JEAN-LUC SCEMAMA : La transmission d’entreprises familiales est un véritable enjeu de société en France car ces établissements représentent 83 % des sociétés nationales et génèrent la moitié des emplois et de son PNB. Là où ce type d’entreprise est implanté, le maintien de l’activité économique du territoire est plutôt assuré. Le passage de relais reste important pour le fondateur dans la mesure où il vise à garantir des chances de succès plus élevées et de pérennité de son entreprise après son départ.
Les entreprises familiales favorisent des rapports sociaux plus directs et fondés sur la confiance mutuelle entre les membres qui les composent. Bien souvent, les salariés les plus anciens y ont développé des relations de proximité et de loyauté avec le dirigeant.
La cohérence ainsi créée y favorise la perpétuation des valeurs et des traditions familiales. Cependant, bien qu’elles détiennent des avantages certains sur les plans économiques, financiers, fiscaux et sociaux, seules 2 entreprises familiales sur 10 sont transmises à la génération suivante.
J.-L. S. : Les étapes du processus « classique » de vente d’entreprise ne correspondent pas vraiment au schéma d’une transmission à un repreneur héritier. Dans la procédure classique, l’acquéreur prend connaissance du cédant et procède à une évaluation de l’entreprise en tenant compte des éléments financiers, techniques et humains. Ensuite, il conclut un accord avec le cédant, après négociation avant d’exécuter le règlement et prendre le relai de façon « accompagnée ».
Dans le cadre d’une transmission familiale d’une entreprise, l’héritier travaille souvent déjà dans l’entreprise depuis quelques années. Il n’a donc pas besoin de la phase de prise de connaissance. Généralement, le fils n’a pas l’envie, ni le pouvoir ni les moyens de réaliser l’évaluation de l’entreprise. Il n’y a quasiment pas de négociation entre donateur et donataire, surtout lorsqu’il y a des cohéritiers. Enfin, le prix représente un sujet tabou entre père et enfant (accord et financement). En effet, la vente d’entreprise familiale place la notion de « devoir » filial envers le père au cœur du rachat de société.
J.-L. S. : Les difficultés rencontrées se retrouvent fréquemment au niveau psychologique. Pour le repreneur, les pressions dues aux obligations de résultat vis-à-vis de la famille, des salariés et des partenaires, peuvent être lourdes. Il doit s’imposer en tant que « dirigeant » et gagner la confiance de tous.
S’agissant du cédant, sa capacité à confier l’entière responsabilité de l’affaire à son ou ses enfants est mise à rude épreuve d’autant plus qu’il doit envisager de rompre les liens qu’il a entretenus avec le monde de l’entreprise, qu’il a souvent créée, pour se consacrer à la formation de son successeur. Il arrive fréquemment qu’il ait encore une certaine tendance à contrôler et dominer au lieu d’accorder à son successeur la marge croissante et nécessaire d’autonomie. La succession d’une entreprise familiale nécessite donc une préparation longue et minutieuse, pour minimiser les problèmes liés à sa reprise. La réussite marche lorsque le savoir-faire est transmis et le bon tempo trouvé avec le successeur.
J.-L. S. : Le facteur clé de succès en matière de succession est l’anticipation. Il convient d’établir un plan de succession en amont, souvent 5 ans avant la transmission, voire 10 ans pour former le repreneur, le temps pour lui de se crédibiliser auprès des partenaires.
Dans le cadre d’une transmission familiale, veiller à l’équité reste également primordial. Il faut limiter les risques de dissensions en conciliant les attentes financières de tous les membres de la famille. La solution passe par le dialogue, et quelquefois en désignant un tiers comme un administrateur indépendant.
Je recommande d’élaborer un pacte social ou une charte familiale en amont. En définitive, la transmission familiale doit être vue comme une chance.