Malgré les bonnes volontés, privées comme publiques, force est de constater que la logistique urbaine souffre d’un manque de gouvernance en Île-de-France. Tel est l’avis du Gatmarif, réuni en assemblée générale le 24 octobre à Paris. « Nous devons réfléchir à une logistique urbaine dans une région en pleine mutation », invite son président Jean-Pierre Gaumet. Quelques chiffres rappellent les enjeux franciliens : 12 millions d’habitants, 1 276 communes dont 131 au sein du Grand Paris, 62 000 commerces dans Paris intra–muros, 31 % du PIB national contre 25 % en 1990… Support de l’activité économique régionale, « 220 Mt y sont transportées chaque année, hors VUL, au moyen d’une flotte de 51 000 poids lourds [plus 900 000 VUL, Ndlr] ». En termes de surfaces logistiques, l’Île-de-France rassemble 17 millions de mètres carrés, soit un quart de l’offre nationale, marquée par un éloignement géographique et l’augmentation des trajets. « En quelques années, la distance moyenne pour le transport d’un colis est passée de 6 à 16 km, soit une baisse de productivité de l’ordre de quarante minutes par jour ! »
À cet état des lieux déjà préoccupant, le Gatmarif alerte les pouvoirs publics et les collectivités territoriales face aux futures échéances. Avec les travaux du Grand Paris, Jean-Pierre Gaumet évoque une série de défis : « JO 2024, croissance de l’e-commerce, ouverture des magasins le dimanche et le manque cruel de main-d’œuvre avec un déficit régional estimé entre 4 000 et 5 000 conducteurs. Pour les Jeux olympiques, par exemple, nous demandons avec insistance des interlocuteurs pour les préparer. » Faute de réponse pour l’heure, les professionnels via leurs fédérations se sont emparés du sujet et organiseront un événement consacré à la logistique des JO le 25 mai 2020. Autour de quatre thèmes (infrastructures, environnement, social et réglementation), « cette manifestation vise à anticiper leur organisation et à éviter les erreurs rencontrées lors de la COP21, par exemple, déclare Élisabeth Charrier, déléguée régionale de la FNTR. Il s’agit de définir un calendrier et d’identifier qui fait quoi, quand, avec quels moyens et de préparer la réglementation en conséquence avec les éventuelles dérogations à mettre en œuvre ». L’occasion aussi de préciser les responsabilités entre la Région et la Ville de Paris sur ce dossier.
Le temps presse et le Gatmarif entend intégrer ce sujet parmi les nouveaux ateliers de la charte logistique urbaine de Paris. Éditée en avril 2013, elle est en cours de « toilettage ». Avec la suppression de thèmes réalisés ou obsolètes et l’ajout des JO 2024, « nous y prévoyons de nouveaux ateliers comme la logistique des grands travaux et sans doute les aires de livraison dédiées ». Ce dossier devrait être alimenté par l’expérimentation d’aires connectées prévue début 2020. Dans le 4e arrondissement, elle durera entre six et douze mois sur un nombre de places de stationnement à préciser, et sera financée (200 000 euros) par la Ville de Paris.
Avec la CSD dans le déménagement, le groupement a, par ailleurs, obtenu deux mesures : le report du système de réservation payante d’emplacement, et l’accroissement de la zone destinée au stationnement qui s’analyse désormais autour du numéro de la rue concernée.Étonné que la dimension fret soit absente ou presque dans le Conseil parisien de la mobilité, le Gatmarif est engagé dans un autre « combat majeur » sur les aires de livraison dites de « pleine voie », rue de Rivoli et boulevard Sébastopol notamment. « Ces aires sont annoncées à 2 m de large mais, dans les faits, elles ne mesurent que 1,70 m et nos camions mesurent 2,55 m de large », constate Jean-Pierre Gaumet. Pour lui, le danger pour les conducteurs lors des manutentions est réel. Il est à l’origine d’un courrier adressé à la Ville de Paris avec copie à la Caisse régionale d’assurance maladie d’Île-de-France (Cramif), « en vain dans l’immédiat ». Un autre dossier en suspens concerne le test des zones à faibles émissions (ZFE) prévu à l’est (Boulogne) et à l’ouest (Les Lilas). Peu de résultats tangibles sont constatés également sur « l’ubérisation du dernier kilomètre ». À ce stade, les premiers éléments de la loi d’orientation sur les mobilités (LOM) à ce sujet semblent très éloignés des attentes de la profession dont du Syndicat national des transports légers (SNTL).
Quant à l’harmonisation des réglementations consacrées à la logistique urbaine entre communes franciliennes, elle demeure aussi à l’état de projet piloté, notamment, par la Métropole du Grand Paris qui n’a aucun pouvoir pour obliger ces dernières à suivre ses recommandations. Dans ce contexte, le cap fixé par la Ville de Paris et la Métropole du Grand Paris d’interdire les moteurs diesel en 2024, et thermiques en 2030, plongent la profession dans l’incertitude. S’il ne s’agit que d’objectifs sans cadre législatif, leur concrétisation se heurte toujours à des freins opérationnels faute d’offres suffisantes, électriques notamment, ou de stations-service GNV en nombre suffisant. Pour un parc de 51 000 camions et 900 000 VUL, le Gatmarif ne recense en effet que 13 stations publiques GNV en Île–de-France. Et bien que trois nouvelles soient annoncées, en 2020, porte d’Aubervilliers et quai d’Issy-les-Moulineaux, Jean-Pierre Gaumet déplore les difficultés administratives pour obtenir les autorisations nécessaires à leur création. Fustigeant enfin le projet de réduction de la circulation sur le périphérique parisien, le président du groupement rappelle que les solutions dites « alternatives », et dont le modèle économique dépend parfois de subventions publiques, « ne sont pas à la hauteur des 220 Mt à transporter chaque année, lesquelles sont composées d’une très grande diversité en termes de poids et de dimensions ».
Face à ces enjeux, le Gatmarif est rejoint dans ces constats par les chargeurs du Medef, de l’Alliance du commerce et de l’AUTF (Association des utilisateurs de transport de fret). Ensemble, ils demandent aux pouvoirs publics et aux collectivités territoriales d’engager des « États généraux » sur la logistique urbaine en Île-de-France. Pour soutenir cette proposition, le groupement prépare un livre blanc avec le concours des fédérations du secteur.
Valorisation des livraisons, immédiateté, croissance des volumes de 14 à 16 % par an… L’e-commerce demeure « une vraie problématique pour la logistique urbaine », selon Jean-Pierre Gaumet, le président du Gatmarif. Ce comportement d’achat est déjà à l’origine de 200 000 colis livrés chaque jour dans Paris. À domicile ou en point-relais, les deux principaux modes de livraison, « l’e-commerce laisse augurer de nouvelles réflexions avec nos autorités de tutelle et un développement pour nos entreprises. En revanche, nous devons innover ou disparaître ». Pour accompagner cette évolution, Sogaris, l’Ifsttar (Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux) et l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée (UPEM) se sont associés pour créer la chaire Logistics City. Placée sous la direction de Laetitia Dablanc, directrice de recherche à l’Ifsttar et à l’UPEM, elle vise à concevoir une démarche scientifique sur la logistique en ville autour de deux axes : l’immobilier urbain et les nouveaux comportements de consommation portés par les transfor-mations numériques. Présentée le 19 septembre à Paris, la chaire ambitionne de créer un observatoire. Avec pour périmètre le territoire francilien et une trentaine de grandes métropoles mondiales, l’une de ses missions sera d’apporter des outils méthodologiques et des analyses aux acteurs privés et publics en matière de logistique urbaine.
E. D.