Crise en Ukraine, rebond épidémique en Chine, quels effets réels sur le conteneur ?

Une semaine après le rebond épidémique en Chine, un mois après le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les effets sur le secteur du conteneur sont tangibles tout en envoyant des signaux contradictoires. Les données délivrées par les quelques start-up, qui ont trouvé avec le transport maritime un terrain de jeu et d’affaires pour proposer une offre de services basée sur de l’analyse en temps réel, en donnent un aperçu.

Une semaine après la vague épidémique qui a enseveli une trentaine de provinces, les effets des confinements sont difficilement palpables. Ils envoient des signes contradictoires. Dans les ports à conteneurs, la logique d’approche plus ciblée permet de limiter les impacts. La productivité est altérée mais les fermetures complètes évitées et limitées à des districts permettent de contenir les impacts et de maintenir un fonctionnement plus ou moins normal. 

À Qingdao, Yantian et Shanghai, la productivité des ports a baissé de 10 à 15 %, selon les sources, mais à Qingdao et Shanghai, celle des usines ne serait plus que de 5 % inférieure à la normale. À Shenzhen, le confinement a quasiment été levé. Mais selon les données de Winward, qui reposent sur l’exploitation de techniques d’intelligence artificielle, le volume des opérations des porte-conteneurs a chuté de 84 % dans le port de Yantian, passant de 50 163 EVP le 15 mars avec seulement deux escales à 6 328 EVP le 18 mars, puis à aucune le 20 mars. 

Shekou, dans le district de Nanshan et dans l’environnement de Shenzhen, est passé d'une moyenne quotidienne de vingt visites de porte-conteneurs à douze après l'annonce du confinement. Les volumes ont chuté de moitié, de 53 602 EVP en moyenne dans les semaines précédant les restrictions à 24 581 EVP en moyenne ensuite. Mais la plupart des ports chinois se sont du coup entièrement remis de la forte congestion du mois de février, à l’exception de ceux de la région de Shenzhen. Il est vrai que le troisième port chinois a mis cinq à six mois pour se remettre de sa précédente congestion de juin 2021. 

Ralentissement de la production et du mouvement des marchandises, double lame de fond

L’opération ne sera pas blanche pour autant. Suivant le passage du virus, la vie reprend ici quand elle cesse là. Des usines rouvrent quand d’autres continuent de fermer, indique Container xChange, une autre plateforme de données en temps réel qui analyse la disponibilité des conteneurs. 

La Chine restant l’usine du monde, la double lame de fond – ralentissement de la production et du mouvement des marchandises –, va opérer plus tard sur la chaîne d'approvisionnement. « Les confinements en Chine ont frappé au moment où les entreprises se préparaient à lancer la saison d'expédition des fruits et légumes [avril-juillet, NDLR]. Les perturbations, l'une après l'autre, retirent la capacité du marché. Historiquement, cette période de l'année est cruciale pour la plupart des entreprises, car elles commencent à expédier leurs produits frais en prévision du début de la haute saison. »

De février à mars, les prix moyens des conteneurs de 40 pieds ont baissé de 12 à 18 % dans les ports de Shenzhen, Qingdao et Ningbo, selon les données de la start-up. Ils se sont repliés de 12,4 % à Shenzhen, passant de 5 887 à 5 154 $ entre le 27 février et le 20 mars. À Ningbo, quatrième port chinois, les taux de fret ont chuté de 15,8 %, de 5 930 à 4 990 $/FEU entre le 14 février et le 20 mars 2022 et de 13,5 % pour un conteneur de 20 pieds, de 2 603 à 2251 $/ EVP. À Qingdao, le conteneur de 40 pieds se négociait à 5 420 $ le 26 février mais à 4 748 $ le 20 mars 2022 tandis que son équivalent vingt pieds a perdu 12,5 % pour s’établir à 2 064 $ le 20 mars. 

« Une fois que les ports chinois reprendront pleinement leurs activités, il y aura une pression pour livrer davantage de conteneurs, ce qui entraînera une hausse des prix moyens, l'industrie se rapprochant alors de la période de pré-pointe », estime Johannes Schlingmeier, qui dirige l’entreprise.  

Coup de fouet à venir 

Le choc sur la supply chain n’est pas attendu avant trois à cinq semaines dans les terminaux européens et américains. Craignant les interminables délais de livraison et la tension sur les stocks, les chargeurs s’organisent. D’autres données indiquent des anticipations de commande, notamment outre-Atlantique, où les détaillants sont aguerris par les précédents de 2020 et 2021. A fortiori dans un contexte social qui s’annonce tendu à Los Angeles, première porte d’entrée du pays pour les marchandises conteneurisées puisque des négociations entre partenaires sociaux, dockers et employeurs, doivent aborder des sujets sensibles pour la première porte d’entrée américaine pour les importations conteneurisées.

En février, les volumes des ports de la côte Est et du Golfe ont augmenté de 27,3 % sur une base annuelle, contre 5,9 % pour les ports de la côte Ouest, selon le rapport McCown. C'est le neuvième mois consécutif où ils surplombent ceux de l’autre façade. D’après les indicateurs de performance portuaire de la spécialiste eeSea, les services Asie-Côte Est ont été retardés en moyenne de 2,1 jours en 2020, alors qu'au cours des trois premiers mois de 2022, les retards moyens frôlaient les 10 jours. 

Les données de Project44 montrent une tendance à la dégradation de la fiabilité des services depuis la Chine vers New York/New Jersey : des retards de 20,9 jours en février, de 14,5 jours à Shanghai et de 14,3 jours à Tianjin.

113 porte-conteneurs au mouillage

C’est dans la perspective des longues négociations, voire d’un futur blocage, que depuis plusieurs semaines, les entreprises basculent leur fret sur la côte est, contribuant à accélérer une congestion déjà prégnante depuis le début de l’annéeCes effets d’anticipation « sont aujourd’hui un puissant moteur de la demande de réservation », a souligné Jeremy Nixon, directeur général de ONE lors de la visioconférence le 23 mars, au cours de laquelle le transporteur japonais a présenté ses résultats financiers. Le dirigeant a indiqué avoir observé un repli des réservations au départ de Chine et des retards dans l'accostage des navires du fait des restrictions imposées à Shenzhen, Shanghai et Ningbo. 

Au 23 mars, 113 porte-conteneurs étaient au mouillage au large Shenzhen et de Hong Kong contre 88 quelques jours auparavant selon les données du Lloyd’s List Intelligence. Bloomberg signale, de son côté, 174 navires ancrés ou chargés au large de la Chine du Sud. 

Taux de fret en repli depuis dix semaines

Les taux spot pour le fret conteneurisé, reflétés par l'indice de fret conteneurisé de Shanghai (SCFI), sont en baisse continue depuis dix semaines désormais et, bien qu'ils restent cinq fois plus élevés qu'avant la pandémie, ils suggéreraient que la manne de la demande de fret pourrait expirer prochainement. Ils restent toujours supérieurs aux tarifs négociés sur le long terme sur toutes les routes commerciales sauf…depuis la côte ouest américaine vers l’Asie, où à la mi-mars, ils étaient 40 % plus élevés que le marché spot, a observé l’analyste maritime Peter Sand. En fait, ils le sont depuis octobre 2021.  

Si les taux de fret se replient, les transporteurs continuent de se jeter sur les navires d’occasion alors que les taux d'affrètement restent à des niveaux historiquement élevés. Ni le Covid ni la perspective d’une guerre longue en Ukraine ne semblent perturber le marché de l'affrètement. Un porte-conteneurs vieux de 16 ans vient de trouver preneur au prix de 109 M$.  

Selon Alphaliner, « les fondamentaux du marché restent inchangés. La demande reste forte dans tous les domaines, tandis que la disponibilité du tonnage est extrêmement réduite. Les taux d'affrètement, quant à eux, continuent d'évoluer à des sommets historiques ». 

Seuls les petits navires, qui représentent la majorité des navires assurant des services vers la Russie, ressentent les effets de la crise en étant victimes de la fermeture des services, ajoute le consultant. MSC, Maersk, CMA CGM et Hapag-Lloyd, ainsi que les principaux opérateurs de feeders, ont en effet commencé à suspendre les services de la Baltique ou à réduire considérablement la capacité vers et depuis la Russie. 

Le conteneur se réinvente en permanence

MSC, qui détient de loin la plus grande part de marché de tous les transporteurs sur le segment des services intra-européens, avec 31,5 %, a réduit de moitié la capacité de sa Baltic Loop 7. Le numéro deux du transport intra-européen (par la capacité), CMA CGM, a suspendu son East Med - Black Sea Express (EMBX). Sealand Europe & Med (groupe Maersk) a fermé l'un de ses services phares, le Rotterdam - St Petersburg Loop. 

Témoins de la tectonique des plaques générale : le MSC Shannon, un porte-conteneurs de 3 005 EVP, qui opérait sur la Baltic Loop 7, et le Lisbon Express de Hapag-Lloyd, d'une capacité de 2 400 EVP, ont été programmés en extra-sailers pour des voyages transatlantiques. « Les navires devenus superflus en Baltique sont plus que bienvenus sur les routes transatlantiques, où plusieurs transporteurs ont déjà organisé des navigations en dehors de leurs alliances », indique Alphaliner, qui a comptabilisé 13 extra-calls dans cette région. Avec des navires de moins de 4 000 EVP… 

Adeline Descamps 

 

 

 

 

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