A quoi servent les systèmes d'optimisation ?

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La distribution urbaine constitue généralement un maillon essentiel de la chaîne logistique. Le transport routier est, de loin, le mode le mieux adapté pour gérer ce fameux dernier kilomètre. Face à la multiplication des contraintes susceptibles d'affecter leur productivité, les prestataires de transport et de logistique s'engagent progressivement vers la refonte de leurs plans de transport et de leurs tournées de livraison à grands renforts d'informatique.

Selon le programme national « Marchandises en ville » lancé en 1993 à l'initiative du ministère des Transports avec l'appui de l'ADEME, la part du trafic fret en zone urbaine représente quotidiennement entre 9 et 15 % des déplacements motorisés

22 tonnes par parisien !

Selon la taille et la géographie de l'agglomération, les livraisons et les enlèvements de marchandises constituent alors de 13 à 20 % des véhicules-km parcourus. A titre d'exemple, en région parisienne, un Francilien génère chaque année le déplacement de 22 tonnes de marchandises pour satisfaire ses besoins de consommation. Et l'appétit sans cesse grandissant de fraîcheur et de variété de la part des consommateurs urbains implique un système de transport rapide, flexible et cadencé. « Une condition de survie pour des magasins de centre ville qui n'ont que peu (ou pas) de surfaces de stockage et gèrent des denrées périssables », évoque Emmanuel Tanguy, directeur des opérations Transports chez TFE. A Paris, 200 000 tonnes de marchandises sont ainsi livrées ou enlevées quotidiennement, chiffre en constante augmentation. Ces besoins se heurtent évidemment à des contraintes propres à l'environnement urbain : la circulation, la rareté des stationnements ou encore l'insécurité. Certains transporteurs estiment que les encombrements leur font perdre deux heures et près de 400 € par jour. Bref, la confection de tournées optimales se rapproche aujourd'hui d'un véritable travail de recherche opérationnelle !

2 heures perdues dans les embouteillages.

Surtout si l'on y ajoute les contraintes propres aux entreprises du secteur. Les plus citées sont la réduction du temps de travail puis la saisonnalité. Et même si, comme l'indique Dominique Chigut, responsable d'exploitation chez Calexpress, division express de Calberson, groupe Geodis, «la construction de l'A86 ou de la Francilienne (A104) a permis d'absorber une partie du trafic de transit», le constat est sans appel. Le nombre de livraisons par tournée accuse, ces cinq dernières années, une baisse de 3 à 5 positions et les deux tours quotidiens, par chauffeur et par véhicule, appartiennent de plus en plus au passé à moins de mettre en place, comme Calexpress depuis le passage aux 35 h, deux équipes : une chargée des livraisons, l'autre des enlèvements. Si la qualité de service s'en trouve améliorée, les coûts sont au mieux doublés !

La nécessité d'optimiser les ressources.

Dans ce contexte, l'emploi de moteurs d'optimisation ou de confection des tournées combinant mathématiques et informatique semble pertinent. A condition toutefois, « d'avoir un minimum de volume à traiter et une fréquence de cycles importante puisque l'optimisation ne s'applique que sur un grand nombre d'opérations, si possible, répétitives », rappelle Eric Sarrat, PDG du groupe GT. Dans le domaine de la messagerie par exemple, la récurrence moyenne des positions est de 80 %, le solde varie selon l'évolution des portefeuilles commerciaux et des réorganisations. Les moteurs d'optimisation visent, à travers des calculs plus ou moins complexes, à obtenir la meilleure utilisation des ressources (temps, hommes, véhicules, infrastructure etc.) d'une activité selon un objectif voulu (réduire les coûts, maximiser le service etc.). Les résultats dépendent des variables prises en compte et de leur ordre de priorité. Plus couramment utilisés pour réaliser des simulations, ils servent alors « à analyser sur une zone géographique donnée les possibilités d'optimiser les ressources pour assurer une distribution ou à déterminer la localisation idéale d'une plate-forme », évoque Michel Grellier, directeur logistique des Transports Mousset. Dans le cas de TAT Express, groupe La Poste, la décision de refondre l'organisation des livraisons avant 8 h en région parisienne a été validée par la simulation du nouveau process sur le logiciel Wintour édité par CVN. Situé à Lieusaint (77), le hub de l'opérateur reçoit chaque nuit les colis des 50 agences nationales. De là, son système d'information appelé Datatex regroupe les expéditions par travée selon le code postal de destination avant de repartir dans le réseau pour y être livrées. Lieusaint intervient en outre dans la distribution de la région parisienne et regroupe depuis peu tous les colis à livrer avant 8 h. cette prestataion était auparavant effectué par 4 agences franciliennes. Pour répondre à ce nouveau besoin, l'agence de Lieusaint dispose d'une flotte dédiée de 10 véhicules, porteurs et VUL, plus la centaine qui chute sur le hub chaque nuit. « Ces derniers sont disponibles quelques heures avant de repartir », explique Lionel Bonnin, directeur du hub de Parisud. Fort de ces moyens, le responsable a proposé de gérer les livraisons avant 8 h dans les sas « dont nous possédons les clés » au lieu de livrer ces colis aux 4 agences. A la clé, la suppression de rotations routières et de ruptures de charge ainsi que la diminution des manutentions en agence et l'optimisation de l'activité sur le hub. Ces données ont été saisies dans Wintour qui a chiffré les gains potentiels avec la mise en place de la nouvelle organisation.

Opérationnelle aujourd'hui, elle a permis d'économiser 150 000 euros par an (lire encadré Quelle rentabilité ?). « Une réflexion identique sera menée à l'ensemble du résea », confie Eric Viellard, responsable du service ingénierie chez l'expressiste. Et s'agissant des livraisons avant 10 h ou avant 12 h, les deux autres produits proposés par l'opérateur ? Contrairement aux tournées de nuit, « la distribution de jour se caractérise par une plus faible récurrence des points à livrer et une circulation plus dense», analyse Eric Viellard. Le groupe s'appuie en outre sur une cellule de régulation en temps réel baptisée SPOT. Celle-ci ajuste au coup par coup l'organisation des flux physiques. « A partir de l'observation et des interventions réalisées par SPOT ainsi que des remontées d'informations des agences, chaque mois, nous effectuons une analyse de nos flux et affinons notre plan de transport », ajoute-t-il. « Pour autant, il n'est pas exclu d'acquérir un logiciel » lance Eric Viellard. L'appel d'offre est d'ailleurs en cours ! « Notre objectif est de déterminer l'incidence de l'intégration d'un nouveau client sur l'organisation et nos coûts de revient »... A la tête d'une équipe de 5 personnes, Jean Roux, directeur production du réseau domestique chez Danzas, groupe Deutsche Post, s'occupe également de l'optimisation du réseau messagerie. Une fois par an, il audite les 44 agences nationales à l'aide d'une application informatique développée en interne dans les années 96-97. Sont saisis dans un premier temps, les codes département de la zone de chalandise de l'agence ainsi que le détail des relevés des tournées sur une période donnée. « Ces relevés reprennent l'ensemble des enlèvements et des livraisons, les arrêts chauffeur et les poids », explique Jean Roux. Dans un second temps, les contraintes locales avec les fenêtres de passage des clients, les accès et les demandes particulières en termes de véhicules, puis les caractéristiques de la flotte. « Dès que des colis ne sont plus affectés, nous considérons l'optimisation atteinte. L'opération dure entre 15 et 30 minutes », explique le directeur.

Des outils stratégiques précieux.

Fort d'un réseau de 49 agences, c'est dans la seconde partie de la décennie 90 que le Breton Joyau aborde l'optimisation de ses tournées. « Nous observions des différences de productivité importantes entre nos agences et les responsables des sites concernés ont demandé un outil permettant de réorganiser le camionnage », se rappelle Jean-Pierre Hebert, contrôleur de gestion. A l'époque, intéressé par les développements informatiques, on lui demande d'y réfléchir. Six mois après, il invente Gestour, application informatique utilisée par le messager depuis. « Au fur et à mesure, la croissance du groupe s'est accompagnée d'ajustements des zones de chalandise facilités par Gestour », déclare-t-il. Intégrant les positions à livrer ainsi que les poids, l'outil détermine le nombre idéal de véhicules sachant que « notre parc est majoritairement constitué de porteur 13 t ». Utilisé par le directeur d'exploitation au siège de l'entreprise, des simulations sont réalisées puis transmises aux responsables d'agence qui les présentent aux chefs de quai. De là, « sont bâties les tournées en tenant compte du résultat du logiciel et de l'expérience des hommes sur le terrain », évoque modestement Jean-Pierre Hebert.

De son côté, GT a fait l'acquisition de plusieurs logiciels d'optimisation. Ils sont utilisés pour répondre aux appels d'offres que reçoit le prestataire. « On nous demande soit de gérer une logistique complète ou une fonction précise voire d'améliorer une organisation en place », déclare Eric Sarrat. C'est ainsi que le prestataire a décroché le contrat Pasteur Cerba donnant naissance à la division GT Santé. « Nous utilisons les données contenues dans les cahiers des charges et en fonction des priorités demandées nous pondérons tels ou tels paramètres. Nous apportons une valeur ajoutée supplémentaire en informant le prospect du coût de chaque paramètre et nous proposons généralement deux solutions : une s'appuyant strictement sur les demandes du cahier des charges et une autre optimisée avec la présentation des gains possibles ». Fort de cette expérience, GT a fait de la réorganisation logistique une offre commerciale à part entière. Approche similaire chez Geodis, filiale de SNCF Participations, qui utilise également via son département Geodis Solutions plusieurs logiciels d'optimisation pour la construction de ses offres logistiques en réponse à des appels d'offres « de plus en plus paneuropéens », indique Martin Vial, chef de projet et études. « Dans 80 % des cas, la fonction transport apparaît et nécessite dans 50 % des cas l'emploi de logiciels d'optimisation ». Actuellement, l'opérateur a retenu deux solutions : Roadshow de Descartes et Winroute de Routing International. « L'optimisation de la fonction transport s'intégre dans une démarche plus globale car le client attend de plus en plus une offre complète intégrant la préparation de tournées mais aussi la traçabilité, la préparation de commande, la gestion des stocks, l'entreposage et parfois des interventions sur produits », insiste Martin Vial.

Les deux prestataires déplorent toutefois le fait que de nombreux outils « très performants sur leur marché domestique », sont en France « inadaptés car mal traduit ou n'englobant pas les caractéristiques nationales telles que la législation sociale. Rares sont en outre les logiciels qui proposent dans le paramétrage le double équipage ou le relais de chauffeurs ». Eric Sarrat estime que la France a pris en la matière un retard certain par rapport aux pays anglo-saxons, et « l'instabilité des premières solutions a dissuadé plusieurs chefs d'entreprises ». Présenté comme un cliché par certains, le crayon, la feuille de papier, la gomme et la carte collée au mur avec des punaises reliées entre elles par des bouts de ficelles ou des élastiques demeurent une réalité dans de nombreuses entreprises. Sans rejeter la pertinence des aides à la décision « le meilleur outil ne remplacera jamais la connaissance du terrain des conducteurs et des chefs de camionnages », estime Jean-Pierre Hébert, contrôleur de gestion en charge de la comptabilité analytique du groupe Joyau. Un avis partagé par Eric Sarrat : « Dans nos métiers, il faut d'abord être logique avant d'être informaticien. Le logiciel est rapide mais pas intelligent ». « Rien ne vaut l'avis du conducteur, de l'agent de quai et du directeur d'agence », renchérit Lionel Bonnin de TAT Express pour qui le logiciel d'optimisation « est un bon outil de réflexion de départ dont les solutions sont ensuite à affiner ». Des opinions confirmées par les applications opérationnelles menées par certaines entreprises.

Une application opérationnelle limitée.

Porte de Pantin, au siège de Mory Team, cela fait deux ans qu'un module d'optimisation des tournées a été interfacé au système d'information du groupe. « Nous avons privilégié un développement interne car à l'époque aucun produit du marché ne répondait à notre besoin », se rappelle Guy Viciana, directeur général adjoint en charge de la gestion et des systèmes d'information. Dans chaque agence, le moteur d'optimisation regroupe les expéditions quotidiennes et élabore le plan de tournées en tenant compte des différents niveaux de services proposés par le messager. « La priorité de livraison est le premier paramètre retenu dans l'élaboration des tournées. Viennent ensuite le tonnage, à défaut de prendre en compte les volumes, et les localisations pour la définition des itinéraires. Si des colis ne sont pas affectés, le système nous alerte. Ces colis sont soit ajoutés de façon manuelle aux tournées soit traités par des capacités supplémentaires ». Cette optimisation s'appuie sur un plan de transport affiné « tous les trimestres en fonction de l'évolution des trafics, de nouvelles réglementation sociale ou routière ou, plus ponctuellement, lors de l'ouverture d'une nouvelle agence modifiant les zones de chalandise ».

Chez Calexpress, chaque agence gère en moyenne deux départements avec également plusieurs niveaux de services proposés. « Un service de « voltigeurs » assure la distribution ou l'enlèvement des colis qui n'ont pas pu être affectés dans les tournées soit en raison d'un poids important ou d'un volume particulier comme les longueurs », présente Dominique Chigut, responsable d'exploitation à Gennevilliers. La définition des tournées est effectuée par Alizée, nom du système d'information de Calexpress. Sur la base des informations transmises par les agences de départ, « Alizée affecte avant l'arrivée des véhicules les colis par tournée ce qui nous permet d'anticiper la planification de nos activités. L'édition des tournées fait ensuite l'objet d'un examen de la part des chefs de camionnage pour y intégrer le cas échéant les non affectés ». Quand les mêmes modifications apparaissent régulièrement, « nous adaptons notre plan de transport avec la suppression ou l'ajout de moyens supplémentaires. Alizée est alors renseigné ». Mais à la différence des autres opérateurs, Calexpress se distingue avec l'utilisation depuis plus de 5 ans d'un outil mesurant en temps réel la densité de circulation. Baptisé Skipper, cet outil couvre toute la région parisienne délimitée par la Francilienne. « Un tableau graphique placé au-dessus du comptoir où les chauffeurs prennent leurs tournées de livraison donne l'état de la circulation. Cet outil est également très utile pour le départ de nos lignes puisque au départ de Gennevilliers, plusieurs itinéraires sont possibles pour rejoindre les principaux axes autoroutiers ». Le système est alimenté par la société de taxis G7 ainsi que par le centre d'information routière de Rosny-sous-Bois avec une remise à jour toutes les deux minutes.

Fond cartographique ?

Le couplage d'un moteur d'optimisation avec une base de données cartographiques est-il obligatoire ? La question mérite d'être posée car, selon la précision de la cartographie retenue, le prix du logiciel d'optimisation variera du simple au double. Les avis en la matière sont partagés. Selon Eric Sarrat du groupe GT, « elle sécurise l'agent de planning sur des lieux qu'il ne connaît pas ».

Pour autant, il trouve que le rapport qualité/prix/fonctionnalité ne plaide pas en faveur de l'utilisation de cette interface. « Les futurs produits intégreront davantage le temps réel et donneront alors une nouvelle pertinence aux fonds cartographiques », ajoute-t-il.

Un avis partagé par Renaud Amory de Star's Service qui compte équiper en GPS 200 véhicules légers dédiés à son client Ooshop. « Cela nous permettra de les localiser en permanence pour informer notre client du degré d'avancement de la livraison ou renseigner le site de vente ». Pour Eric Viellard, responsable du service ingénierie du réseau TAT Express, la cartographie « peut avoir une pertinence lors de simulations. Pour une application dynamique, la demande des exploitants concerne davantage la convivialité et l'ergonomie de l'outil. Le fond cartographique ne vient que bien après ».

Quelle rentabilité ?

Martin Vial du groupe Geodis avance des économies possibles de 10 à 20 % tout comme les éditeurs informatiques. « Les simulations réalisées à l'aide de logiciels d'optimisation ont permis des réductions sensibles de ressources tant en homme qu'en matériels », explique-t-il. Insistant sur l'amélioration de la qualité de service et la souplesse apportées, Eric Sarrat de son côté demeure prudent quant aux gains financiers possibles. Pour Michel Grellier des Transports Mousset, le retour sur investissement pour un logiciel d'optimisation doit être inférieur à un an contre trois mois pour Martin Vial. De son côté, Jean Roux, directeur de production du réseau domestique chez Danzas, déclare un gain de productivité de 5 % grâce aux audits menés chaque année sur le réseau national. « Cela représente plusieurs millions d'euros sachant que nous organisons entre 800 et 900 tournées », ajoute-t-il. Enfin, Mory Team déclare un abaissement de ses coûts de 10 % sur l'organisation des tournées depuis avril 2000, date du déploiement de son module d'optimisation.

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