Dans le futur rapport d’activité de Bolloré, quelques photos auront peut-être disparu de la couverture. Plus de ports, plus d’opérations aériennes, plus une trace évoquant un semblant de marchandises. Après avoir cédé son royaume portuaire en Afrique (Bolloré Africa Logistics) à MSC, le groupe français pourrait lâcher les derniers assets qui le relient encore à sa grande histoire : la commission de transport et la logistique, s’il acceptait « l’offre d’achat spontanée » de CMA CGM pour son pôle Bolloré Logistics, sur la base d’une valeur d’entreprise de 5 Md€.
Le groupe CMA CGM a annoncé en milieu de journée de ce 18 avril être entré en discussions exclusives en vue de l’acquisition du pôle Bolloré Logistics. Un communiqué de Bolloré, groupe coté en Bourse, parvenu deux heures plus tard confirmait avoir reçu cette offre et avoir entamé les procédures contractuelles « pour que CMA CGM puisse remettre, le cas échéant, une promesse d’achat correspondante autour du 8 mai 2023 ». La communication paraît précipitée et surtout inhabituelle pour deux entreprises connues pour leur discrétion sur leurs affaires. Il se pourrait qu'elle ait été provoquée par une sortie d'un article du Marin, publié moins d'une heure avant l'information laconique de CMA CGM.
Le conseil d’administration de Bolloré devait se réunir ce mardi 18 avril (cf. plus bas) pour arrêter sa décision et motiver son avis à l’attention de ses actionnaires, indique le communiqué. Quelque 288 607 076 actions sont concernées par l'opération, représentant 9,78 % de son capital social. « Il sera proposé au conseil d’administration d’ajouter au prix de 5,75 € par action visée, un complément de prix de 0,25 € » si la transaction aboutit.
CMA CGM en force dans la logistique
Si l’opération, qui reste conditionnée aux autorisations réglementaires et aux procédures classiques d’information et de consultation des instances représentatives du personnel, se concrétisait, le groupe présidé et dirigé par Cyrille Bolloré ne conserverait « que » ses activités dans la logistique pétrolière, les systèmes de sécurité, et surtout son empire dans la communication avec le groupe Vivendi (dont il est actionnaire à hauteur de 29,61 %) aux actifs dans la télévision et le cinéma (Groupe Canal+), la communication (Havas Group), l’édition (Editis), la presse magazine (Prisma Media), les jeux vidéo (Gameloft), ou encore la distribution de contenus (Dailymotion).
De son côté, si les négociations aboutissaient, l’armateur français de porte-conteneurs, numéro trois mondial de la ligne régulière, consoliderait puissamment le pôle logistique qu’il construit progressivement autour de l’ex-commissionnaire suisse Ceva Logistics (7e rang mondial par les volume maritimes et aériens transportés, 1,26 MEVP, 474 000 Mt, selon Armstrong&Associates), qu’il avait sauvé en 2018 de la convoitise du danois DSV et étoffé depuis par plusieurs acquisitions dans le secteur du retail (CLS Ingram), de la logistique des véhicules finis (Gefco) et de la livraison du dernier kilomètre (Colis Privé).
35 % du chiffre d'affaires du groupe Bolloré
Avec Bolloré Logistics – 47 % des effectifs (13 500 personnes), 35 % du chiffre d’affaires en 2022 (7,1 Md€), 714 M€ de résultat opérationnel ajusté (en 2021, dernières données disponibles) –, CMA CGM met la main sur l’un des cinq premiers groupes européens et des quinze premiers mondiaux (et non dix comme l'affirme le groupe français) avec 656 000 t en aérien et 826 000 EVP en fret maritime.
Le groupe de transport et logistique qu’est devenu CMA CGM pourrait aussi accroître son parc d’entrepôt avec plus d’un million de m² répartis dans 111 pays.
Parmi les cinq premiers européens
Dans le transport et la logistique, Bolloré a pris de la stature en tant qu’acteur de la logistique globale au gré d’opérations de croissance externe pour élargir son rayon d’action géographique et son périmètre d’intervention (logistique de projets industriels pour les secteurs de l’énergie, de l’industrie minière, du BTP ; fret sensible pour la pharma pour laquelle il a installé à Strasbourg un hub logistique européen, etc.) et de ses investissements dans les infrastructures (multimodal).
Le groupe se séparerait d’une activité, qui a largement porté sa croissance ces derniers temps, dopé par la pandémie. Les résultats de l’année 2022 sont à l’avenant du contexte : augmentation significative des prix et des volumes dans l’aérien, forts niveaux d’activité sur ses secteurs phare (santé, luxe, aéronautique et cosmétique), forte appréciation des taux de fret dans le maritime, reprise de la croissance dans la logistique contractuelle, tirée par ses zones de confort.
Un secteur agité
Encore insuffisamment consolidé, le secteur de la commission de transport est particulièrement agité ces derniers mois. En témoigne le bruit médiatique autour de la vente de DB Shenker (2,05 MEVP et 1,094 Mt en aérien, données 2021) depuis que le conseil de surveillance de sa maison-mère, la Deutsche Bahn à l’endettement colossal (30,5 Md€ fin juin 2022), a donné le blanc-seing à l’opération.
Adeline Descamps
Actualisation le 19 avril : le conseil d'administration rend un avis favorable
Le conseil d'administration de Bolloré SE, qui s'est réuni, le 18 avril, afin d'arrêter sa décision sur le projet d'offre publique de CMA CGM visant ses propres actions, a conclu « au caractère équitable du prix offert », et a rendu à l'unanimité de ses membres un avis favorable, recommandant aux actionnaires de « saisir cette opportunité de liquidité partielle ».
Par ailleurs, Bolloré avait annoncé en mars son intention de racheter 9,78 % de son capital dans le cadre d'une offre publique d'achat simplifiée (OPAS), après avoir enregistré en 2022 une plus-value exceptionnelle liée à la cession de ses activités de transport et logistique en Afrique. L'OPA publique porte sur un peu de 290 000 actions,.
LLe prix l’action a été fixée à 5,75 € auquel s’ajoutera un complément de prix de 0,25 euro si l’offre reçue de CMA se concrétise et aboutit à la vente.
L'assemblée générale mixte des actionnaires se verra en outre proposer le 24 mai, la distribution d'un dividende complémentaire de 0,04 euro par action, payé le 6 juillet.
L'action a clôturé la journée du 18 avril à 6,09 €, soit en croissance de 5,27 %.