Le bonheur est dans le camion

Article réservé aux abonnés

Il est l’un des plus beaux ambassadeurs du TRM. Le siège de son entreprise est aussi bien agencé qu’une boutique de la très chic avenue Montaigne, à Paris, qui abrite les marques de prêt-à-porter les plus prestigieuses. Philippe Premat pense son métier avec la rigueur d’un industriel. Son organisation transpire l’optimisation à tous les étages. Le bien-être salarié également…

Philippe Premat est un homme en colère, un transporteur remonté. Les dernières annonces gouvernementales* ont eu raison de sa patience et de son indulgence. La coupe est pleine… Depuis qu’il vit (et respire) TRM, il en a vu passer des mesures fiscales, des réglementations contraignantes. Il en a entendu ou lu des discours d’hommes ou de femmes politiques et d’éditorialistes toujours prompts à pointer du doigt un secteur qu’ils continuent de méconnaître dans les grandes largeurs et à propos duquel les « crânes d’œufs » de Bercy sont toujours prêts à dégainer une nouvelle ponction fiscale… dont le fléchage restera souvent bien méconnu du secteur ! Pour Philippe Premat, c’est un peu la goutte de gazole de trop. « Toutes ces annonces vont entamer un peu plus la compétitivité du TRM. Ce ne sont que des mesures à court terme destinées à résorber les déficits abyssaux de la France. Je vis tout cela comme une injustice permanente. Lorsque je me lève le matin, je ne suis ni un voleur, ni un pollueur. Je suis un transporteur et j’exerce mon métier avec passion. Aussi, je trouve insupportables les mensonges proférés par les politiques – Mme Borne notamment [ministre de la Transition écologique et des Transports, Ndlr] – lorsqu’ils s’expriment sur le TRM. En France, le transport public de marchandises représente 7 % des émissions de CO2 et 1,5 % des émissions de particules. Voici la vérité, il faut la dire », s’emporte le président des Transports Premat (65 M€ de CA), au volant de l’entreprise francilienne, basée au Plessis-Pâté (91) depuis 1978. Il dénonce « le manque de stabilité fiscale et de visibilité ». Philippe Premat s’attend – si les pouvoirs publics ne changent pas leur fusil d’épaule – à un automne mouvementé. « Il faut qu’ils se méfient. » Le mécanisme de la répercussion en pied de facture (pour les 2 cts de gazole non remboursés qui coûteront 220 k€/an à la société) sera de nouveau activé, même si l’opération ne s’avérera pas aisée techniquement. Comment réagiront les chargeurs ? Même si Denis Choumert, le président de l’AUTF (Association des utilisateurs de transport de fret) assure que la répercussion sera admise par les entreprises (voir l’OT n° 2983), il n’est pas acquis que cette mesure ne remette pas de la couleur dans les rues à l’automne sous la forme d’un cocktail Bonnets rouges-Gilets jaunes et transporteurs.

« De l’ordre »

Pour autant, Philippe Premat – il indique que la suppression de la DFS va lui coûter 800 000 euros par an – ne baisse pas les bras. Il fait face. Avec ses équipes (500 salariés), il continue de mobiliser les ressources de l’entreprise pour la maintenir parmi les championnes du vrac en Île-de-France, son unique terrain de jeu. Ne pas baisser les bras pour innover. Pour s’adapter à un environnement totalement disruptif à tous les étages. Pour préserver l’attractivité de cette entreprise qui continue d’axer son développement en restant fidèle à la devise maison imaginée par Michel Premat, le père de Philippe : « De l’ordre, de l’ordre, de l’ordre… une place pour chaque chose, chaque chose à sa place. »

Pour muscler leurs effectifs, les Transports Premat organisent des job datings, participent à des forums en relation avec les chambres de commerce ou la communauté de communes. Ils s’affichent chez leurs clients ou communiquent sur leurs camions. Le parrainage par les salariés constitue également un recours, tout comme la participation à l’espace recrutement des 24 heures Camions du Mans. « Nous y avons invité femmes et enfants, cela crée du lien », indique Philippe Premat, qui estime qu’« au-delà de la nécessité de recruter des conducteurs, il nous faut déjà conserver ceux en place ». Les arguments maison reposent sur une offre de salaires au-dessus des minima sociaux, de primes diverses équivalentes à un treizième mois (attribué pour l’activité matières dangereuses). Pour s’offrir un vivier sur lequel investir à court terme, l’entreprise ouvre ses portes à des apprentis (une dizaine dans tous les métiers). Premat doit composer avec la difficulté de recruter des conducteurs motivés pour la livraison du gaz. L’entreprise n’exclut pas, par conséquent, un recours à des exosquelettes « pour améliorer les conditions de travail ».

Une maintenance ambitieuse

Pour maintenir son rang parmi les champions hexagonaux du vrac, Premat se doit d’être en veille sur l’innovation. Une exigence qui mobilise toute la direction, les directeurs de filiales, jusqu’aux salariés. « Nous ne sommes qu’une PME régionale mais nous sommes très orientés vers l’innovation », assure le dirigeant, par ailleurs membre éminent de l’état-major de la FNTR. C’est Loïc Neraudau, le directeur informatique, également directeur QHSE, qui en est la cheville ouvrière et concentre les projets en matière d’innovation. Le chantier de la digitalisation a été lancé depuis un moment. « Cela fait déjà trois à quatre ans que nous avons dématérialisé notre facturation clients, y compris sur notre station de lavage », précise Philippe Premat. La société a établi des ponts avec ses clients via l’EDI.

Pour tenir son rang, Premat cultive également la philosophie maison qui veut qu’il est préférable d’« avoir des spécialistes dans chacun des métiers plutôt que d’excellents généralistes ». L’entreprise forme elle-même lesdits spécialistes. Elle dispose d’un centre de formation animée par six collaborateurs (cinq formateurs et un chargé de recrutement).

Pour chacun des métiers de l’entreprise (voir encadré page 15), il y a un chauffeur tuteur en place. L’entreprise essonnienne a fait le choix d’internaliser ses réparations et sa maintenance (30 % du parc moteurs et 100 % des semis sont entre les mains expertes de la société SPM, qui gère également tous les achats de gazole). Chacun de ses six sites dispose de son propre atelier. « Nous effectuons une analyse d’huile lors de chaque vidange, explique Jérôme Balbo, chef de parc chez Premat. L’objectif est de surveiller le vieillissement de nos moteurs, d’anticiper une panne future qui pourrait être révélée par la présence de fer ou de cuivre. Nous sommes, en fait, dans une logique d’entretien plus que de réparation. Cette stratégie limite sensiblement le nombre d’immobilisations de véhicules et nous offre une meilleure réactivité. » Le parc moteur héberge depuis cette année six véhicules au gaz exploités en benne. La citerne matières dangereuses en sera dotée l’an prochain, annonce Philippe Premat. Les Transports Premat poussent le souci d’une organisation optimisée jusqu’à gérer eux-mêmes leurs pneumatiques (5 000 au sol et jusqu’à un millier en stock). « Tous nos pneus sont RFID. Ils sont équipés de carters qui permettent de connaître la pression en live et d’alerter le conducteur à partir de nos écrans quand il est en train de rouler », indique Philippe Premat en citant cette technologie Mercedes. Le dirigeant francilien a également choisi d’internaliser ses lavages (une dizaine de pistes), 1 000 à 1 200 par mois, selon lui. Philippe Premat est à la barre du groupe depuis 1978. Il en contrôle l’actionnariat aux côtés de son frère Frédéric et de sa sœur Michèle. Le trio – qui est également aux commandes de Prejam, société (benne) créée avec les Transports Jamet (77) – n’exclut pas une opération de croissance externe dans la benne et lorgne une implantation dans le nord-est de Paris.

À bientôt 65 ans, Philippe Premat entretient avec son métier une flamme intacte. Le dirigeant francilien transpire la passion de la belle mécanique, de l’aventure humaine et du travail bien fait. Pourvu que la devise maison – « de l’ordre, de l’ordre, de l’ordre… » – continue d’être portée haut par l’ensemble des acteurs qui l’entourent…

Quatre métiers à leur arc

Les Transports Premat sont des spécialistes du vrac liquide et solide. Chaque métier possède sa structure juridique. Chaque activité est dotée d’un chef de parc, lequel a pour mission d’établir un relais entre l’exploitation, le conducteur et l’atelier. L’entreprise campe sur les segments d’activité suivants :

• benne TP (la moitié de l’activité) + exceptionnel rattaché aux TP (l’ensemble représente 200 VI et 200 salariés) ;

• matières dangereuses (15 M€, 150 salariés) en direction des pétroliers, de la grande distribution, des gaziers (stations-service), pour la distribution de fioul domestique et le transport de gaz conditionné ;

• vrac pulvé (10 M€ de CA, 80 salariés) ;

• déchets (25 moteurs avec fonds mouvants).

Les sites du groupe sont implantés au Plessis-Pâté (50 000 m2), à Pierrelaye [(95), 16 500 m2], Marolles-sur-Seine (77), Gélainville [(28), 25 000 m2], Gretz (77) et Vimpelles (77), qui a pour vocation, grâce à son parking, d’éviter les déperditions kilométriques.

Virginie et Christophe, la conduite-passion

Ils ont respectivement 29 ans et 7 ans de Premat. Christophe Ovion et Virginie Bodin affichent la mine épanouie de collaborateurs bien dans leurs baskets, bien au volant de leur camion. Tous deux amoureux de leur métier. « Si on ne se lève pas le matin pour aller à sa rencontre, le découvrir, on ne peut en apprécier toute la richesse. Chaque jour est différent, il existe une vraie diversité », souligne le premier. Lequel partage toutefois avec sa collègue les désagréments de la conduite en Île-de-France où la congestion est omniprésente, qui plus est en raison des divers chantiers liés au Grand Paris Express. « La pression y est forte car on est encore plus exposés aux impératifs de sécurité », indique Virginie Bodin. La Tourangelle tient un volant de PL depuis vingt-deux ans. Le pulvé n’a plus de secrets pour elle : dix-sept ans qu’elle roule pour cette spécialité. À l’heure où la profession est soumise à une forte pénurie de conducteurs et s’interroge sur son manque d’attractivité, nous avons demandé à Christophe Ovion ce qu’était un bon patron de TRM, et quelles étaient ses attentes personnelles : « Avoir du bon matériel, bien entretenu ; avoir un dirigeant à l’écoute de ses conducteurs, un salaire convenable (je n’ai pas à me plaindre). »

De son côté, Virginie a, au fil des années, vu les comportements évoluer dans le milieu vis-à-vis de la présence de femmes au volant d’un camion : « Cela se passe mieux mais je dois dire qu’il faut plus de changement car on trouve encore beaucoup de machos. » La conductrice se sent en revanche comme un poisson dans l’eau dans ses relations avec les clients. Comment faire face au casse-tête du recrutement de nouveaux conducteurs ? « En se rapprochant des conducteurs sortis d’école et en les formant à nos savoir-faire », pense Christophe Ovion.

S. B.

* La ministre des Transports a annoncé la batterie de mesures suivantes : rabotage de la TICPE de 2 cts par litre, suppression de la DFS, fiscalisation des entrepôts, malus sur les contrats courts, réduction des allégements Fillon.

Stratégie

Stratégie

Boutique
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client abonnements@info6tm.com - 01.40.05.23.15