La délocalisation des industries de main d'oeuvre françaises vers des zones à coût salariaux plus faibles se poursuit à un rythme accéléré depuis plusieurs années. Pays de l'ex-Urss d'un côté, Maroc et surtout Tunisie de l'autre, accueillent aujourd'hui de plus en plus d'ateliers qui n'ont plus de raison économique d'être chez nous. La proximité de la Tunisie, à juste un peu plus de 24 heures de mer des côtes françaises ou Italiennes, sa stabilité politique, ses infrastructures routières en constante amélioration, sa culture francophone et ses salaires très maîtrisés sont autant de sirènes qui attirent irrésistiblement les industriels européens en quête d'optimisation de production.
Les volumes d'échanges sont, de ce fait, en constante augmentation. La Tunisie, reliée à la France par le port de Marseille, accueille presque tous les jours des navires remplis de remorques non accompagnées. Celles-ci sont prises en charge dans le port de Tunis Rades pour aller approvisionner en matières premières les ateliers-relais installés dans un rayon de 200 kms le long de la côte tunisienne. Elles en reviendront chargées de produits finis pour les marchés européens. Sur la route qui relie le port de Rades à l'agglomération de Tunis, les remorques de tous types aux couleurs d'entreprises françaises et européennes de toutes tailles composent donc, par moments, une ligne multicolore ininterrompue. Si quelques conducteurs allemands accompagnent leurs remorques, très peu de Français traversent avec un moteur. Des conducteurs tunisiens attendent l'arrivée des bateaux pour prendre les remorques en charge avec leurs véhicules.
De nombreuses entreprises de transport de toutes tailles se sont donc installées ou fait représenter en Tunisie . La majorité des grands groupes de transport comme Geodis, TNT, Graveleau, Transcargo, SDV (chez scac, le RoRo sur la Méditerranée est l'une des activités historiques)ou Mory ont créé des structures spécifiques. Elles ont mis en place des organisations complètes adaptées à la législation tunisienne pour assurer la logistique administrative complexe de leurs trafics.
A côté de ces grands noms, certaines PME du transport ont également tenté leur chance. Elles s'appuient, faute de moyens propres suffisants pour créer une structure intégrée, sur une série de prestataires intermédiaires installés sur les deux rives de la Méditerranée. C'est la solution retenue par les transports Leleu, de Flixecourt (Somme).
Au départ de Marseille, la société picarde utilise essentiellement les services de la société Giocanti pour les formalités administratives françaises. Un transporteur spécialisé sur les liaisons avec le Maghreb, la société Geffroy, assure les tractions d'embarquement et de débarquements sur les quais de la cité phocéenne. Après les trente-six heures de navigation, la société maghrébine de transports terrestres (SMTT) réalise, sur le sol tunisien, pour le compte du transporteur français l'ensemble des opérations liées à ses expéditions et livraisons. Cette filiale du groupe Zouari, leader sur le transport des carburants et premier importateur de RVI en Tunisie, possède une flotte de tracteurs et un grand entrepôt sous douane. Son équipe administrative et commerciale est rompue aux démarches spécifiques liées à ces trafics internationaux. « Il s'agit d'un véritable partenariat qui me permet de disposer des meilleurs relais locaux... » explique Christian Leleu. Le correspondant se charge de l'ensemble des démarches. Cette stratégie de partenariat, retenu par les transports Leleu, n'est pas sans avantage. D'abord, les arcanes de la réglementation locales du transport sont complexes et il faut jongler en permanence sur des zones géographiques à statuts et fiscalité très hétérogènes...En outre, si les autorités tunisiennes cherchent à favoriser à tout crin les investissements étrangers sur leur territoire par des mesures de défiscalisation et d'exemption de taxes, elles changent parfois radicalement et sans préavis, les règles de droit.
Ainsi, depuis une nouvelle loi, les filiales des groupes européens en Tunisie doivent être détenues majoritairement par des citoyens Tunisiens. Les sociétés tunisiennes des groupes français comme L.D.I. Tunisie, dont le capital comprenait 30 % d'actionnaires locaux, et dont le gérant était donc nommé par les 70 % des « non Tunisiens » ont dû recomposer leur actionnariat pour respecter cette évolution.
Christophe Bossonnet, fondateur et PDG de LDI, la société du groupe Mory qui regroupe désormais l'ensemble des activités spécifiques de transports spécialisés vers les Pays de l'Est et le Maghreb avoue avoir eu envie de tout arrêter lors de ce dernier avatar administratif : « Tout fonctionnait bien. La structure à 30 % que l'on avait eu du mal à monter défendait parfaitement nos intérêts. Nous avons cependant obtempéré et réparti les actions en fonction de cette nouvelle donne. Mais quand les autorités tunisiennes m'ont catégoriquement refusé la fonction de cogérant de L.D.I. Tunisie à parité avec le « gérant » Tunisien, j'ai failli tout laisser tomber. C'est sous la pression des clients que nous nous sommes résolus à changer une fois de plus de statut. Notre filiale tunisienne est devenue un transitaire. Elle s'est installée chez un partenaire tunisien ATMC qui nous accueille dans ses locaux. Et elle loue un magasin sous douanes... pour le compte de son client LDI France. »
Et les déboires des transporteurs français ne s'arrêtent pas là. Car aujourd'hui, la progression du marché tunisien commence à stagner, voire à ralentir. Le pays, qui a connu une nette amélioration de son niveau global de vie du fait de l'implantation de ses usines relais, commence à être de plus en plus concurrencé par les nouveaux Etats de l'Est. Ces derniers offrent des conditions de plus en plus intéressantes aux industriels en mal de délocalisations. Pour le moment, la bonne qualité de l'accueil et des personnels locaux ainsi que la stabilité du pays compense les attraits de ces concurrents. Sur place, des opérateurs tunisiens comme SMTT sont en train de mettre en place des alternatives comme la création d'une société filiale à Marseille. Celle-ci permettrait de vendre à une prix plus tunisien certaines prestations portuaires terrestres.
De son côté, le port autonome de Marseille, pour lequel les trafics avec le Maghreb représentent une nécessité vitale, réfléchit aux moyens d'améliorer la compétitivité de ces liaisons. Georges Oberlé, responsable commercial de la zone Afrique pense que la solution pourrait résider dans un changement de mode de transports. En conteneurisant ces trafics, de substantielles économies pourraient être réalisées.
Avec un Produit Intérieur Brut de plus de 21 milliards de dollars, la Tunisie qui compte 9,5 millions d'habitants se situe aujourd'hui en tête des pays africains, derrière l'Afrique du Sud mais devant le Maroc et l'Egypte pour le revenu par habitant (2300 dollars en 1999 source MOCI).
Peu doté en matières premières, le pays a bâti son économie sur l'agriculture (15,7 % du Pib), les Services (Tourisme) (50 % du Pib) et l'industrie, (29 % du Pib) dont la moitié (3 milliards de Dollars) proviennent des industries de transformations des textiles et du cuir et 17 % (1 milliard de dollars) des industries électrique et mécanique. La population active tunisienne de plus de 3 millions de personnes compte un tiers de femmes. Un quart de celle-ci se retrouve dans l'agriculture, un tiers dans l'industrie, et le reste dans les services.
Le taux de chômage « officiel » se situe aux alentours des 15 %. Mais il doit atteindre plus du double dans la réalité.
La Tunisie est un partenaire incontournable du Port de Marseille. Ce pays représente prés de 2,5 Mt de marchandises (dont 50 % de produits pétroliers) qui représentent 2,5 % du trafic global du port de Marseille. Sur le 1,3 Mt de marchandises diverses qui transitent par le grand port méditerranéen, 80 % voyagent en remorques le plus souvent non accompagnées. Marseille qui se veut être la porte d'entrée naturelle du Maghreb a mis en place des mesures incitatives pour attirer les transporteurs. Des remises de 20 % sur les droits de port « rouliers » lui ont permis de poursuivre le développement de ses trafics RORO avec la Tunisie tout en augmentant la part des conteneurs qui demeure néanmoins bien inférieure à celle des remorques. Aujourd'hui, les liaisons sont quotidiennes entre Marseille Gènes et Tunis. Plusieurs milliers de remorques traversent chaque année la Méditerranée en utilisant ces liaisons. Robert Mouly, le directeur de la branche Maghreb de la Société Nationale Corse Méditerranée prévoit toujours une progression annuelle d'environ 10 % du nombre de remorques embarquées. « Le système tunisien est bien au point pour gérer le RORO. Actuellement je ne vois aucune raison de craindre une quelconque baisse... »