Conteneur : l'action syndicale est de la partie pour la Peak season

Felixstowe, le premier port à conteneurs britannique, est en grève pour une semaine tandis que Liverpool s’apprête à y entrer. Les négociations sociales dans les ports allemands, où un moratoire a été décrété, n'ont pas encore abouti. Elles avancent très lentement dans les ports californiens où le contrat entre dockers et employeurs a expiré le 1er juillet. Nouvelle faiblesse pour la chaîne d’approvisionnement. 

Il y a un an, à la même époque, le SCFI (Shanghai Containerized Freight Index), qui mesure les prix au comptant pour le fret transporté de Shanghai vers un grand nombre de destinations dans le monde, venait de franchir la barre des 4 000 points. Un événement historique alors que le baromètre du secteur conteneurisé avait rarement dépassé les 1 000 points au cours de la dernière décennie. En août 2021, à l’approche de la Peak season, il était alors principalement question de congestion portuaire, de pénurie de navires, de déficit de conteneurs, de boom de la consommation, de relance économique… Les taux spot au départ de Shanghai vers Rotterdam étaient proches des 13 000 $ pour un conteneur de 40 pieds, des 12 000 $ vers New York et des 10 000 $ en direction de Los Angeles.  

Tous les armateurs allumaient les pares-feux. Les surcharges pleuvaient en raison de la congestion des ports et de la réaffectation des capacités de transport. Avec un tel déphasage entre l’offre et la demande, il y avait peu place pour les négociations. 

La Banque mondiale mettait des mots sur le phénomène dans son rapport sur les perspectives économiques mondiales, en évoquant « la plus forte croissance mondiale post-récession depuis 80 ans » et relevant ses prévisions de croissance en promettant à la Chine et aux États-Unis un taux de croissance de 8,5 % et de 6,8 % respectivement. Seule l'Europe paraissait alors à la traîne mais la Banque centrale européenne entendait la remettre d’aplomb grâce à un remède monétaire dont elle a le secret. 

Les carnets de commandes des porte-conteneurs représentaient 21 % de la flotte en exploitation. Les achats et ventes n’avaient jamais été à un niveau aussi élevé avec plus de 300 transactions enregistrées. Seule la réponse à une question jugée fondamentale intéressait alors le secteur du conteneur : la normalisation des taux de fret, indissociable de l’éclatement de bulle de congestion généralisée, c’est pour quand ? 

La congestion n'est plus le seul facteur dictant les taux de fret

Taux de fret sur le versant déflationniste 

Un an plus tard, six mois après le déclenchement d’une guerre qui a conduit à stratifier les tensions et exacerber l’environnement inflationniste, la congestion n’est toujours pas résorbée mais une ligne de crête pour les taux de fret et les indicateurs de croissance a été franchie, désormais en descente sur l’autre versant. Bien qu'ils soient encore au moins quatre à cinq fois plus élevés qu’avant l’épidémie, les taux de fret spot sont en baisse, qu’il s’agisse du SCFI ou du WCI, ce dernier combinant les taux spot et les tarifs négociés dans le cadre de contrats de plus longue durée. La semaine dernière s’est clôturée sur un repli du SFCI de 3,7 % à 3 429,83 points, soit une baisse de 21 % par rapport à la même période de l'année dernière.

La tendance est aussi valable le long du corridor transpacifique, le plus résistant au retrait. Les taux sont en baisse vers la côte ouest-américaine bien que ceux de la côte Est font de la résistance car la congestion, créée par le report de charge des trafics de la côte ouest, immobilise l’offre et fait monter les prix. De fait, selon l'évaluation hebdomadaire de Drewry, l'indice entre Shanghai et Los Angeles a chuté de 5 % au cours de la semaine dernière, à 6 521 $ par unité équivalente de quarante pieds (FEU) et de 41 % par rapport à l'année précédente alors qu'entre Shanghai et New York, il est resté stable, à 9 710 $/FEU, en baisse moindre, de 28 %, sur une base annuelle. Le Freightos Baltic Daily Index (FBX), qui inclut primes et surcharges, est tombé à 5 533 $/FEU le 19 août entre la Chine et la côte ouest-américaine. C'est son plus bas niveau en 15 mois et c’est une chute de 70 % par rapport à l’an passé. Le FBX vers la côte Est était évalué à 9 150 $/FEU en fin de semaine dernière (- 54 % sur une base annuelle). 

Les mouvements sociaux se surajoutent à la congestion dans les ports

Grèves et congestion immobilisent l’offre en Europe

Il est désormais plus coûteux d'acheminer du fret en spot depuis l'Europe jusqu'à la côte Est via l'Atlantique que depuis l'Asie jusqu'à la côte Ouest via le Pacifique, route pourtant presque deux fois plus longue. Selon les dernières données hebdomadaires de Drewry, le taux de fret moyen entre Rotterdam et New York s’établit à 6 936 $/EVP, en hausse de 8 % par rapport à l'année précédente. Le FBX Europe-côte est-américaine est évalué à 8 522 $ par EVP, en hausse de 44 % par rapport à l'année précédente.  

En Europe, où depuis juin, des revendications sociales ont donné lieu à des débrayages, en Allemagne, en Belgique et au Royaume-Uni, la question sociale demeure le grand sujet de la rentrée et probablement le traceur de l’évolution des taux de fret.  

Outre-Rhin, où jusqu'à trois-quarts des employés portuaires sont syndiqués, les sept cycles de négociation portant sur 58 conventions collectives entre le syndicat ver.di (12 000 dockers à Hambourg, Bremerhaven et Wilhelmsen) et la fédération patronale Zentralverband der deutschen Seehafenbetriebe (ZDS) ont débouché sur une impasse en juillet. Les débrayages en guise d’« avertissement » en juin avaient largement paralysé la manutention des marchandises et contribué à allonger les temps d'attente des feeders à Bremerhaven et Wilhelmsen. Un moratoire a été convenu jusqu’au 26 août en vertu d'un accord conclu le 21 juillet au tribunal du travail de Hambourg. D’ici là devaient se tenir trois autres cycles de négociations, dont rien n’a pour l’instant filtré.

Situation critique à Felixstowe et Liverpool

Comme annoncé à plusieurs reprises par le JMM depuis quelques semaines, quelque 1 900 dockers (sur les 2 500) se sont mis en grève le 21 août et pour une semaine à Felixstowe, port à conteneurs le plus fréquenté du Royaume-Uni (3,7 MEVP en 2021) par où transitent 40 % des importations conteneurisées du pays. Dans le terminal exploité par Hutchison Ports, déjà saturé en temps normal, la revalorisation salariale de 7 % et la prime inflation de 500 £ proposées par la Felixstowe Dock and Railway Company ont été rejetées par le syndicat, arguant que ces mesures seraient complètement absorbées par le niveau d’inflation (10,1 % en juillet, contre 9,4 % en juin, selon l'Office national des statistiques).

Le premier port à conteneurs du pays, bastion de la modération syndicale depuis des décennies, traite en moyenne 75 000 à 100 000 conteneurs par semaine. Selon le cabinet de conseil en gestion des risques Russell Group, le seul mouvement social de Felixstowe pourrait coûter 800 M$ à l’économie britannique. Le textile (82,8 M$) et les composants électroniques (32,3 M$) seraient les produits les plus impactés.  

À Liverpool, où le dernier mouvement social d’importance remonte à 24 ans, les 500 affiliés au syndicat Unite et employés par Mersey Docks and Harbour Company (groupe Peel Ports) étaient appelés à voter entre le 25 juillet et le 15 août sur des débrayages. Faute d’accord sur l’augmentation des salaires de 7 % et une allocation de 30 £ par semaine pour le travail de nuit, la grève a été décrétée mais les dates restent à fixer. Deuxième groupe portuaire du Royaume-Uni, Peel Ports traite plus de 70 Mt de marchandises chaque année et 900 000 EVP à Liverpool (720 escales par an). 

En revanche, à Bristol, les dockers ont accepté une proposition visant à rehausser les salaires de 8 %. Reste à savoir si les grèves auront la même capacité paralysante que par le passé dans un contexte où la congestion post-pandémie est déjà endémique.

Sécheresse sur le Rhin

Les armateurs ont anticipé par des déports sur les ports voisins, London Gateway ou Southampton, y compris vers des ports plus petits, mais aussi vers d'autres ports européens, notamment Wilhelmshaven, en Allemagne, alors que Rotterdam et Hambourg sont impactés par le ralentissent du trafic fluvial en raison de la sécheresse. Contraints par les niveaux d'eau, les navires en Europe ne peuvent transporter que 25 % à 30 % de leur capacité nominale. À Duisbourg, les grandes unités qui, en temps normal, transportent 3 000 t par barge ne peuvent plus transiter si bien que le fret doit être transféré vers un plus grand nombre de petites barges susceptibles de naviguer en eaux peu profondes, ce qui renchérit le coût du transport pour les chargeurs.  

Embouteillage sur la côte est-américaine

Outre-Atlantique, l’approche de la haute saison fait aussi craindre des embouteillages sur la côte Est, réceptacle de la côte Ouest : selon l'institut Descartes, les importations américaines ont augmenté de 6,6 % à l'est mais en repli de 4,9 % à l'Ouest. Les négociations contractuelles entre les dockers de la côte ouest-américaine fédérés au sein de l'International Longshore and Warehouse Union (22 000 membres) et la Pacific Maritime Association, représentant les employeurs, progressent lentement alors que le précédent contrat est arrivé à échéance le 1er juillet. Les ports de la Californie ont dû faire face à un autre sujet à la mi-juillet. Les chauffeurs de poids lourds ont bloqué les terminaux et perturbé les abords par des opérations escargot, pour protester contre la loi AB5 qui vise à limiter le recours aux entrepreneurs indépendants. Les transporteurs se sont en conséquence rués vers l’Est. 

Plus de 150 navires sont en file d'attente dans les ports américains, dont 62 % au large des ports de la côte Est. Un revirement total de situation. Le port de Savannah, en Géorgie, deuxième plus grand port à conteneurs de la côte est-américaine avec 8,99 MEVP, après New York-Newark a vu sa fréquentation mensuelle augmenter de 750 % en juillet par rapport au début de l'année avec 34 navires en attente mi-août (310 000 EVP) contre quatre en janvier. Il faut désormais 7,5 jours, soit une augmentation de 123 % par rapport au trimestre précédent, pour que les conteneurs puissent être évacués vers l’hinterland. Le réacheminement des navires vers le port voisin de Charleston, en Caroline du Sud, fait craindre des effets de bord. 

La congestion s'est aggravée sur le trafic Europe du Nord - Côte Est des États-Unis, où les « transporteurs subissent une double peine des deux côtés de l'océan Atlantique », indique Alpahliner dans sa note hebdomadaire de mi-août (cf.plus bas). Les temps d'attente dans des ports tels que Savannah, Houston et New York s'ajoutent aux retards des navires dans les grands hubs d'Europe du Nord. Les porte-conteneurs déployés entre l’Asie et l'Europe du Nord ont besoin en moyenne de 97 jours pour effectuer la rotation, soit avec 16 jours de retard. C'est seulement quatre jours de moins qu'à la mi-mai, date d’une enquête similaire.

Allongement des délais d’acheminement des conteneurs

À New York, les délais d’acheminement vers l’arrière-pays pour les conteneurs à l’import sont désormais de 8,6 jours en raison du manque de capacité d'entreposage et des contraintes du transport routier. Tant et si bien que la direction portuaire a annoncé une taxe de 100 $ à compter du 1er septembre par conteneur (vide ou chargé) oublié sur les quais. L’autorité portuaire a été contrainte d’aménager une zone de stockage temporaire sur un terrain de près de 5 ha au sein de Port Newark–Elizabeth Marine Terminal, la plus grande de ses installations situées dans le New Jersey.  

Si la haute saison reste incertaine, l'essoufflement des dépenses de consommation se matérialise déjà dans les importations de conteneurs sur certaines routes. L'annulation de commandes, en milliards de dollars, annoncée par les géants mondiaux du détail tels que Walmart, ne trompe pas. Alors que les confinements ou la congestion ping-pong étaient jusqu’à présent les seuls déterminants du ralentissement, l’affaiblissement de la demande a pris le relais et s’apprête à écrire un nouveau chapitre d’une histoire sans fin. 

Adeline Descamps 

 

Quarante-trois jours pour effectuer trois escales à Rotterdam, Anvers et Hambourg

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