Les syndicats, hostiles aux réformes du code du travail, se sont emparés avec un bel esprit d’opportunisme de cette question pour agiter le spectre d’une suppression de gratifications ou d’indemnités souvent substantielles. Et les grands médias de donner la parole à tel ou tel conducteur déclarant que l’indemnisation de ses frais de route, prévue par la Convention Collective, pouvait atteindre 1000 € par mois et constituait donc, de fait, un complément de ressources considérable…Dans un bel ensemble, les Organisations Patronales ont soutenu l’idée d’une prévalence nécessaire de la Convention Collective sur tous les points de controverse. La question posée est donc d’une pertinente actualité… Voyons les choses de près et « dans le réel », au plus loin des postures partisanes et des recherches d’effets tribuniciens…
L’Ordonnance 2017-1385 du 22 septembre organise de deux manières les chasses gardées des Convention de Branche (nouveau nom donné aux Conventions Collectives pour les distinguer plus simplement des Conventions ou Accords d’entreprise).
Soit par automatisme et, dans ce cas, prévaut la Convention de Branche lorsqu’elle porte sur 13 champs dont les salaires minima hiérarchiques et les classifications.
Soit par volonté des partenaires sociaux de la branche qui peuvent rajouter aux 13 chasses gardées automatiques 4 autres dont les primes pour travaux dangereux ou insalubres.
Dans tout autre champ, la CCN ne s’appliquera que de manière subsidiaire, si aucun accord d’entreprise ne vient prévoir des dispositions qui la contrediraient.
Voilà le décor juridique planté, reste à considérer ce qui s’y jouera. D’un strict point de vue théorique, oui il est envisageable que la négociation d’entreprise (simplifiée par l’Ordonnance) puisse diverger sur les modes d’indemnisation de la Convention de Branche pour les frais professionnels et pour certains compléments liés à l’activité. Mais il y a loin de la théorie à la pratique. Pour les indemnisations des frais professionnels, deux considérations mettent les conducteurs hors risque de voir altérer leurs droits acquis.
Il y a une première considération juridique. Il existe un principe général du droit qui pose que les frais engendrés par l’accomplissement du travail doivent être supportés par l’employeur. Ce principe est largement et abondamment décliné par la jurisprudence. L’employeur ne peut d’aucune manière s’exonérer de la prise en charge des frais exposés sur la route. Ce principe général du droit du travail offre, dans la durée, bien plus de résistance qu’une loi ou une ordonnance… La seconde considération est économique : les employeurs adorent l’indemnisation des frais, non chargée et incitative à une forme de polyvalence professionnelle (« plus tu vas loin plus tu touches… »). Pourquoi dès lors mettraient-ils à bas un mécanisme d’indemnisation forfaitaire qui, même imparfait, rempli les attentes des deux côtés ?
D’ailleurs les déclarations spontanées des Fédérations Patronales vont vers un statu quo « sécurisé » au plan social et fiscal du régime d’indemnisation des frais… En outre la Convention Collective dans sa rédaction actuelle permet déjà aux employeurs aventuriers de remettre en cause le mécanisme de l’indemnisation forfaitaire, puisqu’au sens des articles 10 des dispositions communes et 1 du protocole du 30 avril 1974, organisant les conditions de versement des forfaits de frais, le remboursement sur justificatifs peut être substitué à cette indemnisation forfaitaire… Qui s’est aventuré sur ce terrain miné en se livrant à cette substitution perdant-perdant ? Personne… Si le respect des textes nouvellement promulgués interdit de garantir aux syndicats ouvriers que l’indemnisation des frais sera incorporée aux chasses gardées de la Convention de Branche, la prise en compte des réalités rappelées ci-dessus devraient convaincre aisément. La question des compléments salariaux dus par l’effet des Conventions de Branche (prime de nuit, indemnité de départ les dimanches, GAR, garantie d’amplitude….) est plus complexe à apprécier.
Ces compléments salariaux ne peuvent être assimilés aux salaires minima hiérarchiques de la compétence exclusive de la Convention de Branche tels qu’ils sont définis aujourd’hui, sauf évidemment en ce qui concerne la majoration d’ancienneté qui n’est pas une prime et prend la forme d’une majoration des salaires hiérarchiques.
Certains de ces compléments, et notamment la prime de nuit, pourraient être assimilés à des compensations de travaux dangereux qui, elles aussi, peuvent tomber sous la règle de prévalence de la Convention de Branche sur l’accord d’entreprise. Sur ces points les Fédérations Patronales semblent pareillement disposées à donner des gages.
Ceux-ci peuvent prendre deux formes : une nouvelle définition des salaires minima garantis par la branche incluant les primes ou compléments d’activité statutaires et une recommandation patronale invitant à reconnaître le travail de nuit comme activité dangereuse, même si l’emploi de ce terme contient en germe quelques déconvenues potentielles…
L’art des négociateurs est souvent dialectique : pourquoi ne pas se saisir de la contrainte de sécuriser les pratiques des entreprises pour remettre sur le métier un salubre dépoussiérage de Conventions de Branche souvent ambigües ou obsolètes et en tout cas impropres à lutter contre le phénomène très actuel de pénurie de main d’œuvre ?