L’État-major de la Marine a beau clamer que c’est bien "en construisant des ponts entre les différents acteurs du monde maritime que nous rendrons les espaces océaniques plus sûrs et non en les détruisant", il n’échappe à personne qu’elle entend bien garder la main sur le concept de sauvegarde maritime dont on parle de plus en plus. Qu’y a-t-il de commun par exemple entre l’affrètement de remorqueurs civils de haute mer, de supply-ships anti-dépollution également civils, de mise en œuvre de canots et vedettes de sauvetage de la SNSM? La Marine bien sûr, via des préfets maritimes portant la double casquette de militaires et de responsables de l’Action de l’État en Mer (AEM). "La tendance générale est dans la confusion entre les missions des forces armées et les missions de police", note Hervé Coutau-Bégarie, juriste, historien et spécialiste de stratégie maritime. "Depuis la chute du mur de Berlin il y a de moins en moins de bâtiments de guerre (1) et les Marines ont donc de plus en plus de mal à justifier leur existence. À quoi peuvent par exemple servir aujourd’hui les avions Atlantique 2 conçus pour traquer les sous-marins soviétiques?"
Visiblement consciente de cet état de fait, la Marine a donc repris des missions dites de service public dont le taux n’a cessé de grimper pour attendre aujourd’hui 25 % de ses activités. Elle a également réussi à conserver la haute main sur l’AEM en fédérant sous sa coupe d’autres administrations telles que les composantes maritimes des Douanes, des Affaires maritimes ou de la Gendarmerie maritime. "La mer est à nous!", rétorquait il y a quelques années un amiral à un commandant de l’Afcan qui prônait la mise sur pieds de garde-côtes.
SÉCURITÉ, SÛRETÉ ET DÉFENSE
Et aujourd’hui, la constante augmentation du besoin de sûreté et de sécurité dans les espaces maritimes a engendré le concept plus global de sauvegarde maritime dont la Marine a la haute main si l’on en croit le capitaine de vaisseau Olivier Bodhuin, membre de son État-major: "La sauvegarde maritime est avant tout un concept militaire qui prône la coopération et la coordination. La Marine souhaite agir en étroite collaboration avec les différents ministères et les autres armées et en coopération internationale." Mais tout en restant la patronne…
Ceci dit, cette notion de sauvegarde maritime puise ses sources dans un nouveau contexte mondial. Ainsi, la croissance du trafic maritime et sa densité à proximité des côtes ont fait naître des risques aux conséquences environnementales inacceptables. Ensuite, l’augmentation de l’activité dans les approches de l’Europe s’est doublée d’une criminalisation croissante de certains commerces, dont certains servent de soutien à des réseaux mafieux ou terroristes (immigration illégale, trafic de drogue…). Au paroxysme de cette nouvelle criminalité, le terrorisme est devenu la menace de référence, avec la vulnérabilité du domaine maritime en général et du trafic maritime en particulier.
"La mer, espace totalement libre où régnait la loi du pavillon, est devenue, par le biais des conventions internationales, un espace de plus en plus réglementé où les États côtiers ont un rôle nouveau à jouer", résume Olivier Bodhuin. Cette évolution impose une présence renforcée des États riverains pour le secours en mer, le maintien de l’ordre public, la prévention et la maîtrise des évènements de mer. Un rôle qui va comme un gant à la Marine.
(1) La Marine a moitié moins de navires qu’en 1970.