L’Office français de la biodiversité (OFB) et Voies navigables de France (VNF) ont organisé fin janvier 2022 une journée d’échanges en ligne présentée comme les « premières assises nationales » contre la prolifération des plantes exotiques envahissantes sur les voies d’eau. Celles-ci font partie des espèces exotiques envahissantes (EEE, voir encadré plus loin pour des définitions).
A l’image de l’ampleur du phénomène (de plus en plus marqué, complexe et coûteux au fil des années), et de toutes les problématiques qu’il crée (conséquences néfastes pour les écosystèmes et la préservation de la biodiversité, pour le réseau fluvial, ses infrastructures et les activités économiques qui s’y déroulent), les tables rondes et les ateliers de cette journée ont rassemblés près de 400 participants d’horizons très divers (élus, représentants de collectivités, d’associations, de fédérations, d’entreprises, des scientifiques, des professionnels du fluvial).
« Les plantes exotiques envahissantes se développent extrêmement vite sur le réseau fluvial et sont un fléau qui menace le réseau et sa pérennité en tant que moyens de transport et de découverte d’un territoire, perturbe et entrave le fonctionnement des installations et des ouvrages. Le sujet existe depuis 30 ans mais il y a une accélération forte et récente du développement de certaines plantes dont le myriophylle hétérophylle », a indiqué en introduction de la journée Thierry Guimbaud, directeur général de VNF.
Ces plantes sont des entraves à la navigation en général, freinent l’attrait touristique des voies d’eau et de leurs territoires, appauvrissent la biodiversité en éradiquant les plantes indigènes, en provoquant une surmortalité des poissons.
La mission de VNF est de traiter le mieux possible pour conserver les voies d’eau en état d’accueillir les activités fluviales dans les territoires, pour garantir la biodiversité.
Le directeur général de cet établissement a ajouté : « On nous dit fréquemment que c’est un défaut d’entretien : il faut dépasser cette accusation et travailler sur les faits. On nous dit également qu’il n’y a pas de solution, ce n’est pas vrai non plus. Il y en a à court terme comme le faucardage. Des expérimentations sont en cours. Il y a sans doute d’autres solutions à trouver, y compris de la prévention. VNF propose de regarder toutes les solutions possibles et de travailler de manière collective pour voir comment dépasser le faucardage, le moissonnage ou l’arrachage qui restent pour le moment indispensables ».
Un manque de moyens humain et financier
A plusieurs reprises, il a été souligné que VNF, seul, ne dispose pas des moyens nécessaires aux plans humain et financier pour faire face à la prolifération, organiser la lutte, imaginer et bâtir les solutions. En 2021, VNF a consacré 2,8 millions d’euros à la gestion des plantes invasives en 2021, « un budget qui double quasiment tous les ans depuis plusieurs années ». VNF n’a pas pu traiter toutes les zones affectées en 2021 : faute de moyens, des choix ont été faits.
En 2021, VNF a aussi investi 1,5 million d’euros « pour expérimenter et innover », a détaillé Cécile Pestelard, référente technique environnement, espèces envahissantes de VNF. « Nous avons investi dans des actions préventives, par exemple avec des rideaux de bulles pour freiner la dispersion des plantes, dans des comparaisons de matériels et d’outils pour les améliorer et mieux couper les plantes mais aussi pour les sortir de l’eau. Nous avançons également sur la valorisation possible de cette biomasse. Nous avons besoin de solutions techniques pour identifier précocement les zones atteintes et les types de plantes ».
Lionel Rouillon, directeur de la direction du développement de VNF, a expliqué : « Les actions que nous menons sur le terrain sont de détecter les plantes invasives le plus rapidement possible, de réaliser de la prévention. Il faut aussi faire la part des choses entre une intervention pour préserver la navigation à court terme tout en évitant de disséminer les plantes encore plus car elles se développent par bouture et tout fragment oublié lors du ramassage après faucardage, par exemple, se répand et se déploie plus loin dans la voie d’eau à moyen terme ».
Parmi les points connus, sur ces plantes, un arrachage en hiver ralentit leur prolifération au printemps, obscurcir le plan d’eau (par des arbres le long de la voie d’eau ou par des colorants) affaiblit la plante. La mise en place de « rideaux de bulles » est une aide pour éviter la dispersion des fragments de plantes après le faucardage et pour l’aide au ramassage.
La question de la gestion des déchets de plantes
Hubert De Jenlis, vice-président du conseil départemental de la Somme, a témoigné de la situation et des solutions mises en place sur les 120 km du canal de la Somme où le myriophylle hétérophylle a été détecté sur 1 km en 2014 et sur 60 km en 2021, soit la moitié de l’itinéraire : « Nous avons dépensé 2 millions d’euros depuis 2014 en faucardage juste pour faire en sorte que le canal reste toujours navigable pour le tourisme. Il n’y a plus de navigation fret sur le canal de la Somme. En 2021, nous avons mené une expérimentation de coloration de l’eau pour créer de l’ombre et ralentir la croissance de la plante. C’est un investissement de 48 000 euros, plutôt économique et réussi car cela nous a évité un faucardage. Nous allons poursuivre la coloration en 2022.
Nous testons l’alevinage de carpes qui se nourrissent des plantes et réduisent aussi la lumière dans l’eau. Nous avons aussi réalisé du « stress hydraulique », c’est-à-dire recréer du courant dans le canal. Un groupe de travail a été constitué pour mettre au point d’autres solutions à ce phénomène qui est très inquiétant pour nous. Nous sommes très seuls financièrement pour faire face à l’ampleur de la prolifération ».
Hubert De Jenlis a été l’un des premiers lors de la journée à mettre en avant la nécessité d’avancer les réflexions concernant la gestion des déchets une fois les plantes coupées et sorties de l’eau : « Elles se chargent notamment de tout ce qui se trouve dans l’eau et doivent faire l’objet d’un traitement approprié. Il faut avancer sur leur valorisation éventuelle », par exemple par méthanisation.
Samuel Fauchon, technicien aménagement environnement à la direction des voies navigables de la région Bretagne, a dit que les premières plantes invasives sont apparues au début des années 2000 mais le myriophylle hétérophylle n’a pas encore été détecté. En l’absence d’actions curatives connues, des solutions palliatives ont été effectuées avec le faucardage et l’arrachage. Le coût dépensé atteint 1 million d’euro en 2021, soit 8 % du budget « voies navigables ». Un système d’information à destination des navigants a été instauré (avis à la batellerie hebdomadaire). « Nous recherchons des partenariats scientifiques pour des solutions et des expérimentations. Nous sommes prêts à travailler et à nous associer avec VNF ».
Passer de la gestion de l’urgence à des solutions pérennes
Corinne Dufaud, directrice adjointe de la société Nicols, a apporté le témoignage de cette entreprise de location de bateaux avec notamment des bases en Bourgogne-Franche Comté.
« Au printemps 2020, nous avons constaté une forte prolifération des plantes invasives, l’absence de navigation à cause du confinement de mi-mars à mi-mai a peut-être favorisé leur développement. Dans l’urgence et en l’absence de faucardeuses disponibles, des péniches ont fait plusieurs voyages pour ouvrir un passage dans les plantes en les coupant avec les hélices. Les morceaux tranchés mais non ramassés ont ensuite favorisé la dissémination des plantes encore plus loin dans les canaux de la région. Ce n’est donc pas une solution pérenne pas plus que le faucardage », a précisé cette responsable.
Elle a rappelé les conséquences négatives pour les plaisanciers : hélices coincées dans des paquets de plantes, casse ou panne de moteur de bateau, perte de la liberté de pouvoir s’arrêter ou stationner où l’on veut et quand on veut, mauvaise image de l’activité… « Ce sont des pertes directes pour nous ».
Elle a présenté une solution mise au point par un affilié de Nicols, Franche Comté Nautic, qui a transformé un bateau existant en faucardeuse qui va couper les plantes profondément, soit à 1,80 mètres de profondeur. Cela freine davantage le retour des plantes apparemment.
Pour Marie-Line Duparc, maire de Saint Jean-de-Losne, les plantes invasives sont apparues il y a une dizaine d’années avec une aggravation en 2018 dans le port de sa ville. « L’urgence a été d’apporter une solution rapide à l’envahissement pour permettre les activités fluviales car il n’était plus possible de sortir du port. Sous l’action des services de l’Etat, une gouvernance partagée s’est mise en place. Seul un travail collaboratif peut permettre des solutions. Un GIE a été constitué pour l’achat d’une faucardeuse pour tondre et ramasser. Plus globalement, il faut se dire qu’on ne va pas se débarrasser du phénomène, il faut apprendre à vivre avec, s’adapter aussi vite que le font les plantes invasives. C’est un problème national et international pas seulement local. Il faut également communiquer auprès des riverains et du public ».
La charte fluviale de territoire Rives de Saône signés à Saint-Jean-de-Losne le 23 avril 2021 prévoit des actions pour lutter contre ces plantes.
Rendez-vous dans un an
En conclusion de la journée, Loic Obled, directeur général délégué de l’OFB, a souligné que des solutions existent mais la prévention demeure essentielle car les écosystèmes non atteints et donc non fragilisés sont plus résistants que ceux qui sont envahis. Cet aspect prévention passe aussi par des sanctions et un meilleur contrôle de l’environnement.
Pour Thierry Guimbaud, directeur général de VNF, « les échanges ont confirmé qu’il existe une multiplicité de solutions, sans solution miracle ».
Le faucardage ou l’arrachage avec des techniques sécurisées, puis le ramassage, etc. sont à mixer avec d’autres solutions plus pérennes pour lesquelles des expérimentations sont en cours. Autrement dit, il faut établir « une stratégie de lutte multi-solutions ».
Parmi les idées émises lors de la journée, « la constitution d’un réseau d’observateurs ou de sentinelles » a retenu l’attention et pourrait être composé d’usagers de la voie d’eau (pêcheurs, agents de l’OFB, de VNF, des collectivités locales...). L’idée d’une analyse des risques selon les territoires où les situations apparaissent très diverses a aussi été émise, avec la réalisation d’une cartographie.
Enfin, la question du financement, le nerf de cette « guerre » contre la prolifération des plantes exotiques envahissantes sur les voies d’eau, est centrale comme pour tous les sujets. Le budget de VNF, donc de l’Etat, n’y suffira pas, les options se trouvent peut-être du côté des régions (CPIER) ou de l’Union européenne.
Rendez-vous a été donné dans un an à Dijon pour dresser un bilan de ce qui aura été accompli au cours des mois à venir.
Le webinaire peut-être vu ou revu sur le site de VNF.
Trois combats et des définitions
Loic Obled, directeur général délégué de l’OFB, a fourni un ensemble de précisions sur les plantes exotiques envahissantes qui font partie plus globalement des espèces exotiques envahissantes (EEE).
Pour lui, il y a trois combats : « Un déjà perdu car ces plantes sont déjà là, un deuxième est l’espoir d’une mobilisation et d’une meilleure connaissance du phénomène par le plus grand nombre, le troisième est la prévention pour empêcher l’arrivée de nouvelles espèces ».
• Qu’est ce qu’une plante exotique envahissante ?
Une plante exotique envahissante est une espèce végétale non-indigène au territoire considéré à une date donnée, dont l’introduction l’implantation et la propagation sur ce nouveau territoire menacent les espèces indigènes, les habitats naturels ou les écosystèmes, avec parfois des conséquences environnementales ou économiques ou sanitaires négatives. Son introduction dans le milieu naturel du nouveau territoire hors de son aire de répartition naturelle est réalisée par ou avec les humains, de manière volontaire ou fortuite.
• Quelles sont les principales plantes exotiques envahissantes sur le réseau fluvial ?
myriophylle hétérophylle, myriophylle du Brésil, élodées, jussies, égérie dense, hydrocotyle fausse-renoncule, cabomba, grand lagarosiphon, etc.
Chacune d’entre elles dispose de caractéristiques biologiques propres, mais toutes ont généralement en commun : une forte capacité de reproduction, notamment par multiplication végétative, c’est-à-dire par du bouturage de fragments de plante ; une grande capacité de dispersion, avec ces fragments qui peuvent être propagés sur de longues distances par les cours d’eau ; une appropriation des ressources nutritives dont les autres espèces ont besoin, en étant présentes souvent dans des milieux enrichis en nutriments (eutrophisation des eaux) ; une croissance rapide et exponentielle, avec le développement de populations souvent denses, larges et mono-spécifiques ; une forte adaptation aux perturbations naturelles ou anthropiques.
• Quels sont les effets négatifs sur la biodiversité ?
Les espèces exotiques envahissantes (ou EEE) sont aujourd’hui reconnues comme l’une des causes majeures de perte de biodiversité dans le monde.
En ce qui concerne les plantes, celles-ci entrent en compétition avec les espèces indigènes en accaparant les ressources nutritives et l’espace dans l’eau, prennent leur place, entrainant ainsi un appauvrissement de la diversité végétale à l’échelle locale. De plus, ces tapis denses formés par ces plantes peuvent générer une surmortalité de la faune piscicole, en réduisant la pénétration de la lumière dans l’eau et son oxygénation, mais peuvent aussi diminuer la reproduction des poissons en encombrant les frayères. Par ailleurs, ces phénomènes d’invasions biologiques peuvent constituer un risque d’uniformisation des paysages. Les herbiers végétaux peuvent de plus ralentir ou modifier l’écoulement dans les cours d’eau et conduire à des phénomènes de sédimentation ou d’inondation. La sédimentation des matières organiques peut entraîner par la suite une eutrophisation des eaux et l’envasement du milieu.