Selon l’Enquête chargeurs 2023 du cabinet bp2r et de l’Association des utilisateurs de transport de fret (AUTF) portant sur 200 responsables Transport, la proportion des chargeurs anticipant une croissance des volumes de fret routier est tombée de 75 % en 2021 à près de 50 % pour 2022. Cette année, la chute devrait se poursuivre. En effet, 40 % des acheteurs de transport prévoient une hausse des volumes. Contre 60 % qui n’envisagent pas d’augmenter leur demande de transport routier pour 2023. Un quart d’entre eux pense même la réduire. Conséquence, la sous-capacité des transporteurs s’est quelque peu détendue. Cependant, le contexte inflationniste a conduit les transporteurs à ajuster leurs tarifs de plus de 4 % en moyenne en 2022. Parmi les raisons de cette évolution, l’étude de bp2r et de l’AUTF mentionne les revalorisations des grilles salariales des conducteurs (+12 % sur 2022), l’augmentation du prix des véhicules (+11 %) ainsi que l’inflation touchant la maintenance et les péages. Pour cette année, la hausse des tarifs devrait atteindre 4,3 %.
Cycles économiques : des variations plus rapides et plus violentes
« Notre activité 2022 a connu une hausse de 8,5 % à 39,4 millions d’euros, notamment en raison de la forte augmentation du prix du carburant. Ce phénomène mis à part, le chiffre d’affaires eût été stable, indique Mathieu Tschupp, directeur général de TCP basé à Troyes (10) dont les effectifs s’élèvent à 369 salariés cette année contre 345 en 2022 pour 145 tracteurs et 195 remorques. Avec la baisse des prix du gazole, nous nous attendons à un chiffre d’affaires 2023 légèrement en baisse. » Même constat chez Portmann qui, basé à Sausheim (68), réalise un chiffre d’affaires 2022 de 180 millions d’euros (+12 %) avec une prévision de 4 % à 5 % de croissance pour 2023 : « La baisse conjoncturelle depuis la rentrée est assez marquée. Certains secteurs compensent d’autres. Par exemple, la sidérurgie marque le pas tandis que l’automobile marche bien. La grande distribution spécialisée souffre alors que la grande distribution généraliste se porte bien », explique Jean-Michel Bauer, DG du groupe Portmann qui emploie 900 salariés pour 470 moteurs et 950 remorques et qui exerce dans la distribution, l’industrie et la sidérurgie. C’est compliqué d’y voir clair ainsi que de gérer les hauts et les bas de l’activité. »
Et Mathieu Tschupp de renchérir : « Depuis la crise sanitaire, nous assistons à une lame de fond, un puissant dérèglement de l’activité. Les cycles économiques sont de plus en plus courts. Ils connaissent des variations plus rapides et plus violentes. » Coûts sociaux, augmentation du prix des véhicules, péages… « en début d’année, nous avons pu répercuter l’augmentation de nos coûts d’exploitation de 30 % à 5 %. Avec l’augmentation de 5,4 % des coûts sociaux prévue par les accords de branche, nous repartons à la bataille pour négocier auprès de nos clients nos tarifs ,à la hausse, annonce Jean-Michel Bauer. Nos marges sont tellement étroites que nous devons nous battre pour la survie de nos entreprises. »
Prudence de mise dans les investissements
Côté investissements, Portmann continue d’amortir ses véhicules au gaz. « A une époque, ces véhicules étaient l’avenir. En réalité, nous les avons ‘‘subis’’ en 2022 car les cours du gaz ont explosé. Certains clients nous les ont même restitués, précise Jean-Michel Bauer. Dès lors que le prix du gaz repart à la baisse, ils redeviennent peu à peu compétitifs. » Reste que, pour se conformer aux exigences des zones à faibles émissions (ZFE-m), Portmann investit d’une part dans trois véhicules électriques à batterie (BEV) de chez Scania dotés d’une autonomie de 400 km. Et d’autre part dans les carburants alternatifs. « Mais pas le B100 car nous refusons que les terres agricoles soient cannibalisées pour produire du biodiesel », souligne Jean-Michel Bauer qui, du coup, privilégie le HVO (huiles végétales hydrogénées et recyclées) pour 50 % de ses véhicules éligibles avec des cuves installées dans les principaux sites du groupe. A l’opposé, TCP mise massivement sur le B100 : « 35 % de notre parc sont en B100 irréversible avec Renault et nous prévoyons atteindre les 40 % pour l’année prochaine, fait valoir Mathieu Tschupp qui, par ailleurs, possède un Mitsubishi Fuso Canter hybride électrique-diesel. Moyennant 4 000 euros à 5 000 euros d’adaptation par véhicule, cette énergie alternative produite grâce aux résidus de colza non utilisés pour l’alimentation humaine ou animale nous permet de réduire nos émissions de CO2 de 60 % à moindre coût, malgré un entretien plus fréquent et une consommation un peu plus élevée. »
Les voies pour s’en sortir
Dans un contexte baissier avec des coûts à la hausse, comment s’en sortir par le haut ? Beaucoup se posent la question. Pour sa part, TCP mise sur la logistique avec un entrepôt de 18 000 m² à Troyes qui devrait ouvrir début 2024, portant ainsi sa surface totale de stockage à 83 000 m². L’intérêt ? « En gérant à la fois le transport, le stockage et l’organisation du transport de nos clients, nous optimisons leur logistique », soulève Mathieu Tschupp. Pour sa part, Portmann met un pied dans le report modal vers le ferroviaire. « Nous avons déjà 140 châssis conteneurs et nous comptons en acquérir 60 de plus en 2024. Nous sommes sur le point de lancer une activité multimodale entre la Lorraine et la région parisienne. A la sortie de l’hiver 2024, cette activité représentera 2 % à 2,5 % de notre chiffre d’affaires, confie Jean-Michel Bauer. Certes, il est plus facile de lancer une telle activité en période haussière que baissière mais il faut bien préparer l’avenir sur le moyen et long terme. » Le transporteur estime également vital de l’exécuter avec un haut niveau de qualité et avec des partenaires fiables. En particulier l’opérateur ferroviaire qui devrait faire montre d’un réel engagement. « Les travaux préparatoires sont énormes car il ne faut rien laisser au hasard. Nous retournons dans le multimodal après l’avoir essayé il y a huit ans. Cette fois-ci, nous espérons être mieux préparés ! », souligne le DG de Portmann.