La société Nord Broyage Dunkerque créée discrètement en juin dernier a créé l’événement économique local de ce mois de février en annonçant son projet de création d’un broyeur de clinker d’une capacité de 500 000 t. Le clinker est la dernière étape de production du ciment avant broyage. Le broyeur serait implanté dans la zone centrale du port de Dunkerque, à 500 m environ du bassin minéralier, et de la darse 6. Il s’agirait bien entendu de clinker importé, trouvé au meilleur prix sur l’abondant marché international.
Nord Broyage International est une filiale à 100 % de la société de droit néerlandais Sarezzo Investment BV, elle-même contrôlée par Gamma Logistics Investments, basée à Luxembourg. Gamma Logistics Investments est la holding de Paul Albrecht, auteur et organisateur des projets Vracs du Nord, Ciments de Flandres et Dunkerque Multibulk Terminal (DMT) à Dunkerque. Nord Broyage aurait pour prestataire logistique SGD, l’une des deux sociétés qui composent DMT. Le clinker serait déchargé sur le quai de Silonor (voir encadré), l’autre société qui compose DMT. La demande de permis de construire et surtout d’autorisation d’exploiter un établissement classé est lancée. Elle pourrait aboutir fin juin, pour une mise en service un an plus tard. Il s’agit d’un projet de 20 M€. Il va inévitablement se heurter à l’opposition d’Holcim, qui domine le monde du ciment dans la région en général, et à Dunkerque en particulier.
L’histoire commence au début des années 2000 quand Paul Albrecht, homme d’affaire spécialisé dans le commerce du ciment et la logistique des vracs liés au ciment jette son dévolu sur le port de Dunkerque, pour aider ses meilleurs contacts à réaliser leur dessein: prendre pied sur le marché cimentier du nord-ouest européen. Il faut comprendre qu’historiquement, quelques majors du ciment telles le français Lafarge ou le suisse Holcim se partagent géographiquement le marché mondial en cercles concentriques autour de leurs lieux principaux d’implantation industrielle. Le ciment, produit de base pourtant relativement coûteux, prêt à la consommation, voyage mal. Au-delà de 300 à 400 km de route, il perd beaucoup de son attrait économique et supporte mal une guerre des prix. Les principaux acteurs du marché ont su la limiter. Au nord de Paris et en Belgique, Holcim règne avec une usine principale située à Obourg en Belgique, et des usines secondaires comme Lumbres et Dannes dans le Pas-de-Calais. Mais les surplus de clinkers et ciments issus du pourtour méditerranéen et surtout d’Asie circulent de plus en plus abondamment sur le marché. Les industriels outsiders développent leur présence. En Europe, les industriels et négociants de la péninsule ibérique sont ainsi particulièrement actifs sur le marché. Ce sont les correspondants privilégiés de Paul Albrecht.
VRACS DU NORD, PREMIER ROUND
Soutenu par le PAD, Paul Albrecht lance d’abord le projet Vracs du Nord, en association avec International Cement Advisers (ICA), une société du barcelonais Antonio Almazan. Il s’agit d’un terminal d’importation de ciment de 200 000 t de capacité avec déchargement maritime en vrac et transbordement routier en sacs ou vrac. Coût initial: 8 M€. Holcim s’y oppose, mais doit dans un premier temps composer. Un accord apparent prévoit l’association de Vracs du Nord et Holcim dans Ciments des Flandres et un investissement de 28 M€ dans une station de broyage de laitiers de hauts fourneaux. Ce laitier granulé et broyé entre dans la composition de ciments qui intéressent le marché, et permet une bonne valorisation de ce co-produit de fonderie. Les deux projets se réalisent. Mais Holcim bloque l’implantation commerciale de Vracs du Nord et oblige Albrecht et Almazan à lui vendre les deux installations. Fin de l’épisode.
LE RETOUR
Tout semble verrouillé. Vracs du Nord n’importera rien. Moyennant une transformation, ce terminal est plutôt voué à l’exportation de quantités limitées, en logistique interne au groupe. Il s’agira de charger des laitiers broyés vers une unité de mélange de ciment/laitier située à Anvers. Mais Paul Albrecht n’a sans doute pas apprécié l’humour suisse. Il revient à la charge avec le projet DMT, cette fois appuyé par le cimentier portugais Secil. Dans ce projet, une possibilité d’importation de ciment, à côté de vracs divers, figure clairement. On a pu croire un instant qu’il s’en tiendrait là. Mais avec Nord Broyage, projet monté avec un trader français et la coopérative cimentière espagnole Cementos Union, le projet est clair. Nord Broyage veut prendre pied sur le marché du nord de la France et belge, dans le jardin d’Holcim, en visant en particulier les distributeurs de matériaux indépendants. Pour la première année d’exploitation, Paul Albrecht vise 300 000 t, puis 500 000 t en rythme de croisière, soit 10 % du marché global euro-régional, davantage sur le créneau spécifique des distributeurs du Nord-Pas-de-Calais.
Les mois nécessaires à la préparation de ce projet ressembleront fort à une veillée d’armes. Pour le port de Dunkerque, c’est en tout cas un nouvel atout qui se met en place. Pour l’industrie belge et régionale, c’est évidemment une question d’avenir, sur fond de globalisation. Le marché n’est pas extensible à merci
Silonor fin prêt
Le nouveau terminal Silonor est prêt à recevoir son premier navire. Il s’agit d’un ancien terminal céréalier de 20 000 m2 couvert bord-à-quai, longtemps propriété de négociants, voué au stockage de longue durée, qui rechargeait en outre de manière épisodique à l’exportation avec son propre engin. Depuis plus de cinq ans, il était à l’abandon. À quelque 300 m à l’arrière, d’autre actionnaires, en partie liés à Silonor, avaient construit et développé SGD, un entrepôt de 46 000 m2 embranché fer. Si SGD complétait l’activité de Silonor dans les domaines agricoles et agroalimentaires, d’autres activités étaient développées, en particulier avec le locataire de la darse 6 Dewulf-Cailleret, qui se trouve à proximité.
Avec deux groupements d’associés différents, Paul Albrecht a repris les deux infrastructures voici un peu plus de deux ans. L’ensemble est commercialisé sous le nom de Dunkerque Multibulk Terminal (DMT). Moyennant quelques aménagements non négligeables mais sans révolutionner l’implantation, SGD poursuit et développe son activité antérieure:
• 150 000 t de passage de blé d’intervention et de produits agroalimentaires dans 24 000 m2 spécialisés;
• 100 000 t de carbonates pour Dewulf-Cailleret, prestataire de services pour Saint-Gobain dans 8 200 m2 spécialisés;
• et 12 000 m2 répartis en cellules modulables consacrés aux minéraux divers.
Avec le cimentier portugais Secil pour principal partenaire, l’équipe de Paul Albrecht a entrepris pour 10 M€ une restructuration complète de Silonor. Le Port autonome a pris à sa chage une partie des travaux d’infrastructure liés à la vétusté du quai. Une première tranche est aujourd’hui opérationnelle. Elle comprend un quai de 195 m à 14,20 m de tirant d’eau accessible à des navires de 100 000 t, desservi par une nouvelle grue hydraulique de 600 t/h. Très précise de maniement, cette grue dépose sa marchandise dans une trémie anti-poussière. Un transporteur entièrement étanche mène à l’entrepôt. Ce dernier est séparé en deux zones. Une zone "pulvérulents" étanche de 30 000 m3 et capable de recevoir du ciment, par exemple. Et une zone multivracs divisée en cellules. Un système complet de transporteurs mène à une sortie trains à pesée commerciale de 250 t/h, et deux postes de chargement routier de 250 t/h également. Les essais de la grue sont achevés. Les formations des personnels sont en cours. Les premiers navires, pour des entrées de perlite et magnésite pour l’industrie régionale sont attendus ce mois de mars. Ce trafic de vracs divers devrait atteindre environ 30 000 t/mois, estime Olivier Albrecht, fils de l’investisseur et responsable du développement du terminal. La grue déchargera également le clinker destiné au broyeur. Le trafic, si tout va bien, doublera alors à 60 000 t/mois. D’autres projets sont en gestation, qui pourraient nécessiter le montage d’une seconde grue. Il manque également au terminal un dispositif de traitement de la voie d’eau.
A.S.