Au petit matin, l’entrepôt Chappe et Fontolive de Champigny-sur-Marne (94) s’ébroue ; les camions-grues entament leur ballet, certains lourdement chargés, tous parfaitement entretenus… À les voir, on se dit qu’ici, le matériel revêt une attention particulière. Le patron y veille. « Nous conservons nos camions entre dix et quinze ans », s’exclame Bernard Laroche, le dirigeant dont l’affinité au matériel lui a valu de grandir, et surtout de dépasser les difficultés. « Nous sommes des transporteurs, mais notre expertise repose sur la manutention de matériels lourds, notamment les machines-outils et les matériels électriques », explique ce dernier. « Nous vendons des prestations de services complètes comprenant, au-delà du transport, le grutage, le levage, le transfert », renchérit sa fille, Agnès Laroche, en charge de l’administratif de la société familiale. Entreprise singulière, Chappe et Fontolive, c’est aussi une entité à deux noms. Autrement dit, à deux familles. Elle a pris son envol dans l’entre-deux guerres. Actuellement dotée d’un parc de 14 camions-grues, 3 tracteurs, 5 semi-remorques, 5 remorques dont une surbaissée et 1 grue automotrice de 35 tonnes, la société s’est adaptée au temps, à l’évolution des machines industrielles et des matériels roulants ainsi qu’à celle des marchés, sans jamais se départir de son fondement : l’esprit de famille. « Les descendants Chappe et Fontolive sont toujours associés », indique Bernard Laroche, en loyal petit-fils du fondateur. À 62 ans, ce dernier a choisi de se mettre en retrait, conservant toujours un œil sur les affaires pour préparer la quatrième génération à prendre le relais. Apprenti au sein de l’entreprise familiale dès l’âge de 16 ans, puis à la manoeuvre en 1994, Bernard Laroche n’aura finalement jamais connu l’âge d’or du transport et de la manutention. C’était l’époque des Trente Glorieuses, d’une industrie automobile et aéronautique implantée à Paris et dans sa région, avec sa myriade de sous-traitants et d’usines. Pour produire, il fallait transporter et installer les machines-outils. Le labeur routinier de Chappe et Fontolive avant les difficultés qu’annonçaient le premier choc pétrolier de 1974, puis la flambée de la concurrence industrielle japonaise…
Bernard Laroche n’aura d’autre choix que d’assister au lent démantèlement du tissu industriel français. Il s’en souvient encore : « À partir de 1983 et jusqu’en 1995, tous les jours, nous étions présents sur des ventes aux enchères pour transporter des machines qui partaient vers l’étranger, l’Europe de l’Est ou le Maroc. Alors oui, le travail ne manquait pas. Puis vint la baisse d’activité sur la machine-outil, inéluctable. » Pour l’entreprise, il s’agit alors de tenir, faire face… Ou plutôt de se réinventer. « Dès 85, je n’étais pas encore entré dans mon costume de patron que j’ai proposé l’achat d’un premier porteur avec plateau et bras de grue monté à l’arrière », lance Bernard Laroche. Totalement inédit à l’époque, le projet semble même un peu fou. Le dirigeant mènera l’idée à son terme, et de nouvelles portes s’ouvriront, dès lors, pour la société. « Plutôt que de mobiliser une grue et un tracteur, nous pouvions avec un seul camion transporter et installer une machine. Lorsque vous effectuez le même travail en moins de temps, les clients vous rappellent », souligne le transporteur francilien. Sans tirer les prix vers le bas, l’entreprise a progressivement augmenté son chiffre d’affaires pour investir dans du nouveau matériel, et aussi consolider sa trésorerie.
C’est ainsi que les camions-grues avec plateau ont effectué leur entrée dans le parc de Chappe et Fontolive, avec cette volonté de faire de la technologie des véhicules l’une des clés de la réussite. Monter des bras de grue capables de soulever davantage de tonnes, mais aussi gagner en charge utile sur les porteurs dans l’objectif de transporter des machines plus lourdes. Acquéreur du premier 4 essieux Mercedes en France en 2011, du premier 5 essieux Scania de 560 ch en 2014 au PTAC de 48 tonnes, Bernard Laroche a récemment repoussé les limites : « Les dirigeants de Scania m’ont annoncé qu’ils étaient en mesure d’augmenter la charge utile de 2 tonnes sur le 5 essieux de 560 ch avec un PTAC de 50 tonnes. J’ai dit “banco” pour un nouveau porteur. Car deux tonnes de plus, c’est énorme pour nous ! » Toujours inscrit en première catégorie du convoyage exceptionnel selon l’article R433-1, le nouveau moteur devrait rejoindre la route en février. Ce sont les avancées technologiques, notamment sur le freinage, qui ont autorisé ce gain sur le porteur, le tandem avant supportant, à chaque essieu, 10,9 tonnes et 9 tonnes sur le groupe arrière. « Ses trois essieux arrière sont également directionnels, ce qui facilite son maniement et réduit la consommation de pneumatiques », précise le neveu, Fabrice Laroche, qui met également l’accent sur la hauteur des châssis des porteurs Scania : « 1 m 04, soit 10 cm de moins qu’un Mercedes pour assurer le passage des ponts. Il est très fréquent que l’on transporte des machines de plus de 3 mètres de hauteur. »
Outre le matériel, le génie de Bernard Laroche a aussi été de se détacher des machines-outils pour renforcer d’autres secteurs d’activité, notamment celui de l’électrique. « En 2011, j’ai recruté un commercial spécialisé dans ce domaine : de 10 % de chiffre d’affaires, nous atteignons aujourd’hui 60 % », indique le chef d’entreprise. Transporter, installer des transformateurs, des armoires électriques de haute et moyenne tension, mais aussi intervenir en urgence lorsqu’un transformateur a claqué. Ce marché, l’entrepreneur l’a saisi à pleines mains, se calant aussi sur les besoins de stockage par le remaniement de son pôle logistique : ainsi, l’entrepôt de 2 500 m2 implanté à Ozoir-la-Ferrière (77) a été transformé par Bernard Laroche en pôle de stockage à long terme, de matériels électriques et de machines industrielles. « Nul besoin de personnel sur le site puisque le tout-venant, le stock tampon, est conservé ici à Champigny », note-t-il. Un service consigné juridiquement dans une SCI aujourd’hui plus rentable. Quand on l’interroge sur les perspectives économiques, l’homme affiche un réel optimisme : « le contexte économique en région parisienne est propice avec le Grand Paris qui débute, et des chantiers prestigieux à venir ; je pense à l’exposition universelle de 2025 ou aux Jeux olympiques de 2024, plus que probablement acquis à Paris. Il sera alors question de nouveaux bâtiments à construire, donc de transformateurs, de groupes d’eau glacée à transporter, d’usinage de fenêtres à intensifier, donc de plieuses à installer ; de nouvelles routes, donc de candélabres à poser… » La fibre entrepreneuriale du dirigeant est sans doute aussi là : savoir s’inscrire dans son temps et se projeter.
• Siège : Champigny-sur-Marne (94)
• CA : 2,4 M€
• Effectif : 25 salariés, dont 13 conducteurs
• Parc : 17 moteurs, 3 tracteurs, 5 semi-remorques, 5 remorques dont une surbaissée, 1 grue
• Activités : transport et manutention de machines-outils, appareillage électrique et tout objet lourd