"Un chauffeur qui travaille 200 heures par mois risque de perdre 1 300 € par an, soit 110 € de moins sur la fiche de paie", soutient Jérôme Vérité, secrétaire général de la CGT Transports. Pour Patrice Clos, son homologue de FO Transports et Logistique, le manque à gagner serait du même ordre si un accord d'entreprise venait à réduire les majorations appliquées aux heures supplémentaires de 25 et 50% à 10%, comme le permet la loi El Khomri.
Un calcul que conteste Jean-Luc Allègre, spécialiste des questions sociales transport. Dans les limites de 169 h (courte distance) et 186 h (grands routiers) mensuelles, "les quatre premières heures au-delà de 151 h par mois pour les conducteurs courte distance et les huit premières pour les grands routiers ne sont pas des heures supplémentaires, nonobstant l’affectation d’un pourcentage de majoration identique à celui des HS, mais des heures d’équivalence, rappelle-t-il. En conséquence, la mise en œuvre dans l’entreprise d’un accord réduisant le taux des heures supplémentaires serait sans aucune influence sur ce type d’heures, dont la rémunération a été fixée par accord collectif "épargné" (accord de branche du 23 avril 2002, ndlr). La loi en cause ne vise que la rétribution des heures supplémentaires".
Une hypothèse peu réaliste
En outre, poursuit Jean-Luc Allègre, "il ne me paraît pas socialement possible, y compris par voie d’accord, d’envisager une réduction des taux des heures au-delà de la 169è ou 186è, alors même que les heures précédentes bénéficieraient d’un taux supérieur. Les employeurs, majoritairement, le savent, qui n’ont jamais utilisé la possibilité de réduire le taux des HS (au-delà des temps d’équivalence) qui existe dans des conditions de recours identiques à celle du projet depuis… 2008".
C'est en effet depuis cette date qu'une loi permet de procéder à une telle réduction. Or, "à notre connaissance depuis 2008, aucun accord dans la branche n'a permis à une entreprise de rémunérer les heures supplémentaires à hauteur de 10%", confirme Florence Berthelot, déléguée générale de la FNTR. Par ailleurs, ajoute-t-elle, il existe de gros doutes sur le fait que des organisations syndicales puissent appeler à négocier un tel accord, dans la branche ou dans l’entreprise".
La FGTE CFDT, qui n'a pas rejoint le mouvement de grève, le d'ailleurs dit tout net dans son communiqué du 18 mai : "il est évident qu’aucun délégué syndical CFDT ne signera un accord d’entreprise visant à diminuer la majoration de ces heures supplémentaires !".
Et Florence Berthelot de rappeler, enfin, les dispositions de l'accord de branche du 23 avril 2002 "qui garantit aux salariés, a minima, les droits qu’ils tiennent de la loi".
Des organisations professionnelles sur la même longueur d'onde
Pour l'Union TLF, le débat sur les heures supplémentaires est un "faux sujet". "Cette agitation syndicale est extérieure au climat actuel de la branche, souligne Yves Fargues, son président délégué général. Nous avons connu un hiver de négociations calme sur de nombreux dossiers, comme les NAO, la protection sociale ou le référentiel pénibilité. Les entreprises n’ont pas l’intention de remettre en cause l’accord collectif historique et de réduire les avantages. Nous soutenons le concept de travailler plus pour gagner plus."
Un avis partagé par Catherine Pons, déléguée générale de l’UNOSTRA : "Les PME et TPE sont attachées à la convention collective ; peu s’en écartent. Les plus grosses dérives sociales ne se produisent pas dans les petites entreprises mais dans les grands groupes ouverts à l’international qui appliquent les lois de la mondialisation".
La plupart des conducteurs nationaux roulent de moins en moins, notamment à cause de changements d’organisations horaires dans les usines mais aussi de l’introduction de la technologie qui permet de mieux gérer l’exploitation, souligne par ailleurs la déléguée générale de l'UNOSTRA. "Nous n’entendons plus de chefs d’entreprises monter au créneau pour demander davantage d’heures supplémentaires ou une baisse du coût des heures supplémentaires".
L’OTRE soutient pour sa part que "rien ne permet d’affirmer à la seule lecture de la nouvelle rédaction de l’article L.3121-22 [que] la loi El Khomri, et ses dispositions sur les heures supplémentaires, pourrait remettre en question l’accord de branche du 23 avril 2002".
L'organisation professionnelle rappelle en outre "que le véritable enjeu pour conserver l’emploi dans le transport français se situe dans la lutte contre la concurrence déloyale européenne. […] Si demain les pratiques anti-concurrentielles perdurent et s’amplifient, la question même de la rémunération des heures supplémentaires ne se posera même plus !".
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