CMA CGM enclenche la seconde étape après son annonce effectuée lors des Assises de l’économie de la mer à Lille en novembre dernier. À cette occasion, le secrétaire d’État en charge de la Mer, Hervé Berville, avait présenté la feuille de route portant sur la décarbonation du maritime qu’il entendait construire avec la filière.
Dans le cadre de cette démarche à plusieurs volets, baptisée France Mer 2030, l’État a prévu une enveloppe de 300 M€ d’ici la fin du quinquennat sous la forme de subventions, prises de participations, garanties publiques… espérant générer des fonds privés de façon à avoir un effet de levier. Cette mobilisation de moyens privés et publics, avec l’apport du secteur bancaire et financier, doit permettre de mettre à l’échelle le financement de la décarbonation du secteur maritime.
Le même jour, au cours d’une table ronde, Rodolphe Saadé, le président du groupe CMA CGM, s’était engagé à abonder ce fonds d’investissement maritime à hauteur de 200 M€, ponctionnés sur son Fonds Énergies, doté de 1,5 Md€ sur cinq ans, lancé en septembre. Le fonds « maison » a vocation à soutenir la production industrielle de nouvelles énergies décarbonées à la fois pour servir ses propres intérêts mais aussi pour accompagner la filière maritime française dans son ensemble.
« Cette enveloppe sera dédiée à des projets portés par des acteurs de la filière maritime et portuaire française. Pour cela, une plateforme d’appel à projets sera lancée en janvier 2023. Les dossiers de candidatures seront examinés par un comité technique qui accueillera des experts indépendants et des représentants de l’État », avait alors détaillé le PDG du troisième armateur mondial de porte-conteneurs.
Ouverture de la plateforme
Ce 30 janvier, le groupe français passe à l’acte. La plateforme qui s’adresse « à tous les acteurs de la filière maritime française dans l’Hexagone et les Outre-Mer », est prête pour que les candidats puissent soumettre leur projet dès ce jour.
Tous les segments du maritime sont a priori concernés : transport de marchandises, tourisme et croisière, pêche et produits de la mer, infrastructures, industries navale et nautique et énergies renouvelables.
« La sélection des dossiers se fera sur la base de leur impact concret sur la décarbonation de la filière maritime française, la maturité du projet et de leur faisabilité économique. Certains projets pourront faire l’objet d’investissements communs avec le secteur public et d’autres acteurs privés, et pourront être accompagnés par des experts du secteur maritime afin de leur donner toutes les chances de succès », indique aujourd’hui le groupe dans un communiqué.
Appel du gouvernement
Pour l’instant, peu de détails ont été délivrés sur le principe de fonctionnement de ce fonds, qui s’apparente sans doute plus à du financement participatif qu’à du capital investissement. Mais rien n’est dit quant aux modalités d’octroi des fonds (dons, prêts avec ou sans intérêts, prises de participation au capital...), les montants moyens alloués, la sélection des dossiers, les contreparties pour le bénéficiaire, les garanties exigées par l’investisseur, le déblocage des fonds, etc.
Mais Rodolphe Saadé, dont le marché s’est complètement retourné augurant de temps difficiles, met en œuvre ce qu’il avait dit qu’il ferait et il est le premier à répondre à l’appel du gouvernement, réitéré le 26 janvier à l’hôtel de Cassini par Hervé Berville à l’occasion des vœux aux acteurs maritimes.
Dans ce lieu qui n’a pas été choisi par hasard – c’est à la famille Cassini que la France doit les premiers dessins des ports et rivages –, le secrétaire d’État en charge de la Mer a consacré une bonne partie de son prononcé de 45 minutes aux enjeux de la décarbonation du secteur, son industrialisation, son financement, sa capacité à innover…
« Je veux que l’on ait pour le maritime la même ambition que pour l’automobile ou l’aéronautique et c’est tout le sens de la grande démarche France Mer 2030 qui doit nous emmener vers le navire zéro émission. Nous devons mettre au premier plan cet objectif, a introduit Hervé Berville, plus sémillant que jamais. C’est une aventure territoriale, industrielle, technologique »
Responsabilité environnementale
La démarche France Mer 2030, qui s’inscrit dans la tendance actuelle à engager des consultations au long cours pour coconstruire, doit se traduit concrètement par l’élaboration d’une feuille de route traçant la décarbonation du maritime pour le volet qui concerne le développement économique (la protection des océans, la défense du modèle de la pêche, la planification en mer et en littoral font l’objet de mesures particulières).
« Je salue l’engagement de CMA CGM de 200 M€ au nom de l’intérêt général », n’a pas manqué de souligner le représentant du gouvernement, qui venait alors de remettre le prix de la personnalité maritime de l’année à Rodolphe Saadé au nom de l’Académie de marine. « Cette distinction est très largement méritée. La responsabilité environnementale des entreprises qui ont un poids économique dans nos territoires et dans notre société est une force et une spécificité de ce monde maritime traditionnellement plus faiseux que diseux ».
« Un défi à la fois environnemental, technologique et industriel »
Dans la foulée de cet inoxydable exercice des vœux, le secrétaire d’État a lancé la première édition des « Jeudis de l’Innovation Maritime », qui doit faire se « rencontrer de manière physique les entreprises, les start-up, les compagnies, les chercheurs, les chantiers navals, les services de l’État, les collectivités » pour accélérer les innovations technologiques et « réinventer l’innovation au sein du secteur maritime ».
À plusieurs reprises, dans son discours, le représentant du gouvernement est revenu sur le défi à plusieurs niveaux – « environnemental », « technologique », « industriel »...–, que posait la décarbonation du transport maritime en particulier et du secteur en général.
S’il est un « défi » qui ne soit pas galvaudé par l’emploi abusif, c’est bien celui de la technologie : les armateurs français ne nient pas, en apparence, la nécessité d’opérer leur transition mais aucune solution n’est à ce jour disponible à l’échelle (et aucune n'a jusqu'à présent une véritable empreinte écologique sur une base de puits à sillage) alors qu’ils doivent engager dès à présent des investissements pour les 20 à 30 prochaines années, la durée de vie d’un navire. À ce niveau, cela relève davantage de la gageure et du pari sur l’avenir.
Adeline Descamps