CMA CGM a confiance dans son activité et le marché aérien alors qu’on lui prêtait quelques signes de détresse dans ce domaine ces derniers temps, du moins de grande instabilité, faute de « pédagogie » sur ses tâtonnements.
Fin de l'alliance avec Air France-KLM Cargo
La rupture des accords existants entre la jeune compagnie aérienne créée en 2021 par l’armateur français et Air France KLM Cargo, effective depuis le 31 mars, quelques mois à peine après les avoir formalisés et alors qu’ils étaient prévus sur dix ans, a jeté un trouble.
La ou les raison(s) évoquée(s) n’ont pas davantage éclairé et encore moins convaincu les observateurs les plus critiques, ceux qui ont vu dans ce pool rien d’autre qu’une externalisation totale des opérations aériennes du groupe marseillais de transport et logistique au transporteur aérien franco-néerlandais.
Les deux mastodontes tricolores avaient invoqué une « incapacité à fonctionner de manière optimale » en raison d’un « environnement réglementaire contraint » sur certains « marchés importants », à commencer par la desserte de l’Amérique du Nord (États-Unis, Mexique, Canada), n’ayant pas obtenu le feu vert réglementaire, ce qui vidait l'alliance de sens commercial au regard du poids du marché outre-Atlantique dans le fret aérien.
Rupture de contrat avec le GSA
Puis en février, l’annonce de la cessation à partir de ce mois d’avril du contrat qui liait CMA CGM Air Cargo à son general sales agent (GSA) European Cargo Services (ECS) alors même qu’il s’affranchissait des ailes expérimentées d'Air France-KLM, a encore surpris.
CMA CGM Air Cargo faisait valoir la volonté de reprendre la main sur la commercialisation de ses soutes. Le recours au GSA peut être onéreux dans des conditions de marché difficiles, comme actuellement, certaines compagnies aériennes affirmant d'ailleurs limiter les commissions à un maximum de 2 ou 3 %.
Concomitance des agendas entre deux des leaders de la ligne régulière maritime, CMA CGM et MSC avaient annoncé, de façon quasi simultanée, se séparer de leur GSA (1,2 Mt de commercialisés en 2023), en l’occurrence le même. À quelques détails près, la maison-mère marseillaise avait en outre signé un accord de réservation d’espaces (blocked space agreement) à bord de ses avions avec Ceva Logistics, de façon à garantir à sa filiale commissionnaire un volume de chargement déterminé sur chaque vol, qu'il soit entièrement occupé ou non. Ce qui n’est pas neutre pour la capacité à opérer de l’agent commercial, sans évoquer les réticences des transitaires quant au partage des informations contractuelles.
Retour au GSA
Puis nouveau revirement, le groupe marseillais et la filiale de la société de capital-investissement Naxicap ont finalement repris mot et signé un nouvel accord, avec effet au 1er avril, en relais du précédent. Il repose cette fois sur une coopération à la carte, à la durée non précisée (en dépit de nos demandes).
ECS évoque de son côté un contrat sur-mesure, « une solution créative et hybride » qui s’adapte aux fluctuations du marché et aux spécificités locales. Ainsi, « dans certains pays, tels que la France, l'Allemagne et la Chine, CMA CGM fera ses propres ventes », avec le soutien d'ECS en matière de back-office et d'outils numériques. Mais l'agent ne dit pas qui assure la commercialisation du marché américain.
Turn-over des dirigeants
Et enfin, la valse de ses dirigeants, quels qu’en soit les motifs – Olivier Casanova, Mark Sutch (ex de Cathay), Guillaume Lathelize, Peter Penseel, directeur de l'exploitation des activités de fret aérien, ce dernier débauché selon la version officielle par Delta Cargo –, n’a pas été de nature à rafraichir l’air.
Fin de la mauvaise séquence
La compagnie, placée depuis la fin de l’année dernière sous la responsabilité de Damien Mazaudier, l’ex-directeur financier de la division pilotant des terminaux portuaires chez CMA CGM, clôt cette séquence à signaux négatifs en annonçant l’arrivée de trois B777-200F, dont le premier livré en juin prochain avant le début de la haute saison, et le dernier début 2025.
Le premier sera exploité dès l’été 2024 sur une ligne transpacifique dont le transporteur annonce ainsi le lancement. Il reliera Hong Kong, Chicago, et Séoul.
Le second appareil devrait être réceptionné au cours du dernier trimestre de cette année et sera également déployé sur le transpacifique.
Les vols seront opérés par la société Atlas Air, une filiale du loueur d’avions Atlas Air Worldwide, CMA CGM décrochant par ce biais son pass d’entrée pour la desserte outre-Atlantique, que le partenariat avec Air France KLM Cargo bloquait (dans un contexte où les autorités américaines étaient peu enclines à autoriser l’alliance transatlantique Air France-KLM-Delta-Virgin Atlantic).
Décidément, certaines trajectoires sont rectilignes. MSC, le groupe suisse de la famille Aponté a aussi contracté avec Atlas Air dans le cadre d'un accord d’affrètement ACMI (Aircraft, Crew, Maintenance and Insurance) à long terme, c’est-à-dire avec la location de l'appareil, de l'équipage, de la maintenance et des assurances.
Huit A350F livrés entre 2026 et 2027
« Ce lancement sur un axe stratégique pour le fret aérien marque l’accélération du développement de CMA CGM Air Cargo », indique le communiqué du groupe.
Ce dernier évoque par ailleurs la livraison de huit A350F entre 2026 et 2027 alors que seuls quatre commandes étaient à ce jour connues.
CMA CGM est l’une des compagnies de lancement du nouvel appareil native d’Airbus. Par rapport au B777F (charge utile de 102 t), l’A350F, plus long de près de 7 m, a une capacité d’emport supérieure de 10 % (695 m3) et une charge utile de 109 t. Il est aussi, selon l’avionneur européen, le plus efficient du marché sur un plan environnemental (le seul gros porteur en mesure de respecter les normes de CO2 établies par l'OACI, qui entreront en vigueur dès 2028) et donc plus économe en coûts d’exploitation malgré son rayon d’action de 9 000 km.
Cinq freighters en service
CMA CGM Air Cargo, qui aligne cinq freighters en service (deux B777F et trois A330F) avec 120 pilotes, renforce ainsi son offre long-courrier et complète ses « produits » pour pouvoir répondre à la demande de différents types de fret.
La flotte actuellement en service : Europe-Asie
Basés à Paris-Charles de Gaulle (CDG), les B777F actuellement en service assurent des liaisons entre l'Europe et la Chine à raison de cinq vols par semaine vers Hong Kong et quatre vers Shanghai.
Quant aux trois A330F, deux font l’objet d’un contrat d’affrétement tandis que le troisième opère entre Paris, Mumbai (Inde) et Guangzhou (au nord-est de Hong Kong) à raison de trois départs hebdomadaires.
Marché difficile
La commercialisation du fret aérien n’est pas facile en ce moment, d’autant que selon les données de marché, 40 % de l'activité relèverait du commerce électronique, marché couvert par les géants du secteur (à l'instar d'Amazon) tandis que les autres segments souffrent de la conjoncture.
Le fret aérien sort d’une année 2023 compliquée, validant le processus de normalisation après les pics fabuleux de 2020 et 2021, au cours desquelles les chargeurs s’étaient tournés avec empressement vers le transport aérien pour fuir les perturbations en mer : manque de navires face à une demande écrasante complètement imprévue, retards, congestion des ports, explosion des prix du transport, livraisons incertaines…
Selon les données publiées par l’Association du transport aérien international (Iata), la demande mondiale, mesurée en tonnes-kilomètres de fret (tkm), s’est repliée de 1,9 % l’an dernier, une baisse cependant bien plus modérée que les 8 % enregistrés en 2022.
Si les mois de décembre (+ 10,8 % p/r à 2023) et de janvier (dernières données diffusées par l’Iata) ont présenté de meilleures perspectives, la reprise du transport aérien est fragile, a signifié Willie Walsh, le directeur général de l’Iata à l'occasion de la publication des résultats le 31 janvier 2024.
« Avec l’instabilité persistante, et parfois même croissante, des forces géopolitiques et économiques, il ne faut rien tenir pour acquis dans les mois qui viennent ».
L'escalade des tensions géopolitiques, l'inflation économique, les pénuries de main d’œuvre (pilotes) et une année marquée par des élections décisives (dont celles des États-Unis, un des candidats étant connu pour sa main leste sur les droits de douane) vont avoir une incidence directe sur l'offre et la demande mondiales de fret, a-t-il signifié.
20,8 milliards de tonnes-kilomètres en janvier
Avec un trafic total de 20,8 milliards tkm, le mois de janvier a démarré en repli de 8,8 % par rapport au traditionnel pic saisonnier de décembre, mais en croissance de 18,4 % en glissement annuel et de 2,8 % par rapport à la référence prépandémique de janvier 2019. Il faut toutefois pondérer cette croissance, qui peut être partiellement attribuée à un effet de base, le fret aérien ayant été à la peine en janvier 2023.
En ce début d’année, la navigation en mer, soumise à d’intenses pressions (attaques des Houthis, déroutement par le cap de Bonne-Espérance, allongement des délais) créent les conditions, pour certaines voies commerciales, d’un report modal vers le fret aérien (tout cargo ou des solutions combinées mer/air), surtout pour le fret sensible au temps de transit ou au froid.
En janvier 2024, le trafic ayant outre augmenté plus vite que les capacités (en hausse de 14,6 % à 44,6 milliards de tkm), le coefficient de remplissage a gagné 1,4 points de pourcentage (détails plus bas).
Des taux de fret en repli
Malgré la croissance du trafic supérieure à celle de l’offre et un prix du kérosène en hausse, les recettes unitaires (surcharges incluses) ont chuté de 10,4 % en janvier (- 8,8 % entre Asie et Europe et – 15 % entre Europe et Amérique du Nord) par rapport au mois précédent et de 23,5 % par rapport à janvier 2023.
Il reste que l’air économique ambiant reste lourd (cf. plus bas). Les signes d'amélioration ne sont pas encore de nature à confirmer sans nuances l’envol du fret aérien cette année.
Adeline Descamps
Fret aérien : toutes les voies commerciales en profitent
La croissance du trafic international au mois de janvier (+ 19,8 % en glissement annuel) a profité aux compagnies aériennes de toutes les régions et à toutes les voies commerciales, mais pas avec les niveaux de performance. L’effet « mer Rouge » semble avoir opéré à plein, les compagnies moyen-orientales et asiatiques se distinguant avec des croissances dépassant le seuil des 20 %.
En janvier, les axes Afrique-Asie et Moyen-Orient-Europe ont vu leur trafic bondir respectivement de 52,5 % et 46,1 %. Les lignes Moyen-Orient-Asie (+ 29,5 % sur un an) et Europe-Asie (+ 27,5 %) affichent également des performances très supérieures à la moyenne.
Logiquement car moins affectées par la situation en mer Rouge, les compagnies nord-américaines (+ 14,5 % en Amérique du Nord en tkm) et européennes (+ 16,9 %) tirent moins leur épingle du jeu. Le trafic entre l’Asie et l’Amérique du Nord a progressé dans des proportions moindres (+ 17,1 %). L’axe Amérique du Nord-Europe reste à la traîne (+ 3,5 %). Les compagnies européennes sont par ailleurs les seules à enregistrer une demande inférieure au niveau prépandémique.
Sur le front économique
Il reste que sur le front économique, l'avenir s'inscrit en pointillé. L'activité manufacturière en Chine est repartie à la hausse en mars pour la première fois en six mois, selon des données officielles publiées ces derniers jours. L'indice des directeurs d'achat (PMI), reflet de la santé du monde industriel, s'est établi à 50,8 points, a annoncé le Bureau national des statistiques (BNS), un rebond significatif par rapport à février (49,1).
Surtout, la seconde puissance économique mondiale a franchi le rubicond des 50 points, barre délimitant l’expansion de l'activité manufacturière de la contraction. Le PMI n'avait plus été en territoire positif depuis septembre 2023. Mais le souffle tant espéré depuis la pandémie reste court. L’économie bute désormais sur une confiance morose des ménages et des entreprises et une consommation sans tonus
En mars, les ventes de produits et services chinois destinées à l'export ont baissé de 7,5 % en un an, selon les données en valeur publiées par les Douanes chinoises., Les importations sont aussi dans le rouge, en repli de 1,9 % en un an.
Aux États-Unis, la production est repartie à la hausse au mois de mars, après 16 mois de contraction consécutifs, sous l'effet d'une hausse des commandes, selon les données publiées lundi par la fédération professionnelle ISM. L'indice mesurant cette activité est repassé au-dessus de la barre des 50 %, au-delà de laquelle l'activité est en croissance.
Signe de la tendance, quatre des six principaux secteurs manufacturiers étaient en croissance en mars, représentant au total près de 55 % du PIB de l'industrie américaine.
Dans la zone euro, la production des fabricants s'est encore repliée en mars, pour un douzième mois consécutif et la « baisse a conservé un rythme soutenu », souligne l'indice PMI Flash publié ces derniers jours par S&P Global. À 49,9, il reste en contraction. Les deux poids lourds de la zone, Allemagne et France, sont les seuls à voir leur situation encore se dégrader dans la zone.
A.D.
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