« On cherche en permanence à optimiser, en remplissant au mieux les véhicules, en limitant les kilométrages ou encore en sectorisant au maximum, pour économiser du gasoil ». Pour Nicolas Combemorel, dirigeant des Transports Boucheix, à Aulnat (63) qui souligne qu’il n’y a pas besoin d’outils digitaux pour une PME : l’optimisation, assure-t-il, « c’est le savoir-faire de l’exploitation ». Ici, comme chez d’autres transporteurs, les exploitants savent en effet parfaitement jongler, au quotidien, avec les moyens disponibles, avec les délais et plages horaires de chargement-déchargement imposés par les chargeurs, avec les routes à péage et celles interdites, avec les réglementations diverses… Même ceux qui n’ont pas « la main » sur la conception des tournées, car leurs conducteurs et véhicules sont dédiés à chaque client, ont la même démarche. C’est le cas de Pascal Saulet, dirigeant de la société de transport de produits surgelés Approvisionnement transport express (ATE), basée à Adainville (78) : « Les tournées sont optimisées parce qu’en amont, on a sectorisé au maximum avec le client », assure-t-il. Par ailleurs, pour limiter les retours à vide, en 2021, il a fait agréer ATE pour la récupération de déchets et autres emballages.
Dans cette optique d’optimisation, les transporteurs font appel à des outils depuis longtemps. À commencer par les bourses de fret, même si celles-ci « fonctionnent au moins-disant, pointe Nicolas Combemorel, et permettent tout juste d’absorber les charges ». Mais il en existe d’autres. Vincent Verbeke, gérant de Verbeke et fils, société de transports frigorifiques installée à Essertaux (80), dispose par exemple de deux logiciels, complémentaires l’un de l’autre pour garantir une rapidité de livraison et, ainsi, la fraîcheur des fruits et légumes transportés : le premier, « grâce à des capteurs, suit très précisément les données des semis, jusqu’à l’ouverture-fermeture des portes, empêchant les pauses-café discrètes des conducteurs », tandis que le second propose à ces derniers, en temps réel, l’itinéraire le plus rapide.
Autre poste ciblé : le « social ». « Pour ne pas l’alourdir, témoigne Pascal Saulet, nous inscrivons dans le contrat commercial qu’au-delà de 8 heures et de 150 km par jour, une facturation complémentaire est déclenchée. Du coup, les clients font bien attention à ne pas dépasser ces seuils ! » STS, cabinet spécialisé en gestion sociale dans le TRM, a mis au point une solution Web en ce sens : « Nombre de transporteurs, qui doivent articuler des volumétries significatives et une main-d’œuvre en flux tendu, compensent avec les conducteurs en poste, explique Sabrina Lasfer, directrice juridique de STS, mais ils doivent alors payer des heures majorées et le coût des infractions sur la réglementation des temps de service. Pour éviter cela, nous fournissons à l’exploitation le nombre d’heures de service déjà réalisées par chaque conducteur et les coûts prévisionnels sur le mois. Cela leur permet de décider qui positionner et qui mettre au repos. »
Du tactique à l’opérationnel
Mais l’optimisation peut aller au-delà. Pour Luc Chambonnière, responsable du pôle Prestataires de transport de Bp2r, la pandémie de Covid-19 a rendu cette question plus globale et sa nécessité plus aiguë. En cause : la variabilité des volumes, qui a rendu les prévisions particulièrement difficiles, et l’explosion de l’e-commerce, qui a conduit des acteurs même non spécialisés à vouloir adapter leur offre à ce marché (expéditions moins volumétriques, livraisons plus souvent en centre-ville, taux d’échec important). En contraignant à une plus grande agilité, toutes ces évolutions nécessitent une optimisation tactique, estime-t-il, soit « le dimensionnement des moyens à l’échelle de l’entreprise, voire de chaque agence, pour l’année ou moins, sur une base volumétrique estimée à plus ou moins 10 % ». Dans ce cadre, ajoute-t-il, « pour être plus agile, on préférera prévoir un niveau bas de flotte “normale” et avoir davantage recours à des locatiers ».
Une optimisation plus fine est possible également sur le plan opérationnel, à l’échelle de chaque ligne, de chaque tournée. « Les planificateurs réajustent ce que proposent les TMS ou autres outils, ils connaissent et anticipent les spécificités structurelles en matière de volumes, les périodes ou les jours creux, etc., observe Luc Chambonnière, mais quand on récupère un nouveau client, cela vaut le coup de revoir totalement ses plans de tournées : ceux-ci ne doivent pas être immuables. » Le savoir-faire des exploitants doit désormais être davantage aidé par la technologie, estime-t-il : « Les planificateurs connaissent très bien leurs zones, leurs clients, ils ont tout dans la tête et sont très performants, ce qui conduit certains dirigeants à penser qu’ils n’ont pas besoin d’outils, commente le consultant. Ce n’est pas si simple. » Pour lui, les outils digitaux permettent aux exploitants de gagner du temps et de se concentrer sur les arbitrages importants. Ils garantissent aussi une bonne optimisation lors des congés de ces « experts » ou en cas de grande variabilité des volumes. « C’est utile même pour ceux qui ont recours à des locatiers, ajoute-t-il, car, pour ces derniers, cela peut être un vrai sujet d’attractivité. »
Pour Vir by JP, transporteur basé à Nogent-sur-Marne (94), le perfectionnement en cours des outils d’optimisation – même s’il implique « un investissement à six chiffres » – va même être un levier incontournable pour atteindre l’objectif que s’est fixé la direction, explique Jérémy Cohen Boulakia, président : « Améliorer encore la promesse de service », notamment d’assurer quatre passages par semaine (au lieu de trois actuellement) dans les zones rurales les plus reculées ou encore d’annoncer le créneau de livraison dès la prise de rendez-vous. « Actuellement, nous utilisons deux outils, explique le dirigeant. L’un, développé en interne, analyse la data : moyennes des poids, des volumes, des temps d’intervention et de trajet… Il permet d’alimenter l’outil d’organisation des routes, externe. »
Son prestataire historique, PTV Group, lui a déjà permis de s’adapter à une forte croissance d’activité tout en maintenant des livraisons 7 J/7 en zone urbaine, à des créneaux annoncés le matin même. « L’enjeu peut se résumer ainsi, commente Jérémy Cohen Boulakia : avoir le camion le plus rempli pour le temps de travail d’une journée et avec le kilométrage le plus réduit possible. »
Un marché en constante innovation
Les outils d’optimisation de tournées constituent un marché en pleine croissance. Bien implanté, PTV Group propose une solution globale : construction optimisée des tournées en fonction des contraintes internes et externes du transporteur, gestion des moyens et optimisation des coûts, ainsi que suivi d’exécution en temps réel avec notifications clients. Pour son client la société de transport et déménagement Le Guével, à Saint-Malo (35), par exemple, celle-ci a permis de prendre en compte la variabilité des créneaux de livraisons ou encore des tournées multi-dépôts. Pour Chronopost, autre client de PTV, il s’est plutôt agi de gérer de gros volumes de données ou encore de travailler sur le géocodage nécessaire aux livraisons à l’adresse. C’est aussi ce que fait une solution concurrente, Mapotempo : proposée soit entièrement en ligne, soit sous forme d’interface de programmation d’application (API) à interfacer avec un logiciel métier, celle-ci a par exemple permis à Mondial Relay, selon son responsable progiciels, Julien Goeman, d’harmoniser les pratiques de gestion des tournées entre ses agences, de « libérer du temps pour les managers » et de faire face à la croissance continue des volumes comme du réseau de points de livraison.
La recherche se poursuit même activement dans le domaine. Issue d’un laboratoire CNRS rattaché à l’université de Bourgogne-Franche-Comté, la start-up Verso Optim, par exemple, a conçu une API (interface de programme d’application) qui rend l’optimisation de tournées plus accessible aux PME et vient s’intégrer dans leur logiciel de gestion de transport (TMS). « Il existe beaucoup d’offres d’outil d’optimisation sur le marché, mais les coûts sont souvent élevés et les temps de calcul peuvent être décorrélés des besoins du terrain, explique Julien Coupey, directeur recherche et développement. Nous avons conduit des recherches, pendant une dizaine d’années, pour parvenir à une solution optimale qui, en une dizaine ou une centaine de millisecondes, propose quelque chose de cohérent avec la réalité du terrain. »
Accompagner les changements
De son côté, Manhattan Associates a lancé sur le marché, en 2021, une solution de gestion et optimisation de tournées innovante sur plusieurs points. Baptisée Manhattan active transportation management, celle-ci est organisée en « micro-services » mis à jour en continu, sans nécessiter de temps d’arrêt. « Par ailleurs, elle est cloud native, explique Mathilde Delivré, solutions consulting manager chez Manhattan Associates France. Cela signifie que, contrairement à celles qui sont hébergées, elle est capable d’absorber un grand nombre de commandes ». Là encore, l’intérêt est la rapidité de calcul. Mais une autre innovation est l’extensibilité de cet outil : « Sa capacité de traitement augmente en même temps que les flux », détaille Mathilde Délivré. Une solution utilisée par des chargeurs comme Alliance auto ou Hachette livres distribution, dont les flux sont nombreux, complexes et tendus. Leurs prestataires transport peuvent se connecter au portail dédié ou recevoir les informations dans leur propre TMS. « La solution étant également interfacée avec l’outil de gestion d’entrepôts (WMS), poursuit-elle, ils sont prévenus en cas de rupture de stock et, si cela s’avère possible, d’un ajout de dernière minute permettant de profiter de l’espace libéré dans le véhicule ». Enfin, dernière « brique », ajoutée en juin dernier, l’interfaçage avec le logiciel de gestion de cour (YMS), qui permet de mesurer, anticiper et réduire le temps d’attente des conducteurs.
Mais attention, prévient Luc Chambonnière, l’acquisition d’un outil d’optimisation nécessite un accompagnement des changements que celui-ci induit : « J’ai travaillé sur des projets qui étaient très aboutis, mais où la partie implémentation avait été négligée, rapporte-t-il. L’éditeur avait par exemple paramétré un nombre insuffisant de contraintes dans l’outil, qui, de fait, n’était pas utilisé. »
Le travail à faire, itératif, porte donc sur la recherche d’un niveau fin de détails au moment du paramétrage, et sur une sensibilisation des utilisateurs à la valeur ajoutée apportée par ces outils. « Ceux-ci ne sont encore pas très répandus chez les transporteurs, mais la tendance est au développement, observe Luc Chambonnière. C’est le plus souvent une décision de la direction générale. »