Être vert(ueux) coûtera cher. Et plus vite que ce que les armateurs avaient prévu lorsqu’ils se croyaient assujettis qu’aux seuls règlements de l’Organisation maritime internationale, où se régissent les normes pour le transport maritime international. L'Union européenne sera en effet la première région à imposer une taxation carbone au transport maritime, rendu responsable de quelque 3 % des émissions mondiales de CO2.
Si les propositions de la commission européenne, en cours de négociations avec le Parlement et le Conseil de l’UE, sont adoptées, le système d'échange de quotas d'émission de l'UE (ETS ou SCEQE) sera appliqué à l’ensemble des navires de plus de 5 000 de jauge brute naviguant dans les eaux européennes, quel que soit leur pavillon. Á compter du 1er janvier 2023, les exigences seront progressivement renforcées (20 % des émissions dès l’an prochain) jusqu'en 2026, date à laquelle les transporteurs devront payer pour 100 % des émissions émises entre les ports européens et 50 % entre un port européen et un d’un tiers État, avant de devoir également régler 100 % à partir de 2027.
L’UE a ainsi court-circuité l’OMI, où le consensus prend son temps. D’ici 2023, les représentants des États membres à l’OMI devraient néanmoins acter une revoyure de la stratégie de décarbonation telle qu’elle a été âprement arbitrée en 2018, en l’état bien moins exigeante que la législation européenne.
Surcharge climatique déjà annoncée
Dans le cas où les dépenses d’exploitations devaient s’établir dans la fourchette haute (14,5 Md$) des projections de Drewry, elles se matérialiseraient par un coût supplémentaire de 234 $ par EVP. Les simulations du consultant britannique, qui a développé en interne un outil de prévision des coûts spécifiques à la décarbonation et au marché carbone, se fondent sur la base de trois scénarios de futures taxes sur le carbone et pour les trois carburants verts les plus probables à ce stade (GNL, méthanol vert et ammoniac vert).
MSC et Maersk ont déjà annoncé que le coût climatique serait répercuté. Ainsi, l’armateur danois exigera une surcharge de 184 € par conteneur de 40 pieds acheminé depuis l'Europe du Nord vers les États-Unis et de 276 € sur le même trajet pour un reefer. La hausse la plus importante concerne la route reliant la côte ouest de l'Amérique du Sud à l'Europe, où le surcoût est estimé à 213 € pour un conteneur dry et de 319 € pour un reefer.
Chez MSC également, chaque trade, comprenant un certain nombre de services, aura sa propre structure de tarification. Par exemple, sur la base d’un prix de 90 € appliqué à la tonne de CO2 (prix actuel) avec une obligation visant 100 % des émissions émises, le leader mondial estime le prix à payer climatique sur la ligne de l’Asie vers l'Europe du Nord à 69 €/EVP pour les conteneurs dry et de 208 €/EVP pour les frigorifiques. De l'Europe du Nord vers l'Asie, il est estimé à 37 €/EVP et 110 €/EVP respectivement. Sur certaines routes, l’addition peut être salée, jusqu’à 500 €.
Bunker et primes d’assurance
Dans une autre étude, Drewry indique que les coûts d'exploitation journaliers moyens des transporteurs maritimes ont augmenté pour la cinquième année consécutive en 2022 pour atteindre 7 474 $, soit une hausse de 2,2 % versus 1,3 % en 2021. L’étude a passé en revue 47 types et tailles de navires.
« Cette situation est principalement liée à l'inflation généralisée ainsi qu'aux perturbations de la chaîne d'approvisionnement », indique le rapport. L'inflation des coûts a été contenue l'année dernière, notamment parce que les exploitants de navires et les propriétaires de flotte ont retardé l’échéance des travaux de maintenance pour profiter des taux de fret lucratifs.
« Une grande partie de l'augmentation des dépenses d'exploitation en 2022 est liée au prix élevé du pétrole et des huiles du fait de l’offre limitée des raffineries. Les coûts d'assurance maritime ont également augmenté, de 8 % en moyenne, après une hausse de 7 % en 2021, en raison du durcissement du marché et de la valeur des navires dans certains secteurs, ce qui a fait grimper les primes », indique le rapport.
Depuis le début de l’année, à chaque présentation de leur exercice trimestriel, les armateurs pointent le doigt vers le bunker (et tous n’ont pas la capacité de répercuter le coût via des surcharges) et les frais de détention et de surestaries. Pour la plupart, la seule « facture carburant » s’est renchérie de plus de 1 Md$ sur un seul trimestre alors que le fuel à basse teneur en soufre a pu atteindre 900 $ la tonne cette année. Quant aux coûts et frais de manutention, ils ont littéralement explosé du fait de la congestion portuaire généralisée.
Climat et salaires
Pour Drewry, d’autres postes sont en outre concernés. La mise en cale sèche coûte 6 % plus cher en 2022 en raison du nombre limité des créneaux disponibles dans les chantiers. Et l’inflation n’épargne aucune catégorie de navires : vraquiers, tankers, porte-conteneurs, méthaniers, rouliers, transporteurs de voitures...
« Á court terme, le ralentissement prévisible des échanges maritimes, à l'exception des matières premières liées à l'énergie, comme le pétrole et le gaz, affectera considérablement les comptes d'exploitation des navires », prévient-il.
Si la pression pourrait se desserrer sur certains postes à l’instar de l'assurance maritime et de la construction, les dépenses croissantes liées à la décarbonation mais aussi aux coûts salariaux, « compte tenu de la pénurie d'officiers qui se profile », vont largement absorber cette détente.
Adeline Descamps