Timorés s'abstenir

Article réservé aux abonnés

Chômeur de longue durée, Jean-Marie Charbonneau a créé son entreprise de transport. Sabina Wajija aussi, qui vient d'être promue à ce titre « Talents des cités ». Deux parcours atypiques et deux réussites qui battent en brèche certains discours démobilisateurs. Reste que la voie est semée d'embûches.

Chômeurs, vous voulez voir le visage d'un conseiller ANPE se décomposer en moins de trois secondes ? Dites-lui que vous voulez vous mettre à votre compte... dans le secteur du transport de marchandises. Effet garanti, tant ce type de démarche est vivement découragé - c'est un euphémisme - par les agences locales pour l'emploi. Explication : « la plupart des louageurs sont en réalité les salariés déguisés de leur unique client. Le pire, c'est qu'ils sont souvent obligés de travailler beaucoup plus qu'un employé pour gagner autant », dénonce Marie-Thérèse Davoisne, conseillère principale à l'ANPE transports-logistique d'Ile-de-France. « Evidemment, si les chômeurs pouvaient créer leur entreprise tout en continuant à toucher leurs allocations, l'ANPE les inciterait peut-être davantage à s'engager dans cette voie », ironise-t-on à l'Agence pour la création d'entreprise (APCE). Ce qui n'empêche pas cette dernière d'attirer l'attention des apprentis créateurs sur l'impitoyable course d'obstacles à laquelle ils devront faire face. « Le transport routier zone longue est un secteur où l'offre est supérieure à la demande, ce qui tire les prix vers le bas et créée une concurrence effrénée. Résultat : la profession se prête plutôt aux regroupements qu'aux créations », souligne une fiche pratique de l'APCE destinée aux entrepreneurs (1). Une analyse également valable pour le transport léger. Bref, difficile dans ces conditions de se faire une place au soleil. Conséquence : le taux de survie à 5 ans des créations pures (toujours dans le transport zone longue et d'après la même fiche) est de 51%. Quant au transport léger, les trois quarts des entreprises disparaissent au bout de trois ans d'activité, selon le rapport Defoug (2). L'ensemble de ces chiffres date un peu, mais tout porte à croire que les ordres de grandeur restent inchangés. Même son de cloche du côté de l'Association pour le droit à l'initiative économique (Adie). Laquelle conseille et soutient financièrement - notamment via un prêt de 5000 euros remboursable sur deux ans - les chômeurs et les RMIstes porteurs de projets. « Nous avons effectivement aidé un certain nombre de demandeurs d'emploi à créer leur entreprise de messagerie, explique Christiane David, conseillère à la délégation Ile-de-France de l'Adie. Mais ce n'est pas un métier que je recommanderai, il faut vraiment en vouloir ».

Percer dans le transport.

Ces recommandations ont de quoi refroidir les tempéraments les plus audacieux. Pourtant, des chômeurs ont réussi à percer dans le transport. Jean-Marie Charbonneau et Sabina Wajija en font partie. Hier demandeurs d'emploi de longue durée, ils dirigent aujourd'hui leur société. Chacun à sa manière, ils sont la preuve qu'on peut créer et développer durablement son entreprise dans le transport de marchandises. Et ce sans disposer forcément d'une mise de départ conséquente. Ni même avoir déjà travaillé dans le secteur. Jean-Marie Charbonneau, 51 ans, n'est pas homme à se laisser abattre. Las d'éplucher en vain les offres d'emploi, cet ancien mécanicien, licencié en 1997, décide de devenir son propre patron. Son choix se porte immédiatement sur le secteur du transport de marchandises. « J'avais lu que le marché était très porteur. En outre, j'avais l'avantage d'avoir été chauffeur de cars ». Déjà titulaire du permis poids lourd, il a juste à passer son attestation de capacité. Une formalité qui manque de se transformer en cauchemar. L'ANPE, qui fait tout pour le persuader d'abandonner, refuse même dans un premier temps de financer l'examen. « On me disait : « le transport est un métier spécial. De toute façon, vous n'obtiendrez pas votre capacité. Il faut au minimum avoir un niveau bac + 2 pour avoir une chance». Persévérant, il finit par arracher la subvention. Une fois sa capacité décrochée, il achète un camion d'occasion avec ses indemnités de licenciement et un prêt de 4573 euros (30 000 F) de l'Adie. Conseillé par cette dernière et épaulé par sa femme, Jean-Marie Charbonneau trouve rapidement sa vitesse de croisière. « Le transport est un secteur dur, mais qui offre de réelles perspectives, insiste-t-il. Je travaille avec de gros affréteurs, je peux vous dire que c'est moi qui fixe le prix des lots. J'ai également quelques clients directs ». Ses douze mois de chômage ne sont plus qu'un lointain souvenir. Située dans la Somme, la pme de Jean-Marie Charbonneau emploie 7 salariés et vient d'acquérir un nouveau véhicule.

Le parcours de Sabina Wajija se place dans un autre contexte et sur un autre registre. Le 6 février, la jeune femme a été promue « Talent des cités », en compagnie d'une quarantaine de jeunes. Une bourse de 5000 euros récompensant les efforts des entrepreneurs de banlieue. Sabina Wajija a contracté le virus de la création lorsqu'elle était étudiante. Après une première expérience malheureuse, elle envisage avec son ami de rejoindre le secteur du transport, sur les conseils d'un artisan louageur. Après démarchage des sociétés de transport lilloises, les jeunes entrepreneurs optent pour le transport express, un créneau encore largement inexploité. Deux années de chômage auront été nécessaires pour mûrir leur projet. Les deux jeunes entrepreneurs démarrent en 1999 avec deux véhicules légers loués à long terme. Malgré l'apport de l'Accre, une subvention publique délivrée sous forme de chèques conseil, les débuts sont difficiles. Jusqu'à ce qu'un gros transporteur de la région accepte de leur sous-traiter sa messagerie. « Nous avons triplé notre chiffre d'affaire au bout de trois mois », assure Sabina Wajija. Aujourd'hui, AT express, qui emploie 14 salariés, possède 10 poids lourds et pèse 1,88 million d'euros (12 MF) de chiffre d'affaires. Malgré le succès, Sabina n'oublie pas d'où elle vient. « Je me suis engagée auprès du ministère de la Ville à parrainer d'autres jeunes du quartier qui projettent de créer leur entreprise. Tant mieux si mon exemple et mes conseils peuvent contribuer à changer un peu l'image des cités ! ».

(1) « Transporteur routier zone longue », APCE, juin 2000.

(2) « Rapport d'analyse et de propositions sur la réglementation applicable au transport léger routier de marchandises pour compte d'autrui », Henri Defoug, Direction des transports terrestres, juin 1998.

(3) Bilan social annuel du transport routier de marchandises, Observatoire social des transports, 2002.

Enquête

Boutique
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client abonnements@info6tm.com - 01.40.05.23.15