La compagnie aérienne de CMA CGM a réceptionné le premier des trois freighters B777-200 neufs qui doivent lui être livrés d’ici la fin du premier trimestre 2025. Un vol commercial inaugural entre Hong Kong et Chicago (O’Hare) a été effectué le 25 août 2024. La livraison du biréacteur, capable de parcourir 9 200 km avec une charge utile maximale et une densité par m3, qui en font, selon l’avionneur américain, l’avion-cargo au plus long rayon d’action, inaugure de facto la liaison entre Asie et États-Unis. Sa charge utile de 103,9 t lui permet de charger 27 palettes standards sur le pont principal. Son pont inférieur a une capacité de 10 palettes.
La réception de l’appareil intervient avec plus d’un mois de délais par rapport à ce qui était initialement prévu. Il devait être livré en juin avant le début de la saison, pour être exploité durant l’été 2024 sur une ligne desservant Hong Kong, Chicago, et Séoul.
La livraison du second B777-200 est prévue pour le quatrième trimestre 2024. Il sera également déployé sur le transpacifique. Avec ces deux appareils, la filiale aérienne du numéro trois mondial dans le transport maritime de conteneurs pourra offrir sept fréquences par semaine entre l'Asie et le continent américain, corridor très demandé où la demande de transport en tonnes-kilomètres de chargement (CTK) a réalisé sa plus belle percée en cinq mois (+ 12,8 % en juin sur un an, cf. plus bas). Le troisième est attendu au premier trimestre 2025.
Les vols des trois B777-200F seront opérés par la société Atlas Air, une filiale du loueur d’avions Atlas Air Worldwide, dans le cadre d'un accord d’affrètement ACMI (Aircraft, Crew, Maintenance and Insurance) à long terme, c’est-à-dire avec la location de l'appareil, de l'équipage, de la maintenance et des assurances. CMA CGM a décroché par ce biais son pass d’entrée pour la desserte outre-Atlantique, que le partenariat avec Air France KLM Cargo bloquait (dans un contexte où les autorités américaines étaient peu enclines à autoriser l’alliance transatlantique Air France-KLM-Delta-Virgin Atlantic).
Envol contrarié
Lancée durant l’année pandémique de 2021 avec des A330-200F d’occasion, dont deux d'entre eux sont affrétés à un tiers tandis que le troisième opère trois fois par semaine des liaisons entre Paris-Charles de Gaulle (CDG), Mumbai et Guangzhou, CMA CGM Air Cargo a ensuite mis en service deux B777F. Basés à CDG, ils assurent aujourd’hui les liaisons entre l'Europe et la Chine, avec cinq vols par semaine vers Hong Kong et quatre vers Shanghai. En 2026 seront livrés les huit A350F dont l'entreprise est une des premières compagnies de lancement.
L’armateur de porte-conteneurs, qui s’est lancé dans l’aventure du fret aérien dans le cadre de sa stratégie visant à offrir un transport de porte-à-porte, a étalé ses tergiversations ces derniers mois dans le domaine.
En février, le groupe marseillais avait annoncé la rupture de son contrat qui le liait au General sales agent (GSA) European Cargo Services (ECS) en vue de reprendre la main sur la commercialisation de ses soutes avant de finalement convenir d'un nouvel accord sous la forme d'une coopération à la carte. « Il s'agit d'une solution créative et hybride » qui s’adapte aux fluctuations du marché et aux spécificités locales, avait indiqué de son côté ECS. Ainsi, « dans certains pays, tels que la France, l'Allemagne et la Chine, CMA CGM fera ses propres ventes avec le soutien en back-office d’ECS » avait-il ajouté mais sans répondre aux questionnements sur la commercialisation du marché américain.
Valse des dirigeants
La rupture de l'alliance avec Air France-KLM*, quelques mois à peine après avoir formalisé les termes de la coopération prévue pour dix ans, a en outre surpris. Les deux mastodontes tricolores avaient invoqué une « incapacité à fonctionner de manière optimale » en raison d’un « environnement réglementaire contraint » sur « certains marchés importants ». La desserte de l’Amérique du Nord n’ayant pas obtenu le feu vert réglementaire, l'alliance était en effet vidée de sens commercial au regard du poids du marché outre-Atlantique dans le fret aérien.
La valse des dirigeants à la tête de la compagnie aérienne – le groupe CMA CGM est réputé pour connaître un turn-over important – n’a pas aidé non plus à décompresser. Olivier Casanova, Mark Sutch (ex de Cathay), Guillaume Lathelize, Peter Penseel se sont succédé avant que Damien Mazaudier, l’ex-directeur financier de la division pilotant des terminaux portuaires chez CMA CGM, ne prenne les commandes en décembre dernier.
Cinquième freighter pour MSC Air Cargo
Les compagnies maritimes natives ont été hyperactives cet été dans les airs. MSC a inauguré le 19 juillet son premier vol entre Milan Malpensa et Hong Kong après avoir réceptionné son cinquième freighter, un B777-200F. Il sera déployé deux fois par semaine et exploité par AlisCargo Airlines dont la société d’investissement de la famille Aponté, SAS Shipping Agencies Services, a finalisé la complète acquisition il y a quelques semaines.
Parallèlement, MSC Air Cargo a lancé Shipped Pharma, son premier produit spécialisé, et était en attente de la certification CEIV Pharma (Center of Excellence for Independent Validators in Pharmaceutical Logistics) délivrée par l’Association du transport aérien international (Iata). Le sésame atteste de ses capacités à traiter du fret pharmaceutique (souvent sous température dirigée) dans des conditions de sûreté, de la sécurité et conformité. La filière est très convoitée par le fret aérien.
Premier B777F pour Maersk Air Cargo
De son côté, Maersk Air Cargo a également pris livraison du premier de ses B777F neufs, que la compagnie aérienne du groupe A.P. Moller-Maersk avait commandés en novembre 2021. Le deuxième est attendu au cours du troisième trimestre. Basés à Billund, les deux appareils seront déployés sur la ligne existante Europe-Chine de Maersk, entre l'aéroport danois et Hangzhou, actuellement desservie quotidiennement par des B767. Ils opèreront à raison de trois vols hebdomadaires directs dans un premier temps, puis de six vols hebdomadaires ensuite. Le groupe n'a pas donné de date précise pour l'entrée en service.
Une fois le second livré, la flotte contrôlée par Maersk Air Cargo comprendra alors deux Boeing 777F et 20 Boeing 767F. Une partie de ces appareils opère sous contrat pour UPS et d'autres expressistes en Europe. « Avec cette étape, nous entrons dans la première ligue de l'aviation de fret, s'est emballé Lars Jordahn, directeur de Maersk Air Cargo, cité dans le communiqué. Le B777F peut transporter plus du double de charge utile sur chaque vol par rapport à nos 767F, et c'est l'avion le plus efficient sur un plan énergétiques grâce aux moteurs GE90 [General Electric] »
En juin, le transporteur aérien danois a mis service un vol trois fois par semaine entre son hub de l'aéroport de Chicago Rockford et Zhengzhou, en Chine, avec une correspondance à Séoul avec des B767-300. Une liaison entre Chicago et Hangzhou via Séoul est déjà assurée de façon hebdomadaire six fois par semaine. La compagnie était entrée sur le marché américain fin 2022, en ouvrant une ligne entre Séoul et Greenville-Spartanburg en Caroline du Sud, la desserte de Shenyang en Chine ayant été intégrée ensuite. Elle est assurée par la compagnie basée à Miami Amerijet.
En avril, Maersk a ouvert un entrepôt de fret aérien de 8 500 m2 près de l'aéroport international de Miami pour transborder du fret vers l'Amérique latine, les marchandises étant transportées par la route depuis Chicago Rockford et Greenville-pour y être consolidées et réservées ensuite sur d'autres compagnies aériennes.
Au début de l'année, Maersk Air Cargo a inauguré des vols réguliers et charters depuis le Royaume-Uni avec des B767 opérant entre Billund et Birmingham. Le numéro deux mondial dans le conteneur s’est fixé pour objectif de transporter un tiers du tonnage aérien de la compagnie avec ses propres avions-cargos, y compris des avions exploités par des partenaires dans le cadre d'accords d'affrètement à long terme.
Évolution du taux de fret aérien par corridors. Tous les prix étaient à la baisse en juin selon le relevé effectué par Upply, mais à des niveaux bien inférieurs à un an auparavant. Seule la route Asie-Europe est restée en territoire positif, mais là encore avec une croissance bien plus faible. ©compilation réalisée par Upply
Un marché en reprise
Le fret aérien est en convalescence (cf.plus bas) après de très longs mois difficiles. Depuis le début de l'année, les volumes de fret sont de retour au vert et en hausse d'environ 12 % par rapport à la même période de l'année précédente et sont restés élevés pendant les mois d'été, traditionnellement lents. La demande d'avions tout-cargo est restée forte, même si l'afflux estival de capacité dans les soutes des avions passagers a fait baisser les tarifs.
L’espace à bord est très recherché alors que les grandes plateformes de commerce électronique et les grands logisticiens réservent de plus en plus souvent des avions entiers dans le cadre de contrats plurimensuels. La demande s'est par ailleurs intensifiée cette année en raison du déroutement massif et contraint de la flotte de porte-conteneurs par la pointe de l’Afrique australe de façon à éviter la mer Rouge rendue inhospitalière par les attaques des rebelles houthis.
Le passage par Bonne Espérance allonge l’itinéraire de 11 758 mn, soit 43 jours contre 8 301 mn et 34 jours pour la route maritime traditionnelle entre la Chine et l'Europe. La situation favorise l’avion pour le fret soumis à des contraintes de temps. Or, la perspective des fêtes de fin d’année rend nerveux les détaillants qui craignent pour leurs stocks.
« En raison des perturbations dans la logistique, un nombre croissant de chargeurs choisissent de rationaliser leur chaîne d'approvisionnement en réduisant le nombre de leurs fournisseurs de façon à pouvoir réagir plus rapidement ... en cas de problèmes. Le fret aérien répond à cette demande de flexibilité et de résilience », se réjouit Narin Phol, chef de produit pour la logistique et les services chez Maersk, qui y voit une confirmation de la stratégie de logistique intégrée de son groupe.
Adeline Descamps
*CMA CGM a déclaré à l'AMF le 30 juin avoir franchi le seuil de 10 % des droits de vote et détenir 8,8 % du capital et 12,83 % des droits de vote d'Air France-KLM. Le groupe n'envisage de procéder à des acquisitions de titres d'ici la fin de l'année, ni de demander la nomination d'un représentant au conseil d'administration.
Le fret aérien sur le chemin d'une franche reprise ?
Les dernières données publiées par Iata, basées sur le mois de juin (mais sans consolidation semestrielle), faisaient état d’une croissance de la demande totale en tonnes-kilomètres de chargement (CTK) de 14,1 % par rapport à juin 2023 (et de 15,6 % pour les opérations internationales). La capacité, mesurée en tonnes-kilomètres de chargement offertes (ACTK), a augmenté de 8,8 % par rapport à juin 2023 (10,8 % pour les opérations internationales). Des données à replacer dans le contexte de l’année 2023 particulièrement faible.
Depuis quelques mois, le fret aérien profite à la fois des contraintes du transport maritime (crise en mer rouge et perturbations en mer qui en découlent) et de l’essor du commerce électronique en dépit des mesures frontalières très strictes imposées aux livraisons de commerce électronique en provenance de Chine, d'un environnement géopolitique compliqué et des données de conjoncture mitigées.
Conjoncture versatile
Si l'indice PMI de la production manufacturière mondiale est resté en territoire d’expansion, en s’établissant au-delà des 50 points séparant la contraction de la croissance (52,3 points en juin, 52,8 en mai), son équivalent pour les nouvelles commandes à l'exportation, qui reflète les tendances du commerce international, est passé en territoire critique (49,3 points), y compris pour les directeurs d'achat américains, où la reprise économique est pourtant forte. En Chine, les professionnels paraissent plus optimistes malgré une situation économique contrastée avec un marché domestique marqué par le chômage, la faible croissance des revenus et la crise immobilière.
Toutes les régions en hausse
Dans ce contexte, les transporteurs d’Asie-Pacifique ont vu en juin la demande de transport de fret augmenter de 17 % en glissement annuel face à une offre en hausse de 10,7 %. C’est la plus forte augmentation, toutes régions confondues. Le corridor entre l’Afrique et l’Asie est en hausse de 37,5 % tandis que les trade Europe–Asie, intra-Asie et Moyen-Orient–Asie ont progressé de 20,3 %, 21 % et de 15,1 % respectivement.
Inversement, les exploitants nord-américains ont enregistré une des croissances régionales les plus faibles (+ 9,5 %) tandis que la capacité s’est étoffée de 6 %. La demande sur les routes entre l’Amérique du Nord et l’Europe a progressé 6,7 %. Mais le corridor transpacifique entre Asie et Amérique du Nord – le plus demandé –, a réalisé sa plus belle percée en cinq mois (+ 12,8 % en glissement annuel).
De leur côté, les transporteurs européens ont connu une hausse de la demande de 16,1 % en glissement annuel tandis que celle de la capacité a été près de deux fois moins. Le trafic intra-européen a bondi de 16,7 % par rapport à juin 2023, pour le sixième mois consécutif sur un trend à deux chiffres. Les routes entre l’Europe et le Moyen-Orient et entre l’Europe et l’Asie ont bondi de 30,2 % et de 20,3 % respectivement.
L'Amérique latine est en croissance de 13,1 % mais la progression de l'offre y a été plus importante (+ 15,5 % d’une année sur l’autre). La région affiche en revanche la deuxième plus importante poussée de la demande internationale, soit 17,2 % en juin, en hausse de 6,3 % par rapport au mois précédent.
Les transporteurs d’Afrique ont enregistré une croissance de 11,8 % du trafic pour une offre en forte hausse (+ 23,8 %). La demande sur le marché Afrique–Asie a augmenté de 37,5 % par rapport à juin 2023, soit le corridor le plus performant.
Selon l’IATA, la recette unitaire moyenne, tous axes confondus et surcharges incluses, a augmenté de 0,8 % en glissement mensuel et de 4,7 % sur une base annuelle (toujours par rapport à une année 2023 difficile).
Adeline Descamps
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