Pour préparer le colloque, les associations d’élèves des quatre écoles de la marine marchande ont planché sur des questions très pratiques, que ce soit sur le RIF, la fiscalité, l’avenir des navigants français ou bien sur la pérennité des filières professionnelles. Pour exemple, cette question qui émane de l’association des élèves officiers de Sainte-Adresse: "Comment assurer la formation des officiers s’il y a de moins en moins de Français par navire, sachant qu’il faut passer par tous les postes d’officier avant de devenir commandant ou chef mécanicien?"
Le grand débat a réuni des armateurs, des juristes, des hauts fonctionnaires qui tour à tour ont présenté les perspectives nouvelles qu’offre ce registre.
Michel Aymeric, le directeur des Affaires maritimes a rappelé, au nom du ministre des Transports Dominique Perben, les principaux enjeux du texte et ses conséquences sur l’emploi et la formation. Pour le député Jean-Yves Besselat, rapporteur au budget de la mer à l’Assemblée nationale, les objectifs sont clairs:
"Avec une croissance du trafic maritime mondial de l’ordre de 10 % par an, la France doit saisir sa chance. C’est l’esprit de cette loi. Nous avons l’ambition de pavillonner soixante dix navires supplémentaires sous RIF d’ici à trois ans…" La marine marchande française qui se situe au 29e rang mondial avec 212 navires devrait pouvoir bénéficier selon le parlementaire de ce nouvel élan. Le député avance le chiffre de 700 emplois dont 500 postes d’officiers créés sur la même période.
Philippe Illionet, sous-directeur des gens de mer et de l’enseignement maritime et Marc Jacquet, sous-directeur des transports maritimes et fluviaux, ont rappelé les statistiques de l’emploi et de la flotte de commerce sous pavillon TAAF. Le guichet unique de Marseille qui sert à immatriculer les navires au RIF est opérationnel depuis le 11 février 2006.
Aujourd’hui, six navires ont déjà été immatriculés et quatre le seront d’ici à la fin avril. Vingt-quatre demandes sont en cours d’instruction. "CMA CGM a actuellement 55 navires en commande. De 20 à 25 pourraient passer sous RIF", a indiqué le député havrais.
LE RIF N’EST PAS UN REGISTRE AU RABAIS
Pour rassurer certains étudiants, Michel Aymeric et Jean-Yves Besselat l’ont répété: le RIF n’est pas un registre au rabais. Ils ont rappelé avec force que le texte qui impose 35 % de marins communautaires pour les armateurs bénéficiant du GIE fiscal et 25 % pour ceux qui n’en bénéficieraient pas, respecte les règles en matières de formation, de conditions de travail et de sécurité maritime. Un propos réaffirmé lors de l’intervention de Françoise Odier, présidente honoraire de l’Association française du droit maritime.
"Nous connaissons une véritable pénurie d’officiers. La France mais aussi d’autres pays dans le monde sont touchés. Il existe donc de bonnes perspectives pour les navigants," a souligné Philippe Illionet. Au cours du séminaire, les représentants des différentes associations de la marine marchande ainsi que certains étudiants se sont indignés de l’attitude de l’ITF (Fédération Internationale des Ouvriers du Transport), qui, à la demande de deux syndicats, a classé le RIF comme registre de complaisance.
Les étudiants ont particulièrement été attentifs aux propos sur la défiscalisation des revenus des marins naviguant sous RIF. Une disposition qui s’applique pour le personnel domicilié en France et ayant travaillé 183 jours par an, une période qui inclut les jours de repos hebdomadaires, les jours de congés payés et les périodes de congés pour accident du travail. "Le mode de calcul et les prestations de l’ENIM seront également assurés pour les marins naviguant sous RIF", a assuré Jean-Yves Besselat sur le dossier de la protection sociale. Les élèves officiers des différentes écoles de la marine marchande ont également été attentifs aux discours des armateurs présents et au propos du directeur d’Armateurs de France, Guy Sulpice. Le représentant du groupe Bourbon avance ainsi que l’entreprise devrait embaucher 400 navigants d’ici 2010 dont plus de deux tiers d’officiers. Bourbon a également un programme de construction de 250 navires. "Où en est le dossier du GIE fiscal?" demande un étudiant. Sur cette question cruciale, Jean-Yves Besselat a assuré que les pouvoirs publics feront prochainement pression auprès des instances européennes. Une réponse définitive devrait être donnée à la fin juin.
Contenu de la 5e année, avenir de la monovalence, voire de la polyvalence, des écoles… Le RIF n’est pas l’oméga
Un élève de 5e année demanda à quoi servait exactement cette année, si ce n’est à perdre du temps et accessoirement de l’argent. Aimant la mécanique, ce garçon était peu satisfait des 4 h 30 qui étaient, par exemple consacrées à la machine. L’inspecteur général de l’enseignement maritime, Dominique Laurent, lui répondit qu’effectivement il y avait des “insuffisances” dans cette 5e année. Une réflexion était en cours à ce sujet afin de renforcer la professionnalisation de l’enseignement, par exemple en connaissances de l’entreprise.
En effet, à la fin de mars 2005, Dominique Laurent devait remettre un audit sur les Écoles (nationales) de Marine marchande et la formation d’officiers. Ce rapport s’est “ensablé” répondait le député Jean-Yves Besselat. Contenait-il des “obscénités” comme par exemple la nécessité d’arrêter de fantasmer sur la survie durable de quatre écoles de marine marchande pour former quelque 160 officiers de 1re classe par an. Combien coûte cette organisation et à qui? “C’est un problème urgent qui doit être abordé de façon lucide”, estimait Jean-Yves Besselat.
Autre problème récurrent: la connaissance pratique de l’anglais. Dominique Laurent devait préciser que la difficulté concerne principalement les élèves-officiers issus de la filière “promotion sociale”; celle qui forme des monovalents qui sont moins “volatiles” que les C1. Ils connaissent tous le module “anglais” tel que défini dans STCW 95 mais il ne faudrait pas aller au delà.
Venant de Nantes, un autre élève demanda quel était l’avenir professionnel des brevets monovalents: plutôt bon, lui répondait le commandant Jacques Moizan, directeur général d’Euronav. Notons qu’il fut l’un des rares représentants de compagnie, qui osa prendre la parole, Thierry Buzulier, capitaine d’armement de Bourbon, étant hors concours car habitués des amphithéâtres.
Si la polyvalence permet de disposer d’un officier qui connaît bien tous les aspects du navire, pont et machine, l’expérience d’Euronav montre que le jeune officier se spécialise rapidement par la force des choses et devient monovalent, ajoutait Jacques Moizan.
Ex-Delmas, devenu récemment directeur de l’armement CMA CGM, Pierre Lavoix aborda le problème sous un autre angle: la compagnie “marseillaise” est attachée à la polyvalence et à la promotion en “zigzag” pont-machine mais l’environnement international et national évolue dans le mauvais sens. Le premier choc “anti-polyvalence” est venu de STCW 95. Le deuxième, de la durée des congés sous registre français. En effet, sur cinq ans de “navigation”, le navigant a passé 2,5 ans à terre. S’il n’a jamais été malade et si la compagnie a parfaitement géré ses temps d’embarquement, il a passé 1,25 an à la machine et autant au pont. Dans ces conditions, il ne dispose pas des temps de navigation suffisants pour revalider ses brevets.
Troisième choc: le RIF. Avec lui, il sera quasiment impossible d’embarquer un commandant ou un chef mécanicien sans une dérogation administrative. La monovalence va se faire une “nouvelle place au soleil” prévenait Pierre Lavoix qui suggérait que ce problème soit discuté au plus vite.
Il faut toute la sagesse d’un commandant retraité pour rappeler que la question sur la poly- ou la monovalence ne se pose “que” depuis une quarantaine d’années. Cela dit, l’immense majorité des États formant des officiers a opté pour la monovalence.
Comme souvent en France, s’opposent deux conceptions de la formation: répondre immédiatement aux besoins présents de l’employeur; ou donner au jeune diplômé les capacités de s’adapter aux besoins actuels et futurs d’employeurs qui savent rarement de quoi demain sera fait. Vaste débat dont l’organisation, s’il devait finalement avoir lieu, pourrait être confiée à la Confédération des associations de la marine marchande.
Celle-ci vient de prouver qu’elle sait associer rigueur d’organisation, modestie, économie et efficacité.
Un débat dont les organisations syndicales ne pourront pas faire l’économie.
Leur absence au colloque fut remarquée.
Seule l’UGICT-CGT était présente mais sans mandat pour s’exprimer au nom de l’intersyndicale, répondait son représentant. Le choix de FO et de la CFDT de demander à l’ITF de classer le RIF comme un registre de complaisance fut assez critiquée. Le représentant des élèves-officiers et celui de la confédération des associations de Mar Mar demandèrent aux partenaires sociaux de mettre à un terme à cela.
Ayant assisté à l’intégralité des débats, Jean-Yves Besselat a pu noter toutes les questions et remarques ainsi que la retenue des compagnies présentes (Broström, Louis Dreyfus, CMA CGM, Mærsk et UECC), exception faite de Bourbon et d’Euronav, bien sûr.
Michel Neumeister