 500 EVP aujourd’hui à 9 500 EVP en 2015.
Édouard Berlet, vice-président de CMA CGM, a Or, les navires de 10 000 EVP peuvent franchir le canal de Suez, a indiqué . Actuellement, cet armement, le troisième du monde, fait transiter 10 000 EVP par semaine dans chaque sens. Ses navires effectuent 160 passages par an. Le passage d’un "panamax" coûte aujourd’hui 150 000 $, soit une augmentation de 30 % depuis 2000 contre une certaine stabilité du temps de l’administration américaine, a constaté Édouard Berlet, qui a ajouté qu’une centaine de navires est en permanence en attente de passage. Pour garantir le transit des conteneurs qui constituent quand même 25 % des recettes du canal, dit-il, les armements réservent des espaces sur les "panamax". De son côté, l’ACP a procédé à des simulations faisant état de croissances annuelles de 7 à 8 % de ce trafic et de 3 % du trafic général, qui devrait atteindre 508 Mt en 2025.
Enfin André Vigarié, professeur émérite de l’université de Nantes, estime le financement des travaux d’élargissement supérieur à celui du tunnel sous la Manche.
… ET STRATÉGIQUES
Aujourd’hui selon l’ACP, 16 % du commerce américain passe par le canal de Panama, dont 68 % du trafic a pour origine ou destination les États-Unis.
Le canal est donc indispensable aux États-Unis et… réciproquement à cause des péages, souligne André Vigarié. Dans le domaine géopolitique, l’ombre des États-Unis est permanente et leur interventionnisme occulte est renforcé par la lutte antiterroriste. Le contrôle des conteneurs à destination des États-Unis (Container Security Initiative) leur permet de connaître des cheminements commerciaux favorables à leur économie et constitue un risque commercial pour l’ACP. "Les ports sont la première frontière, dit-il, le canal fait-il partie des frontières américaines?"
Il rappelle que le traité bilatéral de 1977 confie la sécurité du canal aux États-Unis et garantit la priorité de passage de ses bâtiments militaires en toutes circonstances. Par ailleurs, l’extension de la capacité du canal profitera surtout à la conteneurisation et donc… à la Chine et affectera en conséquence ses rapports avec les États-Unis. Enfin, le Japon et les pays du Sud-Est asiatique sont aussi d’importants usagers du canal pour la même raison.
De son côté le contre-amiral François Bellec, ancien président de l’Académie de Marine, insiste: "On ne peut gérer les flux commerciaux sans le canal. Alors, peut-on gérer la paix du monde sans le canal?" Pour les États-Unis, le canal permet de faire passer leurs forces d’un océan à l’autre et, jusqu’au 31 décembre 1999, était placé sous la responsabilité du ministère de la Défense. Aujourd’hui pour limiter les crises dans le monde, précise François Bellec, ils pré-positionnent leurs flottes en Atlantique, dans le Pacifique Ouest, l’océan Indien et en Méditerranée. Leurs porte-avions de 300 m de long et de 40 m de large ne peuvent franchir le canal de Panama. "Mais pour tenir le monde, il faut passer par le canal. Leurs porte-avions pourront à nouveau le franchir après l’élargissement. Le canal est un outil d’interopérabilité à prendre en compte".
Au cours de la conférence de presse qui a suivi le colloque, le ministre panaméen des Affaires étrangères, Samuel Lewis Navarro, interrogé sur la sécurité du canal dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, a répondu: "La sécurité du canal relève du Panama, qui est tenu à la neutralité par traité. Le canal doit rester ouvert à tous les pays."
Le canal en chiffres
Longueur: 80 km, passe Gaillard incluse.
Écluses: 40 portes à double ventail; largeur, 33,53 m; longueur, 304,8 m.
Dimensions maximales des navires: largeur, 32,2 m; longueur, 294,3 m; tirant d’eau, 12 m en eau douce tropicale.
Fonctionnement: trois jeux d’écluses (Gatun, Pedro Miguel et Miraflores) avec deux voies d’eau chacun. Les écluses, dont chaque chambre se remplit d’eau douce en 8 minutes, élèvent les navires à 26 m au-dessus du niveau de la mer depuis l’océan Atlantique ou Pacifique jusqu’au lac Gatun.
Durée moyenne de transit: 8 à 10 heures.
Délai d’attente: 24,58 heures au cours de l’année fiscale 2005.
Transits: 14 011 navires pendant l’année fiscale 2005 et 922 000 navires depuis l’inauguration le 15 août 1914.
Source: ACP