Deux champs d’action sont possibles contre la pénurie qui devient structurelle : la branche et l’entreprise. La branche représente la réponse naturelle vers laquelle se sont tournées massivement les entreprises via notamment les organismes de formation ou, en son temps, l’armée, pour constituer des viviers de candidats à la profession de conducteur. Des avancées sérieuses dans l’attractivité y ont été accomplies, notamment avec le contrat de progrès (il y a 20 ans) ou plus récemment par les couvertures de prévoyance obligatoires. Parallèlement, ces efforts d’attractivité ont été contredits par des injonctions paradoxales : réduire les accès à la profession par les formations diplômantes types FIMO, ou évaser ceux de sortie avec des dispositifs tels le CFA. Pareillement paradoxale est la politique d’écrasement des salaires vers un SMIC niveleur : dire « oui » servilement aux ukases d’un client toujours désireux de gagner quelques points de productivité, c’est risquer de devoir lui dire « non » sur l’augmentation des trafics commandée par la progression de son carnet de commandes… Même embellie, la profession de conducteur n’est cependant pas suffisamment sexy, semble-t-il, pour mener vers elle les postulants indispensables à la reprise économique. Dans ce contexte particulier, les entreprises doivent mener des actions durables (les « coups » dans le domaine social sont presque toujours contre-productifs) sur l’ensemble des politiques sociales. De la cohérence de celles-ci dans le temps naît la fidélité et l’attractivité de l’entreprise. Ressources, qualité de vie au travail et parcours : tels sont les axes d’une politique « RH » équilibrée permettant de mieux résister au phénomène de pénurie de conducteurs.
Concurrence oblige, aucune entreprise ne peut unilatéralement s’éloigner significativement des taux horaires autour de 10 €. Pour répondre aux attentes des conducteurs, il faut plutôt garantir la transparence des temps reconnus et une garantie salariale mensuelle la plus haute possible, conditions nécessaires à une politique salariale attractive. Ce que devraient faciliter les Ordonnances ou des lois récentes permettant de négocier partout des mécanismes de lissage intelligent et juridiquement irréprochables. Associés à une équitable redistribution de la valeur ajoutée, via la participation et l’intéressement collectifs, ces outils à la portée de tous permettent de trouver dans chaque entreprise un juste équilibre, parfois agrémenté par des « gestes » franchement efficaces (conservation du tracteur pour les trajets domicile/travail, rehaussement des indemnités de frais au maximum de ce qu’admet l’URSSAF, par exemple). Autre élément essentiel, pour les salariés, la qualité de vie au travail est le premier critère de fidélité à l’entreprise. Pour les conducteurs, il est crucial de s’intéresser au rapport entretenu avec les exploitants, souvent difficile, parfois explosif, tant l’une et l’autre des populations en cause (qui, paradoxalement ignorent le plus souvent les contraintes professionnelles du copain, de l’autre côté du volant…) subissent de lourdes pressions internes et externes facilement reportables sur les autres, cet enfer parfois décrit dans les enquêtes de climat social. Il est bien difficile d’agir sur des comportements trop souvent fondés sur des rapports de force oublieux d’une règle d’or applicable au management des hommes et parfaitement synthétisé par un vers de Verlaine : « Le tendre bonheur d’une paix sans victoire… ».
« L’entreprise apprenante » oblige l’employeur à l’actualisation permanente des compétences de ses salariés permettant l’évolution de leur carrière, y compris de façon transversale. Pour ceux-ci, le besoin d’apprendre est devenu général car conscients que le renforcement de leur potentiel « d’employabilité » est le meilleur remède contre le chômage. Si l’on ne peut pas décrire un parcours professionnel au conducteur dès son embauche, ne pas assumer les responsabilités minimales de l’entreprise apprenante est une erreur grave et pas seulement en termes de sanction judiciaire. Qui s’est réellement soucié, simple exemple, de mettre en œuvre en 2014 les entretiens professionnels destinés au bilan de carrière et aux perspectives d’évolution des collaborateurs ? Réponse en 2020 avec les premiers épilogues et les premières pénalisations fixées par les OPCA…
Il faut rompre avec des pratiques RH exclusivement défensives et engager l’offensive sur des axes proches des attentes des salariés et mises en évidence par d’innombrables enquêtes. Toutes convergent vers une forme de « dé-hiérarchisation » des organisations et l’association de tous à un objectif visible. C’est à cette condition que les entreprises aptes à mener ces actions pourront faire mieux que les autres dans leur politique de recrutement et de fidélisation des conducteurs. Et ce « mieux » est capital pour affronter les dures lois de la concurrence sur un marché du travail en tension…