Valoriser les sédiments fluviaux et portuaires, un enjeu d’importance

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La gestion et la valorisation des sédiments fluviaux et portuaires ont une importance cruciale pour les gestionnaires concernés comme Voies navigables de France (VNF) ou les autorités portuaires. Des échanges lors des Assises nationales de la valorisation des sédiments ont permis de mieux en comprendre les enjeux.
« La gestion des sédiments revêt une importance cruciale pour l’établissement Voies navigables de France, a indiqué Marie-Céline Masson, directrice territoriale (DT) de VNF Nord-Pas-de-Calais, lors des Assises nationales des sédiments, organisées à Lille les 15 et 16 novembre 2022. VNF « récolte » environ 370 000 m3 de sédiments annuels sur l’ensemble du réseau national de 6700 km. Pour le territoire du Nord de la France, qui compte 680 km dont 300 km de grand gabarit, l’enjeu des sédiments devient primordial avec le projet Seine-Escaut ». L’extraction régulière des sédiments (majoritairement issus des activités humaines, qu’elles soient agricoles ou industrielles, ou du ruissellement) des voies navigables est essentielle pour garantir aux bateaux une profondeur d’eau et une largeur de circulation suffisante pour naviguer en toute sécurité. « La gestion des sédiments se heurte à deux problématiques dont la première est qu’une fois à terre, ils sont toujours considérés comme des déchets. Et seuls 25 % trouvent un débouché ou sont gérés et valorisés en Belgique et aux Pays-Bas notamment dans la fabrique de matériaux routiers. L’autre aspect est d’ordre financier, le coût moyen de traitement d’un mètre cube de sédiments pour VNF s’élève à 46 euros, c’est un frein pour l’établissement », a poursuivi la responsable de la DT. Une autre difficulté est liée à des évolutions de législation en Belgique et aux Pays-Bas restreignant les capacités à exporter depuis la France des sédiments, qui ne peuvent plus être déposés dans des sites de dépôt ou de transit. Une envolée des volumes de sédiments Dans la perspective de la liaison européenne Seine-Escaut, soit 1100 km de voies navigables à grand gabarit (pour le passage de bateaux de plus de 3500 t) reliant le bassin de la Seine et de l’Escaut avec la construction du maillon manquant Seine-Nord Europe, la DT du Nord-Pas-de-Calais conduit de nombreux chantiers. Il s’agit d’adapter les itinéraires existants au grand gabarit. « Nous élargissons et approfondissons les voies d’eau pour permettre le passage des plus grands bateaux, et il n’y pas d’autre solution que de draguer profondément pour parvenir à un gabarit uniforme en largeur et en profondeur sur le réseau à grand gabarit, au Nord et au Sud du futur canal Seine-Nord Europe ». Cela signifie une envolée des volumes de sédiments fluviaux extraits par la DT Nord-Pas-de-Calais de VNF sur le réseau existant. Marie-Céline Masson a donné en exemple les travaux menés sur le canal Condé-Pommeroeul, fermé depuis 1992 à cause de l’accumulation de sédiments, dont la réouverture est prévue pour septembre 2023 et « est stratégique pour Seine-Escaut » car il relie la France à la Belgique. « Sur 6 km, nous réalisons essentiellement un chantier de dragage qui aboutit à l’extraction de 1 million de mètre cube de sédiments. Et ce n’est qu’une partie des chantiers que nous avons à mener sur la liaison Seine-Escaut. Le montant des travaux sur ce canal atteint 80 millions d’euros, financé majoritairement par l’Union européenne et par la région Hauts-de-France qui accompagne largement le fluvial sur son territoire. Nous avons ainsi une problématique sédimentaire à traiter par l’intermédiaire des sites de dépôt et de transit. L’un des enjeux est de créer de nouveaux dépôts ». Dans le Nord-Pas-de-Calais, il existe environ 150 dépôts « historiques ». Parmi les défis à relever pour l’implantation de nouveaux sites, la réticence des riverains auxquels il faut expliquer que les sédiments qui y sont stockés sont non dangereux et inertes et peuvent constituer avec les années des réserves naturelles, une reconquête de la biodiversité. Pour la directrice territoriale : « Il y a cette problématique de l’acceptation à surmonter pour stocker dans des dépôts les sédiments issus des travaux que mène VNF pour Seine-Escaut. Dans le contexte de la sobriété énergétique et de la nécessité d’une économie circulaire, il y a une chance à saisir pour utiliser de manière industrielle les sédiments fluviaux, ainsi que portuaires, en les valorisant, pour développer des filières économiques au sein des territoires ».

Une méthodologie pour permettre la valorisation

De 2016 à 2019, la DT du Nord-Pas-de-Calais, avec la région, une agence de l’eau, l’Ademe, a conduit le projet Alluvio pour déterminer une stratégie et des actions pour la gestion et la valorisation des sédiments en associant des acteurs divers (de la voie d’eau, de l’agriculture, de l’industrie, des collectivités, des scientifiques). Dans ce cadre, VNF s’est engagé à réaliser des plates-formes de stockage pour les sédiments fluviaux, a précisé Marion Delplanque, chargée de mission sédiments à VNF. L’une est située à Wambrechies, une autre à Château-l’Abbaye, une troisième est envisagée. La plate-forme de Wambrechies est liée à la liaison Seine-Escaut par les travaux d’élargissement et d’approfondissement de la Deûle et de la Lys avec des opérations de dragage produisant 42000 m3 de sédiments fluviaux à gérer par an. Elle occupe un terrain de 2,3 ha le long de la Deûle et va commencer à recevoir une partie des sédiments extraits d’ici la fin 2022 en vue de leur stockage le temps de leur séchage puis leur recyclage/valorisation en étant intégrés à la fabrication de remblais, ciment, béton, tuiles, briques… « En sortie de ces plates-formes, tout l’enjeu est de trouver des débouchés pour les sédiments fluviaux, une fois qu’ils sont caractérisés. Cette phase de caractérisation est essentielle pour connaître vers quelle filière peut être dirigé le sédiment pour qu’il soit valorisé. Il est aussi important d’implanter la valorisation au niveau local. VNF ne peut pas valoriser seul tous les sédiments fluviaux, Alluvio a permis de mobiliser de nombreux acteurs autour de cette problématique », a ajouté Marion Delplanque. La valorisation des sédiments est l’aboutissement d’une méthodologie. « Celle-ci commence par la caractérisation qui s’inscrit dans une logique multi-filière pour déterminer comment le sédiment peut être compatible pour s’intégrer dans un nouvel usage comme matériau ou en substitution d’une matière naturelle », a expliqué NéoEco, entreprise de conseil et d’ingénierie. Vient ensuite la formulation, en fonction de la caractérisation du sédiment et de son utilisation envisagée, qui peut être utilisée dans un process industriel. Il est nécessaire de vérifier l’innocuité environnementale du produit fini utilisant le sédiment devenu un « éco-matériau » et selon l’usage prévu. Pour NéoEco, il s’agit de parvenir « à la bonne matière usagée pour le bon usage, donner au sédiment le meilleur potentiel pour un nouvel usage ». Pour passer de la phase recherche et expérimentation à l’industrialisation de la valorisation des sédiments, il y a les aspects financiers incitatifs comme des subventions mais aussi l’ajout de clauses dans les appels d’offres publics recommandant ou obligeant à l’utilisation de sédiments valorisés en substitution de ressources naturelles dans la fabrication des ciments et bétons, de matériaux composites, pour la réalisation de chemins et sous-couches routières, la reconstitution de sols (valorisation agricole, réhabilitation de friches urbaines), l’aménagement paysager, la restauration et la stabilisation de berge par des matelas de gabions… Les gisements sédimentaires varient d’une voie d’eau à l’autre, sont majoritairement composés d’une matrice minérale, d’argiles, de matières organiques. Ils sont issus de l’érosion des sols, des berges et des rejets urbains, agricoles et industriels. Alluvio a permis de caractériser les quantités et la qualité des sédiments pour faciliter leur valorisation.

Du côté des sédiments marins et des ports

Les autorités portuaires sont elles aussi concernées par la gestion des sédiments marins dragués pour conserver une profondeur adéquate pour l’accès aux terminaux. Elles doivent prendre en compte l’entrée en vigueur de la loi Leroy qui prévoit : « à partir du 1 janvier 2025, le rejet en mer des sédiments et résidus de dragage pollués est interdit ». Son application va accroître la quantité de sédiments à valoriser à terre. Or les capacités de stockage sont limitées et les coûts de gestion sont en forte hausse : multipliés par 6 en 10 ans, ils s'élèvent aujourd'hui à 120 €/tonne. Environ 45 millions de m3 de sédiments marins sont rejetés en mer chaque année, soit 90 % du volume total dragué. Lors des Assises de la valorisation des sédiments, parmi les interventions, il a été indiqué que pour les ports de Boulogne et Calais, les sédiments représentent environ 600 000 à 700 000 m3 par an. Une étude sur les valorisations possibles est en cours pour ceux qui ne sont pas clapés (la majorité), en commençant par un travail sur leur caractérisation. L’objectif est de parvenir à réaliser des « éco-produits » possibles d’ici à deux ans. « Le projet est aussi de créer un site de déshydratation sur 6 à 7 ha pour les sédiments marins par port ». La difficulté est que les sédiments marins sont salés, chargés en chlorure. Toutefois, ce n’est pas un obstacle rédhibitoire, par exemple, pour une plate-forme multimodale de 16,5 ha au quai des Flandres du grand port maritime de Dunkerque, en construction de septembre 2021 à septembre 2022, le sable a été remplacé par des sédiments marins après des études qui ont permis d’aboutir à une formulation donnant des résultats identiques aux performances des matériaux naturels (du sable de carrière dans ce cas), a expliqué Colas. Les sédiments marins utilisés faisaient partie de ceux stockés à terre par Dunkerque Port. Du côté du bassin d’Arcachon, 9 ICPE existent à terre pour accueillir les sédiments marins inertes, non dangereux pour une capacité de 78000 m3. « Nous avons 19 ports. La gestion à terre des sédiments est un défi : le besoin en foncier est important, la gestion de l’eau est nécessaire, une couverture des sédiments est parfois prévue, sans oublier la question de l’acceptation des sites. Un choix politique a été fait : pas de dragage si pas de possibilité de stockage à terre. Il faut créer des filières de valorisation pérennes ». Parmi les valorisations possibles : remblaiement de tranchées d’assainissement, chemins forestiers, support pour des cultures agricoles, pistes cyclables… « Il est important de rassurer les entreprises sur les sédiments et d’informer sur les utilisations possibles mais aussi de développer leur usage dans les marchés publics ».

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