Brittany Ferries enclenche sur son nouveau métier d’opérateur ferroviaire de l’arc atlantique. Un projet contrarié ces dernières années par plusieurs contretemps, et non des moindres, le Brexit et une pandémie qui a mis le ferry sur un mode « stop and go » pendant de longs mois. La compagnie transmanche a signé le 20 janvier la commande portant sur la fabrication de 47 wagons Modalohr, 22 cette année et 25 en 2024.
L’intention d’exploiter une autoroute ferroviaire entre le Pays basque français, le Royaume-Uni et l’Irlande via le port de Cherbourg avait été présentée il y a exactement trois ans à l’occasion de vœux aux élus normands.
Après le vide imposé par la pandémie, le projet avait été relancé en mars 2022 à l’occasion de la visite du ministre des Transports, alors Jean-Baptiste Djebarri. Ports de Normandie, l’autorité portuaire de Cherbourg, Caen et Dieppe, avait annoncé à cette occasion la construction au port de Cherbourg d’un terminal ferroviaire à partir de mars 2023, dont Brittany Ferries sera le propriétaire. Les travaux sont financés par les collectivités de la région normande*.
Un service ferroviaire en extension maritime
L’exploitation de ce terminal avait fait l’objet, en 2019, d’un appel à manifestations d’intérêt auquel Brittany Ferries avait répondu en proposant précisément un service ferroviaire en extension terrestre des traversées maritimes de la Manche. Avec ce projet, la compagnie bretonne cherche à développer, sur l’axe atlantique, un trafic de semi-remorques non-accompagnées « fournies » par les ferries de la compagnie opérant sur les lignes entre Poole, Portsmouth (Royaume-Uni), Rosslare (Irlande) et Cherbourg.
La pandémie a certes expliqué des retards mais la voie ferroviaire de 950 km de long nécessite en outre des travaux qui tardent. Le gestionnaire français des infrastructures ferroviaires SNCF Réseau s’est engagé, moyennant 30 M€ d’investissements, à adapter des ponts qui n’offrent pas une hauteur libre suffisante pour le passage des remorques sur wagons Lohr, et quatre tunnels, en particulier entre Poitiers et Bordeaux, d’ici à 2027. Dans un premier temps, l’autoroute ferroviaire passera par Niort et Saintes (à partir de 2024) avant de transiter via Angoulême, selon son itinéraire définitif.
Des sillons à ajuster aux horaires des ferries
Les sillons doivent aussi être adaptés pour être en correspondance avec les horaires des ferries de Brittany ferries « tout en évitant les mouvements de navettes à l’arrivée ou au départ de Cherbourg aux périodes de pointe du trafic routier », précise la compagnie.
Le plan de transport comprend des rames de 21 wagons Lohr « permettant de transporter 42 semi-remorques chargées et déchargées par roulage avec les mêmes outils de manutention horizontale que dans les ports ». Sans devoir être soulevés donc. La traction des trains se fera par des locomotives diesel/électrique, car certaines sections de ligne empruntées ne sont pas encore électrifiées.
Mise en service en 2024
Le lancement de l’autoroute ferroviaire entre Cherbourg et Bayonne est prévu pour l’été 2024. À raison d’une liaison aller-retour par jour, six jours sur sept, cette autoroute ferroviaire vise 20 000 remorques par an. Il restera à gérer le fret retour.
Avec ce projet, Brittany Ferries s’ancre un peu plus entre îles britanniques et la péninsule ibérique, son deuxième fonds de commerce, après celui des liaisons franco-britanniques. Ce qu’a fait Grimaldi sur un axe Italie-Espagne, compare Paul Tourret, le directeur de l’Isemar, dans un décryptage sur le roulier en Europe. Mais avec encore plus de sens, en devenant un transporteur multimodal de l’arc atlantique.
Trois nouvelles autoroutes ferroviaires ont bénéficié du plan de relance français depuis 2020 au titre du ferroviaire : Cherbourg-Mouguerre, Sète-Calais et Rungis–Perpignan. Dans le cadre du Green Deal européen, l’investissement pour la réalisation des terminaux de ferroutage doit bénéficier en outre de soutien en lien avec la stratégie européenne sur les corridors du réseau TEN-T et le budget transport CEF (Connecting European Facility).
Adeline Descamps
*Pour Ports de Normandie, l’investissement représente près de 13 M€, financés par la région Normandie (1,7 M€), le département de la Manche (850 K€), l’agglomération du Cotentin (285 K€) et une part d’autofinancement (8,7 M€). L'Union européenne intervient par ailleurs à hauteur de 1,4 M€ (inclus aux 13 M€), Cherbourg Port participe à hauteur de 4 M€, soit 17 M€ au total.