Restant, en France, le dernier lieu ouvert de réflexion sur l’activité maritimo-portuaire, l’Institut national de recherche sur les transports et leur sécurité (INRETS) avait invité le jeune et brillant Théo E. Notteboom (1) à présenter le 20 janvier, la courte mais riche histoire de la conteneurisation dans le triangle d’or.
En 1975, en première place, Rotterdam voyait passer près de 1,08 MEVP (2), représentant 26 % du trafic cumulé des 47 premiers ports conteneurisés européens. Anvers arrivait en 4e position avec 297 000 EVP, soit 7,1 % de part de marché. Occupant la 9e place, Zeebrugge affichait 184 000 EVP, soit 4,4 %. A cette époque, Le Havre et Marseille figuraient dans la liste des 15 premiers conteneurisés européens.
En 2004, Rotterdam est toujours en tête avec 8,281 MEVP mais il ne représente plus de presque 15 % du trafic des 47 premiers ports européens. Anvers arrive en 3e position avec 6,064 MEVP avec une part de marché de 10,9 %. Et Zeebrugge se "traîne" en 15e position avec presque 1,2 MEVP, soit 2,1 %. Le Havre est au 8e rang avec 2,150 MEVP et 3,9 % de part de marché.
Cela dit sur le range Hambourg/LeH qui en 2004 représentait 28,645 MEVP, Rotterdam présentait presque 29 % du total, Anvers 21 % et Zeebrugge, 4 %. En 2005, le trafic conteneurisé de Rotterdam a augmenté de plus d’un million d’EVP. Au fil des années, ces ports ont accru leurs capacités de traitement des conteneurs en construisant de nouvelles darses et des terminaux supplémentaires. Pour Rotterdam, il s’agissait à tout prix de gagner le littoral.
SOUS-ESTIMATION GÉNÉRALISÉE DU TRAFIC CONTENEURISÉ
La saturation des terminaux portuaires dont se plaignent les compagnies maritimes est confirmée: toutes les études prospectives faites par OSC, Marconsult, l’autorité portuaire d’Anvers, etc. ont très largement sous-estimé la croissance du trafic, montrait T. Notteboom. En 2004, par ex. Anvers a traité plus de 6 MEVP, la moins mauvaise estimation, celle faite en 1997 par OSC, était de 4,3 MEVP; la pire, celle faite en 1990 par l’autorité portuaire, était de 2,7 MEVP. Compte tenu du manque de place généralisé à Rotterdam et à Anvers, de la lourdeur des investissements et du peu d’enthousiasme des écologistes à modifier l’environnement, le problème de la congestion portuaire risque lui aussi d’être durable. D’autant plus que les pré- et post-acheminenents terrestres sont eux aussi largement saturés. Cerise sur le gâteau, T. Notteboom confirmait l’existence d’une étude néerlandaise qui tentait à prouver que maintenant l’activité générée par le port de Rotterdam produisait des effets négatifs sur l’économie du pays. En fait, cette étude a été faite pour le compte de groupes de pression peu favorables au (sur) développement portuaire. Ses arguments sont contestables. Ce qui l’est moins, estime le chercheur belge, est que l’emploi et la valeur ajoutée baissent dans la région de Rotterdam alors qu’ils augmentent dans d’autres régions néerlandaises qui n’ont pas de port.
Une des raisons de la remise en cause du développement du conteneur à Rotterdam pourrait être que les boîtes n’y font, principalement, que passer: cela se voit de deux façons. D’une part, en 2003, 40 % du trafic conteneurisé de Rotterdam utilisait la voie fluviale; contre 31 % pour Anvers. D’autre part, 28 % du trafic conteneurisé anversois utilisant la route, se font dans un rayon de 25 km; contre 3 % à Rotterdam. Plus de la moitié du trafic conteneurisé anversois utilisant la route se fait dans un rayon de 75 km. Le port belge est clairement un port de proximité et/ou de groupage/dégroupage. Le prochain hinterland anversois restera donc durablement saturé par les camions.
À l’inverse, plus de 16 % du trafic conteneurisé de Rotterdam utilisant la route, se font en dehors d’un rayon de 350 km; 12 % de ce même trafic se font dans un rayon compris entre 151 et 175 km.
DES CONCEPTIONS DIFFÉRENTES: UNE SEULE RÉALITÉ
L’autorité portuaire de Rotterdam a toujours privilégié l’opérateur dominant, en l’occurrence ECT, créé en 1967 par cinq manutentionnaires locaux afin de mutualiser les risques et les moyens financiers. En outre, l’autorité portuaire est favorable aux terminaux dédiés de préférence en association avec ECT.
À l’opposé, l’autorité anversoise encourage la concurrence entre manutentionnaires et n’est guère favorable aux terminaux dédiés.
Ces deux conceptions ont cependant conduit à un résultat similaire: les terminaux d’Anvers sont dominés par deux opérateurs principaux: P & O Ports (membre d’Antwerp Gateway, consortium formé notamment par CMA CGM Duisport et Cosco Pacific), en devenir, et PSA (100 % de Hesse Noord Natie qui représente environ 85 % des manutentions). Toujours contrôlé par l’État singapourien, PSA cherche également à prendre le contrôle de P & O Ports.
A Rotterdam, ECT, contrôlé à 100 % par le chinois Hutchison, et AP Møller Terminals mènent le bal.
Un bal dont le tempo est plus ou moins réglé par la Commission européenne (CE). En effet, en cas de prise de contrôle de P & O Ports par PSA, T. Notteboom semble espérer que la CE saura rétablir un semblant de concurrence sur les quais anversois.
L’absence de coopération entre les directions portuaires n’empêchent nullement la coopération entre opérateurs privés: en 2004, près d’un million d’EVP se sont échangés entre Rotterdam et Anvers dont 75 % par barge. En 1999, entre Zeebrugge et Anvers, ont été transportés près de 174 000 EVP dont 92 % par fer. Au gré des besoins des compagnies, les B/L sont "Anvers" ou "Rotterdam" quel que soit le port de transit.
Il va sans dire mais encore mieux en l’écrivant que ces deux places portuaires se battent sur des hinterlands très proches mais avec quelques nuances.
Selon le modèle de simulation du consultant néerlandais Ecorys, Anvers aime bien le Nord-Est de la France où sa part de marché en 1999 était comprise entre 50 et 70 %. Peu ou prou, Anvers suit la banane bleue. Alors que Rotterdam est plus dans le "boomerang orange": en clair, le premier port d’Europe s’intéresse plus à l’Allemagne mais entre en concurrence avec Hambourg. Les deux ports se battent également pour la desserte d’une partie de l’Europe de l’Est mais Hambourg bénéficie d’une longue expérience ferroviaire.
DES CONTENEURS À LA LOGISTIQUE
Le développement des volumes conteneurisés entraîne celui de la logistique, notait T. Notteboom. Rotterdam d’abord puis Anvers, un peu contraint et forcé, ont participé à la création de terminaux intérieurs reliés par barge ou transport combiné. Les ports plus modestes ont suivi l’exemple. De sorte que le chercheur belge parle de polarisation logistique du Benelux.
Il est probable qu’à l’avenir l’autorité portuaire d’Anvers soit plus active dans la coopération avec les places intérieures, estimait T. Notteboom, notamment dans le projet TrilogiPort sur la Meuse, à Hermalle-sous-Argenteau.
Les transporteurs fluviaux du Benelux sont très impatients de voir entrer en exploitation le projet Seine-Nord, notamment ceux desservant déjà Avelgem, nous rassurait T. Notteboom. Pour être encore plus clair, il ajoutait que Seine-Nord devait être probablement très favorable au développement d’Anvers et Rotterdam. Pour Le Havre, il fallait regarder de plus près. "Le Havre: many calls but no volume" résumait-il avec talent (3).
La saturation durable des infrastructures du Benelux amène à se rouvrir un vieux dossier: celui de la desserte de l’Europe centrale par l’Adriatique ou la Méditerranée. Les coûts portuaires et terrestres sont encore largement supérieurs à leurs homologues nord-européens, constatait T. Noddebbom. Compte tenu de la qualité de l’outil que représente Marseille-Fos, en forme de boutade, il suggérait que la manutention conteneurisée soit confiée à Eurogate et l’acheminement ferroviaire à Railion (ex-DB). Une façon comme une autre de trouver une solution à la sous-utilisation patente de Fos. Et pourquoi? Sea-Invest a bien sauvé une grande partie de la manutention des vracs en France…
1) Attaché à l’Institut anversois du transport et du management maritime, ITMMA.
2) Ces données chiffrées doivent être prises avec précaution car il existe une sorte de consensus scientifique pour estimer que les autorités portuaires ne sont pas toujours très rigoureuses dans leur méthodologie de comptage, surtout lorsque le trafic fluvial est important. Comme les petits pains, les mêmes conteneurs peuvent se multiplier de façon surprenante.
3) Cela fait combien d’années que l’on n’ose même plus rappeler, en France, que les volumes conteneurisés des ports "traditionnels" dépendent du commerce extérieur du pays. Et les échanges français de marchandises ne sont pas très bien orientés en ce qui concerne le long cours.
Des agrégats de terminaux; pas encore de réseaux
À la question de savoir si les grands opérateurs internationaux de terminaux les faisaient travailler en réseau, Theo Nottebbom répondait qu’il avait le sentiment qu’actuellement les acquisitions se faisaient au gré des opportunités. Il s’empressait d’ajouter que les grands opérateurs sont très discrets à ce sujet, en particulier AP Møller Terminals. Cela dit, dans un avenir qui reste à préciser, il est probable que les opérateurs arriveront à mettre en réseau leurs terminaux; auquel cas, ceux qui n’entreront pas dans les schémas, pourraient être revendus.
Pour APM Terminals, il est difficile de distinguer ce qui révèle de l’investissement financier pur et simple de ce qui correspond aux besoins des lignes maritimes.
La liberté d’actions des grands opérateurs bénéficiant d’importants moyens financiers est à mettre en regard avec la relative rigidité des autorités portuaires dont les capacités financières sont limitées à leurs droits et/ou taxes portuaires. Cela dit, le foncier se faisant de plus en plus rare dans certaines zones portuaires, sa judicieuse attribution devrait renforcer le rôle des autorités portuaires, estimait T. Notteboom.
2006 l’année de tous les anniversaires
Le 26 avril prochain, pourra-t-on fêter le 50e anniversaire du départ de l’Ideal-X, le premier "porte-conteneurs" expérimental de l’histoire, chargé de 58×35’ en pontée. En fait, transporteur de vrac liquide, ce navire partit du port de Newark dans le New Jersey à destination de Houston. Merci Malcom McLean.
En 1966 SeaLand ouvrait la première ligne conteneurisée transatlantique. Merci McLean.
En 1986, US Lines passait sur chapitre 11 de la loi américaine sur les faillites. Merci McLean.
Last but not least, en 1936 était conçu Jacques Saadé. Merci…