Le réseau de gazoducs, futur pipeline de l'hydrogène ?

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L’Europe dispose d’un réseau de pipelines de 198 500 km par lequel transite actuellement le gaz naturel. Des entreprises du secteur planchent déjà sur la réorientation de ces infrastructures pour qu’elles puissent transporter de l’hydrogène au cours des prochaines décennies.  Elles estiment à 69 % la part des pipelines existants éligibles à une conversion, moyennant toutefois 81 Md€ d’investissement. 

Si les combustibles fossiles doivent disparaître progressivement au cours des prochaines décennies, les compagnies de gaz naturel estiment que cela ne doit pas condamner pour autant les infrastructures qui assurent aujourd’hui leur transit. Leurs ingénieurs plancheraient déjà sur la faisabilité de réorienter les gazoducs – un réseau de 198 500 km en Europe – pour transporter de l'hydrogène lorsque les pays se seront sevrés du gaz naturel. Si tel doit être le cas un jour.

Parmi les différents plans en cours, un projet auquel participent notamment les entreprises de transport de gaz italienne Snam, espagnole Enagas et allemande Open Grid Europe, dont certaines engagées dans le groupe Gas for Climate, engagées à atteindre le zéro émission de gaz à effet de serre dans l'UE d'ici 2050, s'appuierait sur de vastes parcs solaires pour créer l'énergie nécessaire à la production d'hydrogène à partir de la molécule d'eau. Ce combustible serait ensuite acheminé vers le cœur industriel de l'Europe par le réseau existant de pipelines.

Ces entreprises veulent dans un premier temps surtoit former une dorsale européenne de l'hydrogène, informe encore Reuters, notamment pour éviter que les pipelines ne se dégradent et deviennent des « stranded assets » (actifs échoués, dont la valeur est dévalorisée par une évolution de la législation, des contraintes environnementales ou autres…). Ces entreprises estiment à 69 % la part des pipelines existants éligibles à une conversion, moyennant toutefois la somme non négligeable de 81 Md€. 

Un coût de 460 Md€ selon l’UE

Au-delà de ce seul projet, l'Union européenne estime que la mise en œuvre d’une économie de l’hydrogène pourrait nécessiter des investissements allant jusqu'à 460 Md€ d'ici à 2030. Selon Frans Timmermans, commissaire européen chargé de l'action pour le climat interrogé par Reuters, adapter les réseaux de gaz naturel existants au transport de l'hydrogène représenterait environ 25 % du coût total de la construction d'une nouvelle infrastructure pour les énergies renouvelables.

Les prix à payer pour la sécurité énergétique ? Pour rappel, l’Europe dépend actuellement du gaz naturel pour satisfaire 28 % de ses besoins énergétiques, dont un tiers de Russie. Des responsables politiques ont récemment accusé Moscou de freiner délibérément l'approvisionnement alors que les prix du gaz atteignaient des niveaux record. La Russie affirme avoir rempli toutes ses obligations contractuelles.

l'UE considère que ces projets doivent être financés par l'industrie ou les gouvernements nationaux. En clair, l’Europe ne devrait donc pas financer.

Pour réussir, les réseaux de gaz doivent pouvoir acheminer l'hydrogène (l'électricité utilisée pour fabriquer l'hydrogène provient soit du nucléaire, soit d'énergies renouvelables) mélangé au gaz naturel vers leurs clients industriels de façon sécure, en quantité et à un coût abordable. L'inflammabilité n'est qu'un des problèmes. Par rapport au gaz naturel, l'hydrogène « fuit » aussi plus facilement car ses molécules sont plus petites. Il peut en outre être corrosif pour certaines catégories d'acier et problématique pour l’étanchéité des joints. 

L’Europe se dote d’un plan pour l’hydrogène vert

Défi réglementaire

Mais les entreprises du réseau gazier soutiennent pourtant que le principal obstacle n’est pas technique. Il réside surtout dans l’absence d’un cadre réglementaire leur permettant d'adapter le réseau. Pour cela, l'hydrogène doit être défini « comme un gaz qui peut être transporté et utilisé de la même manière que le gaz naturel ». 

La demande sera de fait un facteur clef. Si l'hydrogène vert (produit par électrolyse de l'eau en utilisant de l'électricité d'origine renouvelable) peut être fourni en grandes quantités, nombreux sont les secteurs qui y trouveraient un intérêt. Son coût (trois à cinq fois plus cher que son actuel équivalent gris selon les estimations), reste une problématique. Mais l'Espagne serait déjà l'un des sites les moins chers d'Europe pour produire de l'électricité renouvelable, selon l'association industrielle Solar Power Europe. L'hydrogène vert fait partie des secteurs ciblés par le plan de relance espagnol que Madrid a transmis à Bruxelles pour bénéficier des fonds spéciaux européens débloqués dans le cadre de la relance. 

De leur côté, les industriels poussent davantage en faveur de la production d'hydrogène bleu (fabriqué à partir de gaz naturel notamment), associé à une technologie de capture et stockage du carbone (CSC).

Sans subventions, pas de rentabilité ?

Sans subventions, la production d'hydrogène vert ne peut pas être rentable ? Le déluge de subventions orientées vers ce nouveau graal le laisse supposer. Gros consommateur européen d'énergie, le gouvernement allemand d’Angela Merkel s'est engagé à consacrer 9 Md€ jusqu'en 2030 au développement d'une industrie de l'hydrogène vert dans le cadre de son plan de relance. L’Allemagne voit dans l'hydrogène vert une solution pour décarboner de nombreuses activités industrielles dans lesquelles elle est en pointe. 

En un peu plus d’un an, 62 projets d'investissement ont été approuvés par Berlin, pour un total de 33 Md€, dont 8 milliards de fonds publics. Siemens, Thyssenkrupp, Daimler...figurent parmi les plus actifs dans les projets, aidés par les financements publics allemands et européens.

Selon un rapport du parlement allemand, le coût de l'hydrogène vert atteint en moyenne 16,5 centimes par kilowattheure en Europe, soit trois fois plus que le gris, alors que le prix de l'électricité en Allemagne est déjà le plus élevé de l'UE. À court terme, l'Allemagne devra donc en importer massivement pour répondre à ses besoins. Pour limiter ce recours, le pays a prévu d'investir 2 Md€ destinés à stimuler les importations en provenance de pays partenaires comme le Maroc, le Chili, l'Arabie saoudite et l'Australie, « et ainsi former des chaînes d'approvisionnement en hydrogène vert ». Berlin lorgne notamment sur l'Afrique du Nord, où le potentiel du solaire est considérable. Fin 2020, le gouvernement a débloqué 90 M€ d'aides pour développer des installations au Maroc.

Les multiples paris de l'hydrogène vert

359 projets à grande échelle

Le 16 novembre, Emmanuel Macron a annoncé à Béziers, en visite l'entreprise Genvia qui développe des électrolyseurs haute température permettant de produire de l'hydrogène à partir de la molécule d'eau, que 1,9 Md€ seront consacrés au développement de la filière hydrogène dans le cadre du plan d'investissements France 2030 de 30 milliards. Le développement de l'hydrogène est « une bataille pour l'industrie, pour l'écologie et pour la souveraineté », a déclaré le chef de l'État. Le projet Genvia fait partie des 77 déposés par les industriels auprès de Bercy dans le domaine de l'hydrogène, dont une quinzaine devraient être notifiés à Bruxelles pour recevoir des aides.

Dans le monde, il y aurait 359 projets à grande échelle (estimation faite en juillet 2021) selon le Hydrogen Council et McKinsey. Près de 80 % des nouvelles initiatives se situaient en Europe.

Adeline Descamps


 

 

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