Sommaire des sentences

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La Chambre arbitrale maritime de Paris a publié, récemment le sommaire de la sentence 1117 qui ont été rendue en octobre 2005.

SENTENCE ARBITRALE 1117 DU 10 OCTOBRE 2005 – SECOND DEGRÉ

Contrat d’agence (Agency agreement) – statut impératif de l’agent commercial (art. L 134-1 code de commerce) – résiliation du contrat par armateur – sous-traitance – clause de confidentialité en contradiction avec qualification d’agent commercial – qualification d’agent commercial (non) – indemnité de rupture (non) – demande reconventionnelle pour somme restant due (oui).

LES FAITS

Un contrat intitulé "Agency agreement" a été conclu en 1995 entre une compagnie d’armement et une entreprise française de services. Aux termes de ce contrat, cette dernière devenait l’agent exclusif de l’armateur dans un pays de l’ex-Union soviétique, tant à l’importation qu’à l’exportation. Il était expressément indiqué dans le contrat que l’entreprise de services était autorisée à désigner sur place un agent comme son représentant chargé d’exécuter le travail, mais sous sa responsabilité. Notamment, l’entreprise de services s’y porte garante de la bonne exécution par l’agent local de ses obligations financières à l’égard de l’armateur.

Pendant sept années, le contrat a été exécuté, sans qu’il y ait eu apparemment de griefs majeurs articulés par l’armateur contre l’entreprise de services.

En 2002, l’armateur résilie le contrat, en indiquant vouloir "s’installer en propre" dans le pays en question. Il réclame à cette occasion à l’entreprise de services le règlement du solde des sommes qui lui sont dues par l’agent local pour les opérations réalisées avant la résiliation (alors cependant que l’armateur continue de traiter directement avec cet agent local devenu son seul interlocuteur pour les opérations d’import export réalisés dans ce pays).

L’entreprise de services résiste en invitant l’armateur à réclamer le solde des sommes dues par l’agent local à ce dernier; et surtout, réclame le paiement d’une indemnité de rupture équivalente à trois années de commission, en application des dispositions impératives de la loi française sur les agents commerciaux (article L 134-1 et suivants du code de commerce), applicable en la circonstance comme loi d’autonomie.

Sur la demande d’indemnité de rupture présentée par la société de services.

Le tribunal arbitral s’interroge tout d’abord sur la qualification juridique exacte du rôle joué en l’espèce par la société de service car, pour pouvoir prétendre au bénéfice du statut impératif des agents commerciaux, tel que prévu et réglementé par la loi du 25 juin 1991, intégré dans le Code de commerce, sous les articles L 134-1 et suivants, le demandeur doit justifier qu’il était "agent commercial".

Un élément puissant en faveur de la thèse de la société de services est la formulation même du contrat d’agence, contrat dénommé "Agency agreement" (contrat d’agence), qu’elle a conclu avec l’armateur. On sait toutefois que les qualifications juridiques retenues par les parties contractantes ne s’imposent pas au tribunal arbitral. La qualification d’un contrat ne dépend pas de la dénomination qu’ont pu lui donner les parties et il appartient au juge (article 12 alinéa 2 NCPC) "de donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée".

Comme le rappelle un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation (10 décembre 2003, D. 2004, p. 210, obs. Chevrier), "l’application du statut d’agent commercial ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties dans le contrat, ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leurs conventions, mais des conditions dans lesquelles l’activité est effectivement exercée…",… le juge devant "rechercher suivant quelles modalités précises l’intéressé a exercé ses fonctions…".

Il paraît donc important au tribunal arbitral de rechercher quelle a été l’action réelle de la société de services dans le cadre du contrat ainsi conclu; et, notamment, de rechercher si elle a eu une activité véritable d’agent commercial au sens de l’article L 134-1 du code de commerce.

Concrètement, la société de services s’est-elle comportée dans le pays concerné comme un mandataire, chargé de façon permanente de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d’achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de l’armateur? Et, au-delà du pouvoir qu’elle détenait en vertu du contrat, l’a-t-elle réellement exercé?

Le tribunal arbitral éprouve plus qu’un doute sérieux à ce sujet. Il lui apparaît que rien dans le dossier ne vient démontrer que la société de services ait déployé dans ce pays, de façon permanente, une quelconque activité d’agent maritime pour le compte de l’armateur; il constate que la société de services n’apporte aucune démonstration décisive concernant cette activité.

Bien au contraire, de nombreux éléments viennent infirmer la qualification contractuelle d’agent maritime retenue par le contrat.

Le premier élément pesant sur l’opinion du tribunal arbitral est la sous-traitance "intégrale" à l’agent local de l’activité de représentation de l’armateur.

Si le statut français d’agent commercial n’exclut pas la sous-traitance en pareil cas, l’agent commercial ayant le droit de se faire aider dans son activité de représentation par des sous-agents de son choix, il est toutefois de jurisprudence constante que le recours à des sous-traitants ne doit pas complètement occulter l’activité propre de l’agent principal. Pour être agent commercial, il faut que le mandataire déploie personnellement une activité permanente pour rechercher et, éventuellement, conclure des contrats de prestations de services (pour se limiter à ce type de contrats parmi ceux visés à l’article L 134-1 c . com.), quitte à se faire aider par des sous-agents pour développer sa propre activité.

Au-delà de la présence plus ou moins occasionnelle de quelques salariés de l’entreprise de services pendant les deux premières années d’exécution de l’Agency Agreement aux côtés des personnels de l’agent local, il semble bien que l’entreprise de services ne peut pas justifier d’une action personnelle directe et permanente auprès de la clientèle de ce pays.

Or l’agent commercial défini à l’article L 134-1 du code de commerce est le mandataire qui est chargé de manière permanente de conclure des contrats de prestations de service. Pour le tribunal arbitral, en toute hypothèse, les missions initiales auprès de l’agent local, plus ou moins ponctuelles, de certains employés de la société de services s’apparentent davantage à des actions de formation, de monitorat, de tutorat ou de contrôle qu’à des actions commerciales du type de celles effectuées par un agent commercial.

Bien plus, une clause 14-5 de l’Agency Agreement semble condamner définitivement cette prétention de la société de services à être considéré comme agent maritime. Il s’agit de la clause de "confidentialité" d’après laquelle "the content of this agreement will be kept confidential between the parties. The name of X. should not be mentioned in any advertise or Agents listings". Cela veut donc dire que la qualité d’agent maritime de la société de services devait être tenue secrète et ne jamais être révélée aux tiers. Mais cette clause de confidentialité la condamne donc à ne jamais apparaître comme représentant de l’armateur dans les contrats qu’elle serait amenée à conclure pour le compte de ce dernier. D’après le tribunal arbitral, cette obligation de confidentialité sur la qualité de représentant est en parfaite contradiction avec la qualification d’agent commercial: on ne peut pas représenter juridiquement une personne lorsque cette qualité de représentant ne peut être révélée au tiers avec lequel on contracte en cette qualité. Si un représentant peut ne pas révéler l’identité du commettant (exemple classique: le contrat de commission, hypothèse de représentation imparfaite), on ne connaît pas d’exemple où le représentant peut taire sa qualité de représentant, car cela interdit toute velléité de représentation juridique. Tous les contrats conclus dans ce cas de figure le sont nécessairement pour le compte du représentant et produisent leurs effets en sa personne, et non pour le compte du représenté. En droit français de la représentation commerciale, il n’y a pas d’agents secrets.

Cela dit, comme la société de services n’a jamais conclu de contrats de prestation de services (ou autres) pour le compte de l’armateur, la question ne se pose même pas dans ces termes. Mais il confirme le tribunal arbitral dans son opinion que l’Agency Agreement n’était certes pas un contrat de représentation et que la qualification d’agent maritime appliquée à la société de services dans le cadre de ce contrat ne correspond pas à la réalité du rôle qui lui était attribué. En conséquence, elle ne peut revendiquer le bénéfice du statut français de l’agent commercial, n’ayant eu en l’espèce aucune des activités caractéristiques d’un agent maritime.

Dès lors, la question de l’indemnité de rupture du contrat la liant à l’armateur ne relève pas du statut impératif, en droit français, de l’agent commercial.

Aucune disposition d’ordre public national ou international, aucune règle impérative, aucune loi de police n’interdit aux parties contractantes, dans le cadre d’un contrat international de prestation de services, de prévoir les modalités de l’éventuelle indemnisation du prestataire de services en cas de rupture du contrat.

En l’espèce, les clauses triplement réitérées du contrat prévoyant que l’indemnité de rupture est incluse dans les rémunérations périodiques versées en cours d’exécution du contrat doivent être reconnues d’autant plus valables qu’elles paraissent avoir été déterminantes du consentement des parties contractantes. Si elles venaient à être annulées, au demeurant, se poserait immédiatement la question de la nullité globale du contrat tout entier, puisque l’un des motifs déterminants du consentement ferait défaut.

Comme, par ailleurs, la rupture s’est produite dans des conditions tout à fait régulières avec respect du préavis contractuel, elle n’est donc pas constitutive d’une faute de la part de l’armateur, et l’imputation tardive, factice et artificielle d’une faute à la société de services, qui aurait incité l’armateur à rompre le contrat, n’a ici aucune incidence particulière.

Le tribunal arbitral estime, en conséquence, que les clauses du contrat prévoyant les modalités de l’indemnisation en cas de résiliation du contrat ne sont pas affectées par les dispositions d’ordre public du statut d’agent commercial en droit français. Le tribunal arbitral reconnaît donc pleine et entière efficacité auxdites clauses.

La demande de la société de services à une indemnité équivalant à trois années de commission brute se trouve dès lors sans fondement et le tribunal arbitral ne pourra la satisfaire.

La demande reconventionnelle en paiement du solde des sommes restant dues à l’armateur.

L’armateur demande de son côté que la société de services soit condamnée à lui régler la somme qu’elle reste lui devoir au titre du "contrat d’agence".

Dans un premier temps, la société de services a soutenu que l’armateur pouvait aisément se faire régler directement par son agent local la somme en question, puisque, depuis la résiliation de l’Agency Agreement, ce dernier est devenu l’agent direct de l’armateur et que c’est finalement lui qui, en sa qualité de sous-traitant, reste devoir la somme réclamée.

Toutefois, compte tenu de ses engagements contractuels, la société de services est incontestablement débitrice à l’égard de l’armateur de la somme réclamée, à charge par elle, le cas échéant, d’en réclamer le remboursement à son ex sous-traitant.

Dès lors, la société de services doit être condamnée à payer les sommes restant dues, avec intérêts légaux à compter de la demande de paiement qui en a été faite (avec capitalisation des intérêts).

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