Première preuve en 1998. Vingt ans auparavant, Georges, chauffeur-livreur de combustibles de 27 ans, s’était lancé à son compte avec son camion. Son unique client : le Sernam, pour le secteur Outreau-Le Portel. L’entreprise grandit doucement mais sûrement durant deux décennies : Georges Allan reprend des transporteurs voisins indépendants et leurs secteurs de livraison. En 1995, avec 22 camions, la SARL Littoral Messageries d’alors est correspondante Sernam pour la quasi-totalité des secteurs entre le sud de Calais et la frontière avec la Somme. Sauf qu’en cette fin de millénaire, le fondateur et ses fils, Sébastien et Willy, qui viennent de le rejoindre dans l’aventure, comprennent que les temps changent : « La messagerie battait de l’aile, le Sernam ne voulait plus de petits centres comme Boulogne-sur-Mer, préférant couvrir de plus gros pôles comme Arras et Amiens. Ça n’allait plus durer. Nous avons décidé d’anticiper l’inéluctable en arrêtant de travailler avec eux. » La décision est douloureuse. Le contrat fait vivre 22 chauffeurs, l’entreprise doit donc redémarrer presque de zéro ! Les trois quarts des conducteurs sont réembauchés chez des transporteurs partenaires. Pour les cinq restants, c’est un changement de vie. Certains n’avaient jamais conduit en dehors du Boulonnais. Il faut leur apprendre à se rendre en Normandie ou en région parisienne, leur faire passer le permis super-lourd, racheter les semis adéquates. Le tournant était audacieux… mais sera réussi. En quelques années, les Transports Allan développent un nouveau portefeuille de clients en direct, en s’appuyant notamment sur la grande distribution. Dès 2002, l’entreprise franchit de nouveau la barre des dix salariés.
Pas question pour autant de ralentir la cadence. À partir de 2004, la société, devenue Transports Allan, prend une nouvelle direction. Désormais définitivement au pouvoir (voir encadré), les deux frères décident de se concentrer sur le grand régional, c’est-à-dire les Hauts-de-France actuels et l’Est, jusqu’à Strasbourg, avec quelques incursions occasionnelles en région parisienne, en Normandie et en Belgique, sur demande. « Nous sentions la concurrence arriver sur les plus longues distances en national, se rappellent Sébastien et Willy Allan. En revanche, nous pouvions faire la différence sur le créneau régional. » La décision est une nouvelle fois judicieuse. Quelques années plus tard, avec la concurrence accrue de l’Est et la crise, nombre de transporteurs opteront pour ce virage stratégique. Et aujourd’hui, l’activité transport se structure en deux parties égales : conteneurs maritimes d’un côté, bâchés-tautliners de l’autre. Dans cette seconde activité, la grande distribution – toutes enseignes – représente 40 % du chiffre d’affaires, le transporteur travaillant également pour des industries comme l’imprimerie, l’emballage, la cartonnerie, etc. Soit environ 80 clients, dont aucun n’excède les 10 % du chiffre d’affaires. « Après les années Sernam, nous nous sommes toujours promis de ne pas dépasser les 10 % chez un client. » Le transporteur a retrouvé peu ou prou sa taille de 1998 : 21 chauffeurs pour 20 véhicules. Ces chauffeurs se rendent désormais à Isques, plutôt qu’à Wirwignes, où étaient situés les bureaux d’origine, et à Outreau, où les transporteurs louaient un parking. Le début des années 2010 a été l’occasion d’une remise en question pour asseoir le développement de la société : investir dans un bâtiment et un parking avec station de lavage et atelier intégré. Pour amortir le coût, les deux frères ont adjoint une autre activité : la logistique. D’abord 1 400 m2 en 2012, puis 1 750 m2 supplémentaires en 2015. Les deux entrepôts fonctionnent aujourd’hui à plein régime, ce qui n’empêche pas Sébastien et Willy Allan de toujours viser plus d’excellence. En février 2019, ils ont obtenu la certification opérateur économique agréé, « avec dans un coin de la tête le Brexit. Mais plus généralement, l’OEA nous positionne comme des acteurs avec un haut niveau de service, notre objectif ».
Le service et la plus-value, deux valeurs cardinales pour la société. Les chauffeurs savent d’ailleurs à quoi s’en tenir. Chez Allan, la tenue est fournie, politesse, bonne présentation sur le terrain sont des prérequis. « Nous cherchons sans cesse la plus-value dans le domaine du transport. Rouler jusque Calais ou Lille, tout le monde sait le faire. Faire du sur-mesure pour nos clients, non. D’où la nécessité d’avoir des conducteurs parfaitement imprégnés de l’esprit d’entreprise. Nos clients nous disent souvent que nous avons des chauffeurs made in Allan ! »
Cette exigence a son revers : il est plus difficile de trouver les bons profils. Ce qui oriente le projet d’entreprise pour les prochaines années. L’activité transport ne devrait plus croître outre mesure. L’axe de développement repose sur la logistique, avec un nouveau projet en cours. Les deux frères n’oublient pas également leur engagement environnemental. Première PME du Pas-de-Calais à signer la charte CO2, les Transports Allan sont en attente de la labellisation CO2 ; leurs bâtiments d’Isques ont été édifiés selon les préceptes de l’économie énergétique et de la récupération d’eau ; 90 % de la flotte porte la norme Euro VI, etc. En attendant, d’ici quelques jours, l’arrivée d’un camion roulant au gaz naturel.
Le premier d’une longue série ? « Aujourd’hui, nous sommes prêts. C’est plutôt l’infrastructure qui ne suit pas. Il n’y a pas de station dans le Boulonnais. Peut-être devrions-nous y penser avec d’autres transporteurs ? », plaisantent à moitié Sébastien et Willy Allan. L’occasion de prendre un nouveau virage dans la continuité ?
Si Sébastien Allan, 45 ans, était prédestiné à entrer dans l’entreprise familiale, avec un cursus scolaire dans le domaine du transport, ce n’était pas le cas de Willy, 43 ans, passé par une école de travaux publics. Venu dans l’entreprise pour obtenir ses permis en 1995, il n’en est jamais reparti ! Les deux frères dirigent pleinement la société depuis 2004. Et si Georges et son épouse, Nadine, passent encore quelques minutes tous les jours, ce n’est pas pour leur mettre des bâtons dans les roues. « La succession n’a jamais été pesante. Dès l’instant où notre père a décidé de passer la main, il nous a laissé toute latitude. Il nous conseille, mais nous prenons nos décisions. » Une répartition claire des rôles entre le fondateur et ses héritiers, mais aussi entre les deux patrons actuels. À Sébastien, la partie conteneurs maritimes, à Willy, le bâché-tautliner. « C’est la même entreprise, mais chacun possède ses clients, son créneau, même si l’autre peut intervenir au besoin. Pour nous, cette répartition constitue l’un des secrets de notre entente et de notre complicité. » Longtemps, les deux frères ont continué à rouler régulièrement. Depuis le lancement de l’activité logistique, les sorties se font plus épisodiques. « Mais en exploitant chacun notre partie, nous restons au contact des clients ! » N. M.
• CA : 2,7 M€
• Effectif : 25 salariés
• Parc : 20 moteurs
• Activités : porte-conteneurs et tautliners, lot complet et groupage, logistique.
