« Guerre Russie-Ukraine, épisode 185 264, saison 21 », titre BRS à raison dans une note hebdomadaire, en référence aux oscillations de ladite « initiative céréalière ». Depuis juillet 2022, via un accord signé sous l'égide de l'ONU et avec la médiation de la Turquie, les deux belligérants se sont engagés à respecter la mise en œuvre d'un corridor maritime sécurisé pour permettre aux céréales ukrainiennes de sortir du pays et transiter par la mer Noire.
Cet accord est capital. La région est le grenier à blé du monde – 10 % du marché du blé, 15 % du maïs et 13 % de l'orge –, dont dépendent de nombreux pays en voie de développement. Mais il est sans cesse sur la brèche, au bord de la rupture.
La Russie en demande de réciprocité
À chaque échéance de son terme ressurgissent les sources de conflits. Les autorités russes, qui se défendent d’utiliser le blé comme une arme géopolitique, menacent de se retirer, exigeant des contreparties sous la forme de levée des sanctions internationales qui entravent les exportations de ses propres céréales et celle de ses engrais ainsi que les entrées de matériels agricoles.
Sans être formellement interdites, les transactions sont de facto bridées par les restrictions financières, logistiques et d'assurance imposées au pays de Vladimir Poutine.
Prochaine échéance le 18 mai
Depuis son entrée en vigueur en août 2022, l’accord a été renouvelé à deux reprises et pour une durée à chaque fois plus courte. La dernière prolongation a été décidée au début du mois de mars pour 60 jours au lieu des 120 prévus à l’origine par l’accord.
La prochaine échéance a été fixée au 18 mai. Un nouveau cycle de négociations s’est ouvert et les autorités russes profitent de cette fenêtre médiatique pour rappeler (à nouveau) que l’accord est déloyal. Ainsi, la Russie a d’ores et déjà fait savoir qu'elle ne donnerait pas son accord à une prorogation, les sanctions n'ayant pas été levées.
Une solution pour le paiement avec JP Morgan
Une solution pourrait cependant obtenir l'adhésion. Selon Reuters, La banque américaine JPMorgan Chase & Co aurait traité le premier paiement pour le compte de la Banque agricole russe Rosselkhozbank, exclue du système de paiement international Swift par l'Union européenne en juin 2022. C’est notamment une des demandes du Kremlin dans sa liste de points à négocier avec les Nations unies.
Selon un document consulté par l'agence de presse, l'ONU travaille actuellement avec la Rosselkhozbank pour préparer une quarantaine de paiements similaires.
Mais aucune des parties prenantes de cette concession n’a accepté de confirmer à ce stade, pas même l’ONU. Seul le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, reconnaît que la solution a été évoquée mais il ne l’estime pas opérable dans le temps.
Contexte de surchauffe européen
Les sanctions de l'Union européenne et des États-Unis ont rendu le secteur privé méfiant à l'égard de toute transaction avec la Russie, y compris quand elle est autorisée. Quand elle l’est, il s’agit bien souvent d’un cadre strictement défini, source de complexités administratives.
Cet énième climax dans un film sans fin survient dans un contexte de surchauffe sur un autre plan, Bruxelles tentant de canaliser certains des États membres de l’UE – Pologne, Hongrie, Slovaquie, Bulgarie et la Roumanie (solidaire des revendications mais qui n’avait pas fermé ses portes) –, qui ont décidé d'interdire les entrées de céréales ukrainiennes, moins chères, pour protéger leur marché intérieur. Ils se trouvent de facto en infraction avec les règles qui régissent le libre-échange au sein de l'UE, où les décisions en matière de politique commerciale ne peuvent pas être prises unilatéralement.
Vague de céréales dans les pays européens
Exonérées des droits de douane aux frontières de l'UE, les céréales de la mer Noire ont inondé les marchés riverains alors qu’à l’origine elles devaient être destinées aux pays en voie de développement où le blé est un élément vital au bol alimentaire et un facteur de stabilité dans des pays où la faim pousse aux guerres.
Les prix des denrées alimentaires ont atteint des niveaux record l'année dernière mais ont depuis retrouvé leur niveau d'avant-guerre.
100 M€ d'indemnisation
Pour apaiser les tensions entre ses membres, Bruxelles s'est engagé à indemniser les agriculteurs locaux des cinq pays les plus touchés de l’UE, qui se retrouvent avec des excédents agricoles importants, en leur accordant une enveloppe de 100 M€. Cette aide fait suite à un programme de 56 M€ mis en place au début de l'année, ainsi qu'à des plans d'aide nationaux financés en partie par l'assouplissement des règles de l'UE en matière d'aides d'État.
Des restrictions jusqu'au 5 juin
Parallèlement, la Commission a émis des restrictions jusqu'au 5 juin. Ainsi, seuls le blé, le maïs, les graines oléagineuses et les graines de tournesol ukrainiens seront autorisés à être vendus à n'importe quel autre pays de l'Union des 27, excepté aux cinq pays impactés.
« Les produits pourront circuler ou transiter par ces cinq États membres au moyen d'un régime douanier commun de transit ou se diriger vers un pays ou un territoire extérieur à l'UE », a précisé l’exécutif européen.
Le ministre ukrainien de l'Agriculture, Mykola Solskyi, qui a rencontré ses homologues dans les pays voisins, a reconnu que « les agriculteurs polonais se trouvent dans une situation difficile » mais tout en ajoutant « que les agriculteurs ukrainiens subissent d'énormes pertes [...] et meurent dans leurs champs à cause des mines russes ».
9,1 Mt importés par l'UE
À fin avril, l'UE avait importé 9,1 Mt de blé au cours de la campagne de commercialisation 2022-23 (juillet-juin), soit une hausse de 164 % par rapport à l'année précédente. Sur le volume total importé, l'Ukraine a fourni 4,7 Mt.
L'UE a par ailleurs acheté 22,6 Mt de maïs, des volumes en hausse de 72 % par rapport à l'année précédente. Le voisin ukrainien y a contribué à hauteur de 12,5 Mt, contre 7 Mt lors de la campagne précédente.
Selon les données du Centre de coordination conjoint de l'accord (JCC, Joint Cargo Commitee), le nombre de navires a chuté la semaine dernière semaine à deux navires par jour, contre trois à quatre en moyenne par jour au cours des trois dernières semaines. Le ralentissement se produit à chaque approche du terme de l'accord.
Selon Shipfix, plateforme de données sur le transport maritime et les matières premières, il y a actuellement 107 commandes de navires pour le transport de céréales sur le marché, dont 94 pour le mois de mai.
Adeline Descamps