Il s’est reconverti au transport par goût du voyage. Ancien mécanicien auto, Laurent Derocq a pris un mois de congés pour faire un stage et obtenir sa capacité de transport. C’était à la fin de 1996. Il avait auparavant obtenu son permis lors de son service militaire. La trentaine venue, l’ancien « mécano » s’installe comme artisan-chauffeur à Saint-Hermine, en Vendée, à la faveur d’un contrat de sous-traitance avec les Transports Graveleau. Il sillonne alors l’Europe de l’Est et le Maghreb, part une à trois semaines sur les routes, visite de nombreux pays… « Chaque voyage était une aventure », se remémore-t-il. Petit à petit, sa flotte grimpe jusqu’à cinq tracteurs.
Au début des années 2000, patatras : le marché international s’écroule. Laurent Derocq oriente alors son activité vers l’agriculture. « J’avais déjà une benne à céréales et de bons contacts chez les nombreux négociants agricoles locaux de l’époque. » Blé, maïs ou tournesol : les récoltes s’enchaînent et il augmente son parc de bennes céréalières pour répondre à la demande. Cinq ans plus tard, nouveau coup dur : la concentration dans l’agriculture et l’agroalimentaire est à l’œuvre, ses clients se font racheter par de grands groupes qui « rationalisent » les transports — comprenez : les confient à des commissionnaires qui cassent les prix… Il est temps de se réorienter à nouveau.
Une rencontre est à l’origine du nouveau scénario. En 2006, Laurent Derocq fait la connaissance de Patrice Cougnon. Ce dernier possède une entreprise de travaux publics et cherche à structurer une activité de transport pour compte d’autrui. Les deux hommes décident alors de s’associer à 50-50 pour fonder les Transports Derocq-Cougnon (TDC), en 2006 à Saint-Fulgent. Patrice Cougnon restera un actionnaire dormant pendant dix ans (il est, depuis, revenu comme conducteur), laissant les rênes à son associé. Lequel subit de plein fouet la crise de 2008-2009 ! Laurent Derocq lâche alors définitivement le volant pour se muer en « cost killer » et s’emploie à restructurer intégralement l’entreprise de six personnes : « Gazole, assurance, investissement : tous les postes ont été analysés et reconsidérés, l’un après l’autre, pour retrouver de la marge de manœuvre financière. » Dans le même temps, celui qui assure la gestion quotidienne de l’entreprise et l’exploitation entreprend de diversifier l’activité et la clientèle.
La reconversion pèsera lourd dans les comptes puisque TDC affiche un lourd déficit dans les comptes de son exercice 2010 (– 55 K€ de pertes nettes pour 1 M€ de chiffre d’affaires). Mais sept ans plus tard, TDC a retrouvé des couleurs et largement étendu son champ d’action pour se diversifier. Sa certification Qualimat, obtenue voici 15 ans, l’autorise à transporter dans ses bennes des produits de différentes natures, moyennant un cahier des charges précis pour les lavages. Au fil des ans, l’entreprise s’est construit un profil pour le moins atypique. Au-delà du transport de céréales qui se réduit (l’activité ne représente plus que 10 % de son activité), TDC dédie aujourd’hui trois tracteurs pour la traction en sous-traitance de remorques frigorifiques sur des lignes régulières pour le compte des Transports Antoine.
Parallèlement, elle tire 1/5e de son revenu du transport en bennes de produits recyclables variés (papier, verre, pneus, ferrailles,…). Et par ailleurs, TDC s’est spécialisée dans le négoce (achat-vente) et le transport de minéraux (galets, ardoise, roches volcaniques,…) à destination des paysagistes. « Nous ne stockons pas. Nous chargeons, nous livrons, sans rupture de charge, le plus souvent possible avec des camions complets », confie Laurent Derocq. Qui confie, qu’en moins de dix ans, cette activité de niche a permis de faire tourner les camions de TDC à de bons prix… « Le négoce représente 10 % de notre chiffre d’affaires, mais cette activité génère aussi 10 % de flux supplémentaires en transport », indique le dirigeant de TDC, dont le transport en compte propre a pris du poids. L’an passé, TDC a également investi dans un fond mouvant en vue de développer de nouvelles activités complémentaires.
La réorganisation a également produit des effets en interne. La majorité des conducteurs a été renouvelée. « Le vrac en 44 t est une activité particulière qui nécessite des chauffeurs professionnels capables d’anticiper les problèmes, de prendre les bons itinéraires et d’avoir un bon relationnel avec les clients », assure Laurent Derocq. Ce dernier n’a pas hésité à instaurer une prime qualité de 150€ par mois pour les chauffeurs méritants. Principaux critères : l’éco-conduite, les infractions et l’accidentalité. Et ça fonctionne ! « Les conducteurs sont plus précautionneux avec le matériel, qui s’use moins. La durée de vie de plusieurs éléments mécaniques comme les freins et les pneus s’en trouve rallongée, ce qui génère des économies plus importantes en entretien que la seule baisse de la consommation », calcule Laurent Derocq. Le dirigeant vendéen affirme, qu’en 2016, aucun de ses onze conducteurs n’est revenu avec un constat responsable, contre cinq l’année précédente et bien plus les années antérieures. Les infractions relevées sur les chronotachygraphes sont inexistantes. Au-delà de l’aspect financier, la démarche vise aussi à améliorer la sécurité. Car les chauffeurs qui conduisent mal sont également ceux qui ont un comportement à risques en tenant moins compte de leur environnement.
Aujourd’hui, TDC a retrouvé le chemin de la croissance. Du haut de son 1,6 M€ de CA, le transporteur estime qu’on le juge encore trop petit pour rejoindre un groupement. En attendant, Laurent Derocq ne se repose pas sur ses lauriers. Depuis l’été dernier et le recrutement d’Alexandre Tenaud (un ancien conducteur parti un temps chez un autre transporteur) au poste d’exploitant, le dirigeant de TDC se consacre essentiellement à la gestion commerciale et à la prospection de nouveaux clients. « Mon job, c’est de structurer l’entreprise », répète-t-il. S’il est souvent parti en clientèle, Laurent Derocq s’astreint, néanmoins, à rester au siège de l’entreprise les vendredis, lorsque s’établissent les plannings de la semaine suivante. Ce qui ne l’empêche pas de remonter en cabine en dépannage. Avant les fêtes de Noël, il est reparti trois jours derrière le volant pour une tournée dans le centre de la France. Conducteur un jour, conducteur toujours.
• Siège : Saint-Fulgent (85)
• CA 2016 : 1,6 M€ (+ 1,6 %)
• Effectif : 15 salariés dont 12 conducteurs
• Parc : 11 moteurs
• Activités : vrac, négoce et transport de produits minéraux (20 %) ; traction frigo
TDC a, un temps, roulé en Volvo avant de s’engager de nouveau avec la marque MAN. Depuis 2009, le transporteur a complètement changé son fusil d’épaule en matière d’investissement. Depuis cette date, les acquisitions de tracteurs s’effectuent dans le cadre de contrats de location financière « intégrale » (incluant l’ensemble des services et prestations d’entretien et de maintenance, y compris la surveillance et le changement des pneumatiques). « Cette solution nous coûte moins cher et, surtout, elle nous permet d’établir un budget fiable et sans surprise, puisque l’on connaît à l’avance le montant des charges à venir », indique Laurent Derocq. Le basculement du parc s’est déroulé au rythme des renouvellements et des besoins supplémentaires. Aujourd’hui, la moitié de la flotte est exploitée en location financière. Et six des onze tracteurs sont motorisés Euro 6, pour un total de 1,4 million de km parcourus chaque année. Ce qui, conjugué à l’éco-conduite, a permis de réduire de 10 % la consommation de gazole sur les cinq dernières années. Grâce aux bourses de fret, TDC optimise ses chargements et déclare réaliser moins de 5 % de ses trajets à vide.
Th. B.