Quelques jours avant des réunions importantes à l’OMI sur les efforts à consentir par le transport maritime pour réduire ses émissions carbone à court terme, les langues se délient…Certains armateurs se disent ouverts à une réglementation européenne sur la décarbonation du transport maritime. Des voix discordantes.
Sur le sujet d’une taxation du transport maritime par l’UE, il y a peu de voix dissonantes chez les armateurs mais elles portent néanmoins. Depuis que les eurodéputés européens ont majoritairement voté pour inclure le transport maritime dans le système d'échange de quotas d'émission de l'Union, le SCEQE, à partir de 2022, les réactions de désaccord pleuvent dans une tessiture de baryton-basse. Le secteur admet d’être taxé pour les émissions carbone qu’il génère mais l’« affaire », estiment les principaux concernés dans leur grande majorité, doit être négociée à l’échelle internationale dans les enceintes de l’OMI et la taxe doit faire l’objet d’une application au niveau mondial.
Ioannis Plakiotakis, le ministre grec des Transports maritimes – une des grandes nations du shipping, faut-il le rappeler – le répétait il y a encore quelques jours dans un débat organisé par la Chambre internationale de la marine marchande (ICS), instance d’armateurs : les quotas européens vont inciter d'autres parties du monde à introduire un tarif similaire en réaction. Ils sont nombreux à le penser et ces dernières semaines, ils l’ont répété à qui présentait un micro : exit les législations « régionales » ou « nationales » sur le climat qui vont engendrer plusieurs systèmes distincts et pourraient fausser la concurrence.
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Accepter et influencer
Dans ce concert de nations unanimes, des accents différents se font entendre. « La bataille sur les quotas de CO2 pour le transport maritime dans l'UE est perdue », a osé Lasse Kristoffersen, le PDG de Thorvald Klaveness et vice-président de l’ICS. Le dirigeant exprimait son point de vue lors du Forum mondial international (Global Maritime Forum), événement qui s’est tenu de façon virtuel du 9 au 14 octobre. Lasse Kristoffersen part du principe qu’il faut influencer les débats plutôt que de s’y opposer farouchement. Philippe-Louis Dreyfus appartient en France à cette catégorie d’armateurs qui a toujours pensé dans ce sens de façon à ne pas se voir imposer des normes par la force des choses.
Si le dirigeant de Klaveness estime qu'une taxe mondiale sur le CO2 est inévitable, il ne pense pas « nécessairement » qu’intégrer le transport maritime dans le système européen d'échange de quotas d'émission (ETS) soit la solution. Mais il estime que le premier round étant plié, la bataille porte désormais sur la manière d’y parvenir : « la question n'est pas de savoir si l'UE met en place le SCEQE pour le transport maritime, mais comment. Nous devons l'accepter, nous y engager, et peut-être pourrions-nous structurer ce mécanisme de manière à ce qu'il devienne mondial », espère-t-il.
Fataliste, il reconnaît que la lenteur des procédures de l’OMI n’est pas adaptée à la réalité du monde d’aujourd’hui. « Par rapport à l'Accord de Paris sur le climat et à certaines législations nationales, l'OMI, tant du côté des objectifs que de la réglementation, est à la traîne », a-t-il confié en aparté au média danois ShippingWatch.
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Maersk Tankers aussi...
« Nous devons faire pression pour un prix mondial du carbone. Mais comme ce n'est pas une réalité aujourd'hui, nous devons travailler en parallèle sur un plan B pour que les choses avancent dès à présent», estime aussi Christian Ingerlev, PDG de Maersk Tankers, ouvert à ce qu'une partie de la législation sur le climat soit décidée par les « acteurs régionaux et nationaux », en l’occurrence à échelle du bloc européen des Ving-sept.
Dans le même temps, Six ONG environnementales – Carbon Market Watch, Generation Climate Europe, Green Transition Denmark, NABU, Seas at Risk Transport & Environment – ont accentué la pression sur l'OMI, craignant une dilution de l'engagement pris par l'organisation en matière de réduction des émissions de carbone.
Selon les signataires du communiqué, les objectifs de 2018 – réduire de 50 % les émissions de carbone d'ici 2050 – risquent d'être abîmés la semaine prochaine lorsque l'OMI tiendra ses réunions préliminaires au Comité de protection du milieu marin, le MEPC, en novembre : « une proposition de compromis est sur la table qui permettrait au milliard de tonnes d'émissions annuelles de GES du transport maritime de continuer à augmenter pendant au moins une autre décennie, en violation de l'accord de Paris, ainsi que de la stratégie initiale de l'OMI en matière de GES », écrivent-ils.
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L’UE reporte à décembre la finalisation du compromis
Les pays de l’UE, qui ont discuté le 15 octobre pour la première fois d'une modification de l'objectif actuel consistant à réduire de 40 % d'ici 2030 les émissions de gaz à effet des Vingt-Sept, ont reporté à décembre la finalisation d'un compromis. C’est le temps qu’ils jugent nécessaires pour disposer d'informations supplémentaires sur les conséquences pour chaque pays de l'objectif qui sera défini.
Pour la Commission européenne, l'UE doit parvenir d'ici 2030 à une réduction d'au moins 55 % de ses émissions par rapport à leurs niveaux de 1990 si elle veut atteindre l'objectif d'un niveau zéro d'émission nette de gaz à effet de serre d'ici à 2050. Tous les pays souscrivent à cet objectif sauf la Pologne, particulièrement dépendante du charbon, rapporte Reuters. C’est d’ailleurs ce pays qui réclame l’analyse justifiant le report.
Les parties prenantes de la CE ont aussi confirmé que l'objectif pour 2030 serait atteint « collectivement ». Une équation pour répondre à la problématique de pays comme la République tchèque, qui se dit incapable de réaliser individuellement une réduction de 55 %.
Une fois que les dirigeants des 27 États membres seront parvenus à une position commune sur un objectif pour 2030, il leur faudra conclure un accord avec le Parlement européen, qui souhaite pour sa part une réduction des émissions de 60 %. Environ la moitié des États membres européens, notamment la France, l'Allemagne, ou l'Espagne, disent soutenir un objectif d'« au moins » 55 %.
La Commission prévoit de présenter sa proposition sur le SCEQE avant l'été prochain. Des documents ont fuité, indiquant que Bruxelles s’orienterait vers un système qui pourrait ne s'appliquer qu'au trafic maritime intra-européen.
Adeline Descamps