L’originalité de l’organisation française repose sur la conduite de l’Action de l’État en Mer (AEM) confiée, sous l’autorité du Premier ministre, au préfet maritime qui dispose d’un pouvoir de coordination de l’ensemble des administrations concernées. Autorité civile, il cumule ses fonctions avec celles de commandant de zone maritime, autorité militaire, disposant de moyens militaires navals et aériens importants. Un système qui a peu d’équivalents dans le monde (au Danemark depuis longtemps, en Australie et aux Pays-Bas récemment).
Ce concept français d’AEM est basé sur un ensemble non pas intégré mais coordonné de l’ensemble des moyens dont dispose l’État. Fruit d’un choix délibéré de ne pas créer un corps spécifique de garde-côtes, il a été validé par le Président de la République, Jacques Chirac, lors de sa visite à Brest le 17 février 2004. Une réponse claire et nette à ceux qui ne cessaient de mettre en exergue, à chaque accident maritime, le principe américain des US Coast-Guards, seuls susceptibles à leurs yeux de déployer une véritable efficacité face à un risque réel. Lors de l’assemblée générale annuelle de la Fédération internationale des associations de capitaines de navires (IFSMA) qui s’est tenue en Finlande l’été dernier, le secrétaire général, le commandant britannique Rodger Mc Donald, a même préconisé Brest comme port d’implantation du quartier général de cette éventuelle future garde-côtes européenne, véritable bras armé de l’Agence européenne de sécurité maritime (JMM 30-9-2005, p. 11). À tous ces opposants au mode de fonctionnement du système français, l’État répond en substance: "Pourquoi créer ce que nous avons déjà?" D’autres, plus prosaïques, sortent leurs calculettes. "Avec un champ d’activité plus restreint que celui des préfets maritimes, les US Coast-Guards totalisent 75 000 hommes, 250 navires et 210 avions et hélicoptères", rappelle le vice-amiral Édouard Guilbaud. "Ramené à la proportion de côtes européennes, ça voudrait dire 150 000 hommes, 500 navires et 450 avions et hélicos." Avec 50 Md€ d’euros d’investissement en navires et 5 milliards en budget de fonctionnement annuel. "Où les trouver? Telle est la question…"
SURPRISE AMÉRICAINE
Si le concept français de l’AEM ne fait pas que des heureux, il fait pourtant des envieux à l’étranger. Plusieurs pays sont déjà venus voir sur place comment il fonctionnait. Fin avril 2006, une délégation islandaise était reçue à Brest par Laurent Mérer, préfet maritime de l’Atlantique. Dépourvus d’armée, les Islandais se préparent à faire face à l’éventuel retrait des Américains de leur base militaire de Keflavik et craignent surtout les éléments naturels. "Leur intérêt a surtout porté sur la sauvegarde humaine, la pollution et les accidents maritimes", explique Philippe du Couëdic, adjoint-AEM à Brest.
Quelques jours auparavant, le même préfet maritime était convié aux États-Unis pour donner son point de vue de praticien sur l’AEM à la française. "Depuis les attentats du 11 septembre 2001, les Américains se sont en effet rendu compte que leur défense était globale", explique-t-il.
"Schématiquement, ils ont la US Navy qui fait du militaire et les Coast-Guards qui font du civil. Mais ils sont intéressés par le fonctionnement d’un concept qui a depuis longtemps placé quelqu’un coordonnant les deux facettes." D’où la rencontre du préfet maritime avec Peter Rothman, un des adjoints du ministre de la Défense Donald Rumsfeld, et l’amiral Morgan, le "penseur" et planificateur de la US Navy. "Comme ils ont récemment créé chez eux le concept de Maritime Domaine Awareness (sauvegarde maritime), ils voulaient l’avis de quelqu’un pratiquant ce genre de missions afin d’imaginer des actions inter-agences bien coordonnées." Et ce mois-ci, c’est le préfet maritime de Manche-mer du Nord, le vice-amiral Édouard Guilbaud, qui va traverser l’Atlantique pour rencontrer à nouveau ces Américains qui s’intéressent tant au modèle français.