L’étude de faisabilité a été lancée et l’information à été diffusée à grands renforts de communication (pas moins de cinq communiqués de presse sur le même sujet), le jour même où Patrick Pouyanné, le PDG de TotalÉnergies faisait « une sortie magistrale » dans le quotidien provençal en annonçant la fin de l’utilisation de l'huile de palme — qui entre dans la production des biocarburants — à la raffinerie de La Mède en 2023 avant de la condamner dans toutes ses unités. Dans cet entretien, le dirigeant du groupe français, qui se revendique désormais multi-énergies, faisait part de ses projets avec CMA CGM « pour créer de nouvelles filières de carburants sans carbone ».
Le même est une des parties prenantes de ce « premier projet français » qui vise à liquéfier le GNL pour alimenter les navires, en l’occurrence les porte-conteneurs au GNL de CMA CGM, au nombre de 44 aujourd’hui. La spécificité du projet tient en partie dans sa dimension d’économie circulaire : le biogaz, dont le potentiel de réduction d’émissions de gaz à effet de serre est estimé à au moins 67 %, serait issu de la transformation de la part biodégradable des déchets ménagers de la métropole Aix-Marseille-Provence.
Le port de Marseille abrite les infrastructures nécessaires avec les unités de méthanisation des déchets d’EveRé (exploitant du centre de traitement des déchets ménagers de la métropole) et les terminaux méthaniers d’Elengy à Fos-sur-Mer, qui permettront le stockage et la livraison de ce Bio-GNL sur lequel la filiale d’Engie, après s’y être penchée depuis quelques années déjà, est désormais prête. Un souteur de GNL, affrété par TotalÉnergies à l’armateur nippon MOL, entrera en service à partir de Marseille Fos dès janvier 2022 et aura pour premier client l’armement marseillais.
Un nouvel horizon pour le GNL
Total et CMA CGM sont liés par plusieurs contrats de fourniture de GNL, portant à la fois sur les 9 porte-conteneurs de plus de 22 000 EVP et sur la série des 15 000 EVP exploités sur les lignes Asie-Méditerranée. Les premiers sont avitaillés à partir de Rotterdam par le Gas Agility, un souteur de 18 500 m3 affrété par Total auprès de MOL. Les seconds par son sistership à partir de Marseille Fos. Total fournira ainsi à CMA CGM environ 300 000 t/an de GNL.
Version non fossile du méthane, produite à partir de la dégradation de déchets agricoles, agroalimentaires ou encore industriels, le Bio-GNL donne au GNL un nouvel horizon, alors que ses perspectives actuelles sont brouillées du fait de son faible impact sur le traitement des émissions de gaz à effet de serre. Or ces sources de pollution sont celles qui sont stigmatisées par les futures réglementations pour leurs effets délétères sur le réchauffement de la planète.
Amorcer la pompe du biométhane
À l’occasion du Global Compact le 8 avril dernier, Rodolphe Saadé avait indiqué qu’il avait acheté 12 000 t de biométhane pour alimenter pendant un an deux porte-conteneurs au GNL de 1 400 EVP. L’idée, selon le PDG du groupe CMA CGM, est d’envoyer un signal au marché afin d’amorcer la pompe de la production de biométhane, dont les prix sont élevés et qui reste encore coûteux à produire. Depuis le mois de mai, les clients de CMA CGM ont ainsi la possibilité de choisir le biométhane lors de leur réservation via une une offre de service spécifique développée par le transporteur.
Selon l’armateur, le Bio-GNL combiné avec la technologie dual fuel de moteur au gaz développée par CMA CGM permettrait de réduire d’au moins 67 % les émissions de gaz à effet de serre (incluant le CO₂) par rapport au fuel à basse teneur en soufre (< à 0,1 %) en well-to-wake (du puits à la pompe) et de 88 % en tank-to-wake (à l’échelle du navire).
La coalition d’industriels s’élargit
Ce projet, qui entre dans les clous de la loi d’orientation des mobilités (LOM), est mené au sein de la Coalition pour l’énergie de demain, une des nombreuses associations de grands industriels qui fleurissent partout avec pour mission d’accélérer les développements technologiques dans la propulsion et les énergies. Lancée en décembre 2019 lors des Assises de l’Économie de la Mer, la Coalition, forte d’une quizaine de membres, elle vient d’intégrer en son sein Air Liquide, Kuehne+Nagel et Rolls-Royce.
Le groupement, qui s’est fixé trois objectifs principaux : « élargir les sources d’approvisionnement en énergies propres ; réduire la consommation d’énergie par kilomètre équivalent transporté et la part des émissions imputable au transport et à la logistique », a plusieurs projets sur le feu concernant le transport maritime et les ports.
Il devait notamment lancer les études techniques sur le biocarburant obtenu par pyrolyse dont l'industrialisation est prévue à partir de 2023. Il est aussi question d’un démonstrateur éco-calculateur, permettant de certifier les émissions de CO2 des navires en prenant en compte le trajet, en door-to-door, sur n'importe quelle route maritime. Cet outil, qui proposera des routes alternatives à faibles émissions, permettra aux chargeurs de mesurer précisément leur empreinte carbone. Ce à quoi ils seront de plus en plus sensibles. Scrupuleusement sensibles.
Des études techniques sont en outre en cours sur le taux d'électrification de différentes routes de transport, et notamment dans les terminaux de Marseille et de Singapour. Les premiers résultats ont déjà montré que la connexion d'un navire au quai permettrait d'économiser 5 % de la consommation énergétique totale sur une route reliant l'Asie et l'Europe, ce qui représente une économie potentielle moyenne de 50 t de CO2 par navire et par escale. La production et les essais du méthane de synthèse (e-méthane) font partie des chantiers à venir.
Adeline Descamps
*Airbus, AWS, Bureau Veritas, Carrefour, Cluster Maritime Français, CMA CGM Group, Crédit Agricole CIB, ENGIE, Faurecia, Michelin, PSA International, Schneider Electric, TotalEnergies, Wärtsilä