En annonçant le 20 mars le lancement de son premier service de fret aérien régulier entre Billund au Danemark et Hangzhou en Chine à raison de trois vols hebdomadaires, Maersk Air Cargo a fait illusion en concrétisant plusieurs « premières ». Le service Eurasia a inauguré une liaison entre l’Europe et l’Asie. Il est le premier à exploiter un des trois Boeing 767-300, appareils de lignes convertis récemment acquis par le groupe danois pour Maersk Air Cargo auprès d'Air Transport Services Group. Enfin, Maersk Air Cargo a étrenné les opérations en compte propre alors que sa maison-mère s'est fixé pour objectif d’assurer environ un tiers du tonnage aérien annuel de sa compagnie au sein de son propre réseau.
« Avec l'introduction de notre nouveau service entre l'Europe et la Chine, nous avons fait un nouveau pas vers une véritable logistique intégrée. Nous voulons nous assurer que nos clients disposent de la visibilité, de la fiabilité et de la résilience dans leurs chaînes d'approvisionnement. À cet égard, le fret aérien, avec ses vols réguliers et ses capacités contrôlées, représente une part essentielle des besoins logistiques de bout en bout de nos clients », assure Michel Pozas Lucic, responsable mondial du transport aérien chez A.P. Møller – Maersk, en écho à la stratégie de bout en bout portée par le groupe danois.
Maersk Air Cargo, née sur les actifs de son ancienne de Star Air, qui a servi pendant de nombreuses années d'opérateur charter pour des expressistes européens, vise les marchandises de grande valeur et sensibles au facteur temps.
Le transporteur avait précémment lancé, en octobre, un service avec des vols réguliers (deux fois par semaine) entre Greenville-Spartanburg en Caroline du Sud, porte d’entrée des bassins de consommation de Charlotte, et Incheon en Corée, qui devaient être opérés par trois B767-300F affrétés et opérés par la compagnie aérienne cargo Amerijet International, dont le siège se trouve à Miami.
Projets de liaisons décalés
Mais tout ne coule pas de source pour les transporteurs maritimes aventurés dans le fret aérien, secteur où la fiabilité des services est encore plus cruciale qu’en mer. Les débuts sont même difficiles.
Ainsi Maersk Air Cargo a été contraint de revoir son plan de vol face à la détérioration de la demande. Le transporteur aérien a ainsi dû reporter son vol inaugural entre Chine et les États-Unis prévu en décembre. La fréquence de son service Greenville-Spartanburg-Incheon n’a pas été portée à trois vols par semaine comme prévu en janvier. Le lancement d’une liaison entre le hub de l'aéroport international de Chicago-Rockford et Incheon a été décalé. Les projets de lignes entre Atlanta et Dallas et Shenyang ont également été remis à plus tard.
Les appareils passent du temps au sol. Seul un des trois B767-300 confiés en gestion à Amerijet, pour assurer les liaisons entre l'Asie et les États-Unis, a été déployé en service commercial pendant plusieurs semaines, selon le site de suivi des vols Flightradar.
La flotte de Maersk compte 22 appareils en capacité de voler, une douzaine de B767-200 et dix B767-300, en leasing (auprès de Cargo Aircraft Management) et en propriété. Or, la plupart d'entre eux continuent d’opérer sur les liaisons intra-européennes pour les expressistes UPS et Royal Mail notamment.
CMA CGM Air Cargo suspend les vols de deux appareils aux États-Unis
CMA CGM a repris certains vols suspendus
Le groupe français de transport et logistique, qui a lancé CMA CGM Air Cargo en 2021, avait également été contrainte, mi-décembre, de réviser ses ambitions. Après quelques mois d’opérations seulement, CMA CGM Air Cargo avait suspendu ses ventes d’espaces commerciaux vers Chicago et Atlanta depuis l'Europe et fréter ses avions à European Air Transport, une compagnie aérienne de fret enregistrée auprès de DHL Express, et à Qatar Airways Cargo (auquel elle avait acheté les quatre premiers A330-200F d’occasion). Une décision que le groupe a confirmée mais sans autres commentaires.
En janvier, CMA CGM Air Cargo a repris le service transatlantique au départ de Chicago O'Hare, selon Flightradar. L'un des B777 assure en outre la liaison Paris-Hong Kong. Mais les mouvements sont réduits ou sporadiques selon fil à la patte des appareils. CMA CGM, qui opère désormais depuis la base de Paris-Charles de Gaulle après avoir s’être lancée depuis Liège en partenariat avec Air Belgium, a la possibilité de déployer quatre A330-200F et deux B777F neufs.
Deux autres Boeing, aussi neufs, doivent entrer en flotte à partir de 2024 tandis que quatre A350F, le nouveau freighter d’Airbus, ont été commandés et entreront en service entre 2025 et 2026. Á compter d’avril entrera en service son partenariat avec Air France. Les deux groupes français ont signé un accord stratégique de long terme (dix ans) visant à mettre en commun leurs réseaux et les capacités de leurs appareils tout-cargo, soit dix tout-cargos au total, tandis que les deux compagnies ont ensemble douze appareils à leur carnet de commandes.
MSC, CMA CGM, Maersk trois approches dans le fret aérien
Une demande en chute continue
La capacité de fret aérien sur le marché est à ce jour nettement supérieure à la demande, qui a chuté pendant 11 mois consécutifs. L'Association internationale du transport aérien (IATA) anticipe une baisse en 2023 de 5,6 % de la demande de transport aérien mesurée en tonnes-kilomètres de fret (CKT), après un repli de 8 % en 2022. Selon l'indice TAC, les tarifs du fret aérien mondial sont inférieurs de 37 % à ceux de l'année dernière. Mêmes causes, mêmes effets. Comme pour le transport maritime, les stocks élevés des entreprises et le pouvoir d’achat des consommateurs lesté par les poussées inflationnistes successives et constantes ne sont pas des alliés pour les échanges commerciaux. Qu’ils soient mer ou air.
En 2022, les compagnies maritimes ont accéléré sur le changement d’aiguillage en tissant leur toile aérienne. Avec des dizaines de milliards de dollars accumulés ces deux dernières années grâce à des taux de fret en fièvre, elles ont l’aisance financière pour mettre en œuvre leur stratégie de « logistique intégrée ». Les leaders du secteur – MSC, Maersk, CMA CGM – ont été actifs sur ce plan l’an dernier. Hyperactifs pour Maersk et CMA CGM.
Adeline Descamps