Le fret aérien risque d'avoir bien du mal à conserver sa suprématie dans le transport international de produits pharmaceutiques. "Il y a dix ans, 85% produits de santé avaient recours à l'aérien et 15% au maritime. Une tendance qui commence à s'inverser. Aujourd'hui, la balance pèse encore à hauteur de 65% environ en faveur de l'aérien. Mais certains labos ont déjà basculé et réalisent 85% de leurs expéditions en maritime", a exposé Isabelle Belloncle, commerciale Grand Comptes d'Haropa, en ouverture de l'atelier maritime organisé le 26 septembre à Lille dans le cadre du colloque TIPS organisé par le Pharma Logistics Club.
Ghislaine Vidal, responsable douane et transport chez Merck, confirme. Son entreprise a commencé à transférer ses flux vers le maritime en 2013. En 2016, 78% des envois ont été acheminés par le maritime, soit environ 4 800 tonnes et 400 EVP. Atout majeur pour l'entreprise : une réduction drastique des coûts de transport. "Le maritime est de 20 à 50 fois moins cher que l'aérien selon les zones géographiques", évalue Isabelle Belloncle.
Montée en puissance du reefer
Pour autant, la bascule suppose de la rigueur, compte tenu de la nature des produits. Merck, par exemple, a fait le choix de ne pas faire de groupage, pour éviter le risque d'incompatibilité des marchandises. L'entreprise a également décidé en 2015 de recourir exclusivement au conteneur reefer. Un contenant jugé nettement plus qualitatif pour respecter l'impératif d'une température comprise entre 15° et 25°, sachant que l'entreprise exporte vers le Moyen-Orient/Afrique, l'Asie-Pacifique et l'Amérique latine, destination où les conditions climatiques peuvent poser problème.
Le port du Havre, à son niveau, constate cet engouement. "Les produits de santé ne représentent que 8% de nos expéditions en reefer, mais on enregistre une augmentation de 21% sur les six premiers mois de l'année 2017 par rapport à la même période de 2016", note Isabelle Belloncle. Il reste toutefois beaucoup de marge, puisque "la répartition entre dry et reefer est encore à peu près à l'équilibre sur la pharma, malgré les Bonnes pratiques de distribution qui recommandent de transporter les produits pharma sous deux types de température : +2 +8° ou +15-+25°", précise la responsable d'Haropa.
Le client doit être précis dans ses demandes
Outre "le maintien d'une température dirigée depuis les magasins jusqu'au port de destination, voire jusque chez le client", le conteneur reefer "limite aussi les risques d'excursion de température, sauf oubli de branchement ou défaillance technique", remarque Ghislaine Vidal. "Nous constatons des pics plus nombreux en aérien, sachant toutefois que quand nous avons recours à ce mode, nous n'utilisons pas de conteneurs spécifiques", ce qui réduit effectivement la pertinence de la comparaison.
Autre avantage mis en avant par le responsable de la maintenance et de la réparation de la flotte de conteneurs reefer chez CMA CGM : la diminution des ruptures de charges. "Le conteneur reefer est "un outil multimodal par excellence", souligne Benjamin Bricout, en insistant sur le rôle déterminant du chargeur pour garantir la qualité de l'acheminement. "Température, taux d'humidité, réglage de la ventilation, requêtes spécifiques : c'est au client de nous fournir ces informations essentielles, sachant que nous avons bien sûr des équipes technico-commerciales pour l'accompagner", alerte Benjamin Bricout.
Ghislaine Vidal admet volontiers les aspects contraignants du transport par voie maritime. "Il faut qualifier les équipements selon les standards pharmaceutiques, anticiper les réservations car les conteneurs reefers, a fortiori dédiés au pharma, restent une denrée rare. Enfin, tous les conteneurs doivent être contrôlés avant chargement et nous devons pouvoir obtenir sur demande le certificat de 'pre-trip inspection'", précise la représentante de Merck.
Des contraintes fortes pour les prestataires
Ces contraintes rejaillissent logiquement sur les prestataires de la chaîne logistique. Il faut évidemment une infrastructure portuaire adaptée au départ à l'arrivée pour le branchement des conteneurs. Pas toujours évident, notamment dans des zones où les délais de dédouanement s'avèrent particulièrement longs... L'idée d'une certification similaire au CEIV Pharma de l'aérien retient l'attention des professionnels.
La vigilance s'impose aussi au manutentionnaire. "On doit s'adapter aux spécificités, par exemple lorsqu'un conteneur ne doit pas être débranché plus d'une demi-heure. Dans ce cas, on précise au transporteur routier qui vient livrer le conteneur qu'il peut le déverrouiller mais doit attendre l'arrivée du cavalier avant de le débrancher", témoigne Olivier Trigan, directeur commercial de Terminaux de Normandie. Ensuite, des relevés fréquents permettent de contrôler les températures.
À bord, les choses se compliquent. "Il y a du personnel dédié au contrôle, au minimum deux fois par jour, et à la maintenance. Les navires ont des kits de pièces détachées permettant de réparer les avaries". Toutefois, avec la mise en place des alliances, il peut se révéler plus compliqué d'avoir à disposition la bonne pièce, ou encore de récupérer les informations pour les transmettre au client. Sur ce point, il existe manifestement des pistes d'amélioration.
La montée en puissance du transport de produits pharmaceutiques par voie maritime pourrait inciter les armateurs à investir, même si à leur échelle, ce secteur reste très minoritaire. Chez CMA CGM, par exemple, la pharma ne représente que 4% des réservations. L'agro-alimentaire reste encore et de très loin le principal client du reefer.