L'ex-porte-avions Clemenceau sera de retour dans trois mois au port militaire de Brest.
C'est ce qu'a déclaré la ministre de la Défense Michèle Alliot-Marie, lors d'une conférence de presse tenue le 15 février après la décision du Président de la République Jacques Chirac de rapatrier le bâtiment (JMM 17-2-2006, p. 4). Le voyage aller par le canal de Suez avait été payé par la compagnie SDI. Celui du retour par le cap de Bonne-Espérance, plus long, sera à la charge de l'État et coûtera 1 M€, a indiqué la ministre.
Trois mois, c'est le temps qu'il aurait fallu à la Cour suprême de l'Inde pour se prononcer après une nouvelle expertise (JMM 17-2-2006, p. 12). Toutefois, "la décision du Président de la République de ramener le Clemenceau en France rend caduque la question à la Cour suprême. Elle n'a pas de raison de statuer", a poursuivi Mme Alliot-Marie.
Trois mois, c'est aussi le délai nécessaire au tribunal administratif de Paris pour statuer sur le fond. "Le Conseil d'État a dit que c'est un problème extrêmement complexe, a déclaré Michèle Alliot-Marie, il est difficile de dire s'il s'agit toujours d'un navire de guerre ou d'un déchet au sens environnemental.". Elle a proposé une réforme des procédures applicables à l'exportation de ce type de produit. Le Premier ministre Dominique de Villepin a alors décidé de créer un groupe d'enquête composé de membres du Contrôle général des armées, de l'Inspection générale des finances et du Conseil des mines. En outre, un bureau d'expertise sera mandaté par l'État pour établir un nouveau diagnostic complet des matériaux dangereux encore à bord. En effet selon le ministère de la Défense, une incertitude subsiste: sur les 115 t d'amiante retirées, seulement 85 t sont effectivement parvenues au centre d'enfouissement de Bellegarde. De leur côté, les partis Socialiste et Communiste ont demandé une enquête parlementaire sur toute l'affaire. La ministre de la Défense a rappelé que le Clemenceau a été désarmé en 1997 et est resté à Toulon jusqu'en 2002. "Durant ces cinq années, dit-elle, aucune décision n'a été prise quant à son avenir, son désamiantage ou son démantèlement. Rien n'a été entrepris non plus non plus pour en retirer les matières dangereuses ". Enfin, une mission regroupera des représentants des ministères de la Défense, des Transports, du Travail, de l'Économie, des Finances et de l'Industrie, de l'Écologie et du Développement durable, des Affaires étrangères et des Affaires européennes. "Cette mission sera destinée à traiter ce problème, non résolu à l'échelle mondiale, du sort à réserver aux navires civils et militaires en fin de vie. Cette mission établira une coordination étroite avec nos partenaires européens ainsi qu'avec des pays comme l'Inde", a continué Mme Alliot-Marie. Aujourd'hui, les chantiers de démolition sont concentrés à 90 % au Pakistan, en Inde, au Bangladesh et en Chine.
UN PROBLÈME MONDIAL
Quelque 700 navires de commerce partent à la démolition chaque année. Ce chiffre devrait doubler d'ici à 2008 par suite de l'interdiction des pétroliers à simple coque. L'amiante a été généralisé dans la construction navale civile et militaire jusque dans les années 1980 pour ses qualités d'isolant et de résistance au feu.
En France, les bâtiments militaires construits depuis 1996 ne contiennent que de l'amiante en faible volume et non directement exposé au personnel. Remplacé progressivement par des produits de substitution, l'amiante a totalement disparu des nouvelles constructions en 2002. Quant aux unités en service qui en contiennent, la Marine applique intégralement la réglementation de droit commun (décrets et arrêtés de 1996, 1998 et 2000) sur la sécurité des équipages et personnels d'intervention. Un laboratoire de mesures, agréé par le ministère de la Santé, assure le comptage des poussières d'amiante.
En Grande-Bretagne, la Marine a fait démolir deux pétroliers-ravitailleurs en 2001 en Inde… dans un chantier d'Alang! Une frégate est devenue un récif artificiel au large de la Cornouaille en 2004. Enfin, le bâtiment amphibie désarmé Intrepid attend à Portmouth d'être fixé sur son sort depuis 2004.
Aux États-Unis, il n'existe que quatre entreprises capables de démolir des navires dans des conditions satisfaisantes. La Maritime Administration, chargée de vendre les navires de l'État fédéral, a donc dû envoyer en 2003 quatre bâtiments en Grande-Bretagne au chantier de démolition Able UK (Hartlelpool), qui n'a toujours pas obtenu les certifications nécessaires des autorités britanniques.
Enfin en 2008-2009, le comité de protection de l'environnement marin de l'OMI doit présenter son projet de traité prenant en compte tout le cycle de vie du navire: construction, utilisation, préparation au démantèlement et mécanisme de contrôle.
"La France victime du politiquement correct", estime l'IFM
L'Institut français de la Mer (IFM), "totalement indépendant et qui se veut le parti de la mer hors de tout a priori politique", estime de son devoir de prendre le risque de rétablir certaines vérités et de poser quelques questions à propose de "l'affaire" du Clemenceau.
"Pourquoi les médias grand-public n'ont ils pas repris, ou au moins pris la peine de vérifier les raisons de l'évaluation des experts anglais tels Ted Higson (dans le Lloyd's List) ou américains comme GHS dénonçant l'ironie de l'affaire et déclarant: « Le travail qui a été réalisé pour nettoyer le navire avant son arrivée, la programmation des travaux sur le site de démolition sont l'exemple de ce qui devrait toujours être fait. Les critiques ont pris ce bateau pour cible, alors qu'il est l'exemple de ce qu'il faut faire »?
Pourquoi parle-t-on de victoire « des associations écologiques « en soulignant les positions extrémistes et caricaturales (pour ne pas dire plus) de Greenpeace, tout en oubliant pour une fois celles de "Robin des Bois" — pourtant peu suspecte de complaisance vis à vis des institutions — mais qui au terme d'un travail d'investigation honnête « a défendu le choix du ministère français de la Défense sur le désamiantage partiel du bâtiment en France, avant de confier son démantèlement à l'Inde »(AFP)?
Pourquoi les professionnels consciencieux ne se sont-ils pas interrogés sur les motivations de Greenpeace qui ne s'est pas exprimé sur l'arrivée en décembre, précisément à Alang et pour démolition, d'un navire britannique "Le-Sir-Geraint", vétéran de la guerre des Malouines (Fairplay Weekly)?
Pourquoi parle-t-on d'atteinte à l'environnement et de non-protection de la santé des ouvriers en Inde alors que JAMAIS jusqu'à cette opération autant de précautions n'avaient été prises par aucun État, par aucun armateur? Enlèvement de tout l'amiante friable et atteignable sans mettre en danger la structure du navire; ingénieurs indiens formés spécialement en France depuis des mois; suivi sur place par nombre d'experts et ingénieurs français; plan industriel spécialement adapté soumis à l'avance; transferts très importants de matériels de protection semblables à ceux utilisés en France; suivi médical sur place pendant et après les travaux du personnel indien concerné; choix d'un chantier certifié qui précisément pour cette raison n'est pas le moins cher de la zone; accord spécial sur place avec une société spécialisée dans la défense de l'environnement; application locale des critères du droit français en vigueur pour la protection des personnels… alors qu'on a publié des images datant des années 90.
Pourquoi, alors que ce qui était prévu était un véritable transfert de technologie et de savoir-faire, n'avoir pas souligné qu'il s'agissait précisément du type de mesures prévues par les organisations internationales (UE, Bâle, OMI, OIT) qui travaillent à ce dossier du recyclage des navires en fin de vie, faisant de la France un pays pionnier en la matière? Sachant qu'il n'existe plus, et depuis longtemps, ni en Europe ni en Asie, d'installations de démolition de navires suffisantes, raison pour laquelle des dizaines de coques ex-militaires rouillent dans les ports d'Europe ou des États-Unis.
Pourquoi ne pas avoir mentionné, au contraire, que cette coopération entre un pays du Sud, où sont les sites de démolitions et les personnes qui en vivent, et des pays industriels transférant leurs compétences particulières, pouvait et devait être l'exemple de ce qu'il faut justement faire?
Pourquoi enfin ne cesse-t-on de présenter la décision suspensive du Conseil d'État (prise en fait « sous bénéfice d'inventaire ») comme une décision de fond alors que la haute instance elle-même refuse de se prononcer? Comme s'il fallait absolument que la condamnation, sur ce plan strictement juridique, soit acquise d'avance et ait déjà l'autorité de la chose jugée? Et pourquoi dans le même esprit l'honnêteté des responsables techniques des administrations concernées serait elle a priori suspecte alors qu'ils sont plutôt connus pour leur rigueur?
Dans cette affaire peut-on parler de gâchis?… Certes, l'image de notre pays est malmenée. Certes, les politiques ont réagi avec difficulté et la « grande muette » ne pouvait, dans une guerre des mots, ne rester que désarmée. L'IFM ne peut que réaffirmer avec force sa conviction que la communauté maritime française, et au premier rang la Marine nationale, a fait preuve dans cette opération d'un esprit de responsabilité bien mal récompensé mais incontestable.
Et voilà comment la France entière se croit « piteuse ou honteuse » alors qu'elle pouvait et aurait dû être fière de tous les efforts qu'elle a déployés dans ce dossier très difficile."
Francis Vallat,
président de l'Institut français de la Mer