Si on éloigne le verre grossissant de l’actualité, Marseille-Fos ne parvient toujours pas à décoller. Sur les 25 dernières années, son trafic montre un encéphalogramme plat. Le trafic global stagne. Les hydrocarbures fuient lentement mais sûrement. Les marchandises diverses s’essoufflent derrière l’explosion mondiale du trafic maritime. Le trafic conteneur est relégué en seconde division.
Au début des années 90, le trafic global de Marseille faisait jeu égal avec Anvers, enregistrait un tiers de volume d’avance sur Hambourg et possédait un trafic cinq fois supérieur à celui Barcelone. Aujourd’hui, Anvers devance le port phocéen de 65 Mt, Hambourg de 30 Mt et Barcelone est quasiment parvenu à la moitié du score marseillais. Les dérives sont encore plus graves lorsqu’on prend le trafic conteneurs où Marseille ne parvient pas à décoller après avoir occupé les avant-postes mondiaux dans les années 80-90. Ce constat, qui participe largement de l’histoire des ports français, n’est pas nouveau. Est-il possible de sortir de la spirale de l’échec? À l’heure où les armateurs participent directement à l’expansion et l’exploitation portuaires, Port 2000 et Fos 2XL offrent une clé pour faire sauter le verrou qui pèse sur les ports français.
LE MAGHREB ET L’AFRIQUE VONT-ILS PRENDRE LEUR INDÉPENDANCE PORTUAIRE?
En attendant, Marseille-Fos pourrait se trouver confronté à un nouveau tournant. Les derniers résultats sont porteurs de tendances lourdes. Alors que le premier port de France pensait en avoir fini avec son glorieux passé colonial, il s’expose à connaître un effet ciseau. Le Maghreb et l’Afrique de l’Ouest, qui étaient sa chasse gardée (le rêve de jouer le rôle de plate-forme d’éclatement en Méditerranée présidait encore Fos Distriport), risquent de gagner leur "majorité" portuaire. Des lignes maritimes directes unissent désormais ces zones géographiques à l’Asie depuis l’an dernier. Et le mouvement ne peut que s’amplifier. Marseille profitait jusque-là de la conteneurisation retardée de ces pays et de leur manque de savoir-faire. La prise en main des ports par les armateurs change également la donne. Contrecoup, l’Algérie qui était le premier client conteneur du port, laisse sa place à la Chine. Les résultats du terminal de Mourepiane, sur les bassins Est, ont souffert de la faiblesse des échanges avec le Maghreb et connu une chute de 8 % en 2005. Même cause, même effet, les relations avec la Méditerranée orientale seraient également affectées. La mondialisation des échanges maritimes participe de la mondialisation de l’économie.
UN BALLON D’AIR AVEC LE GAZ LIQUIDE
Le secteur des hydrocarbures, secteur où Marseille-Fos est vraiment en pointe, est lui aussi en mutation. Représentant les 2/3 de son trafic total, il ne cesse de baisser. En 20 ans, quelques millions de tonnes de brut se sont "évaporées": le phénomène a été compensé par un gonflement des volumes de gaz liquides (GPL et GNL) sur lesquels, fort heureusement, le PAM s’est investi lourdement. Loin de l’époque où le pétrole coulait à flot, le port s’est même mis à l’heure des économies d’énergie et des énergies renouvelables. Du coup, la concurrence effrénée qui l’opposait depuis des années à Trieste pour approvisionner l’Europe par pipe-line, a disparu du devant de la scène.
Le pire est-il certain? La réalisation de la zone de Fos dans les années 60 avait créé une ouverture après la décolonisation. Le développement s’est retourné à la fin des années 80 avec les chocs pétroliers et de la crise économique. L’application, difficile, de la réforme de la manutention en 90, n’a pas apporté de relance décisive. Sur les dix dernières années, le trafic des diverses de Marseille-Fos a progressé de 32,4 %, celui des conteneurs de 66 %. Dans le même temps, les diverses de Barcelone explosaient de 167 %, celles de Gênes de 95 %, celles de Hambourg de 127 %, celles d’Anvers de 87 %. Avec les conteneurs, les écarts concurrentiels sont encore plus flagrants. En cinq ans, le port espagnol de Valence a gagné 1 million de boîtes pour atteindre aujourd’hui un total de 2,4 millions d’EVP. Marseille-Fos en a grignoté 200 000 et n’a toujours pas touché la barre du million d’EVP.
"Marseille-Fos va droit à l’échouement", avait diagnostiqué Éric Brassart en prenant la direction du PAM en 1998. La dérive d’un supertanker n’est rien à côté de l’inertie portuaire française. Le renversement de barre n’a pas techniquement affecté la trajectoire. D’autant que Marseille-Fos, port d’hinterland dans une région à la pesanteur industrielle faible, doit aller cherché loin, en Rhône-Alpes, dans l’Est de la France et en Midi-Pyrénées, son approvisionnement en marchandises. C’est sans doute pour cela qu’avant ses concurrents, il a travaillé son pré et le post acheminement, en particulier ferroviaire et fluvial. Sur ce fondamental, il a incontestablement marqué des points. Il lui reste à confirmer pour fixer les flux.
Car la faiblesse de Marseille-Fos, c’est aussi son inconstance. En nombre de jours, les grèves n’y sont pas plus importantes qu’ailleurs mais le fragilisent certainement plus. Le théâtre social y est plus expressif et les coups du sort plus implacables. Or les clients portuaires, armateurs comme chargeurs, détestent par-dessus tout l’imprévu. La communauté marseillaise devra encore apprendre à maîtriser son destin et gagner en maturité.
Éric Brassart ou sept ans pour un inventaire
En 1998, prenant les commandes du PAM, Éric Brassart sonne le tocsin. Devant lui, tous les voyants du tableau de bord clignotent. Le changement de cap est rapidement fixé dans le plan "Marseille port global". Tirant les leçons d’un constat très réaliste, le PAM s’engage alors dans une thérapie de choc. Quelles réflexions peut-on tirer sept ans plus tard? Le "nouveau management" du PAM, comme le dénommait alors les professionnels portuaires, a bien secoué les habitudes de l’établissement public portuaire. Poussés dans le cercle concurrentiel, ses cadres se sont malmenés. Les ouvriers et les employés, tout au moins ceux dans l’orbe de la CGT, ont résisté à la marche forcée, au "changement d’ère". L’esprit corporatiste, les chapelles idéologiques ont fait le reste et conduit le PAM dans les pires conflits de son histoire. Laissant la communauté sans voie de dégagement.
Si le dénouement brutal du septennat d’Éric Brassart s’est joué dans la coulisse sociale, l’intrigue n’avait-elle pas déjà dérapé sur le devant de la scène du trafic? Quels étaient, en effet, les objectifs du plan d’entreprise de départ? S’il avait bien anticipé la baisse tendancielle du niveau des hydrocarbures, les conditions "pour rester un grand port de marché" étaient clairement établies. Pour 2004, la barre des 1,2 millions d’EVP était programmée, 18,6 Mt pour les diverses et 4 Mt pour les vracs liquides. Les réalités du résultat 2005 sont malheureusement encore loin de ces buts. Cet échec appartient autant à la communauté portuaire qu’au PAM. Même si le volontarisme de la stratégie d’Éric Brassard n’a pu ou su entraîner les professionnels. Mutatis, mutandis, il n’aura fait qu’élargir un peu plus le fossé entre le public et le privé. Les limites et l’ambiguïté du rôle des ports autonomes dans la conduite des places portuaires auront été touchées du doigt.
Pour autant, il existe un compartiment où le PAM aura su maîtriser le jeu: celui de sa gestion. En 7 ans, et malgré un trafic stagnant, il aura conforté son chiffre d’affaires en le faisant passer de 145,7 M€ à 174,6 M€, soit une progression de 19,8 %, mais en francs constants. Plus significative est la montée du niveau des investissements. Sur les 7 dernières années, par rapport aux 7 précédentes, ils auront été multipliés par deux, passant d’une moyenne annuelle de 29,5 M€ à 58,2 M . La tendance continue de s’amplifier avec une moyenne de 71,7 M€ sur les trois dernières années. Cela sans altérer l’équilibre budgétaire qui a pris l’habitude d’un résultat net positif tout en voyant les effectifs du personnel maintenus. C’était là aussi une des données du pari d’Éric Brassart au début de son septennat.
En rétablissant sa capacité d’autofinancement – grâce notamment aux aides des collectivités territoriales –, le PAM dispose encore d’une marge de manœuvre qui lui permet de se lancer dans des chantiers susceptibles d’attirer des financements privés. C’est le cas du nouveau terminal méthanier GDF2. C’est surtout celui de Fos 2XL dont la moitié de l’investissement de 400 M€ sera assurée par les opérateurs privés. Ainsi sur les dix plus grands chantiers en cours dans le département des Bouches-du-Rhône, six se déroulent dans l’enceinte portuaire et constituent autant de balises pour l’avenir.
S’il est encore trop tôt pour parler de l’héritage d’Éric Brassart, directeur à la personnalité affirmée autant que contestée, un droit d’inventaire peut commencer à s’exercer.