Une activité complexe, à la croisée de plusieurs mondes

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Basé sur un savoir-faire français, l’élevage, le transport d’animaux vivants est une activité intéressante… pour peu que l’on soit passionné et souple face aux multiples contraintes.

La France est le berceau des races, comme la limousine, la salers, la montbéliarde, etc.. Bovines ou même porcines, on les exporte ». À l’instar de Romain Bardy, patron de Bardy Bresse, en Saône-et-Loire (lire p. 32), les transporteurs d’animaux vivants sont souvent fiers de leur spécialité. « La France a un beau savoir-faire d’élevage, confirme Nancy Le Febvrier, responsable administrative et logistique des Transports Lelandais (22). À ses débuts, il y a 34 ans, notre entreprise assurait uniquement de la ramasse de porcs dans les fermes à destination des abattoirs. Mais la demande a beaucoup évolué, grâce à l’exportation croissante des cheptels : nous réalisons à présent 40 % de notre chiffre d’affaires avec des transferts d’animaux, notamment reproducteurs ».

Une spécialité qui place ces entreprises à la croisée de plusieurs mondes : « On devrait peut-être être rattachés à l’agriculture », lance Romain Bardy. D’autant que nombre de ces transporteurs sont fils ou petits-fils d’agriculteurs, voire eux-mêmes éleveurs, comme Gilles Garcion, dirigeant de SSCB. « Depuis 1997, nous avons ajouté le transport public à nos activités de commerce et d’élevage, et, en 2014, la commission de transport, explique-t-il. L’élevage nous permet de comprendre les contraintes du transport ». Président, entre 2014 et 2016, de la commission « transport d’animaux vivants » de la FNTR, il est désormais passé à la Fédération française des commerçants en bestiaux (FFCB). Qui, selon lui, « n’exclut pas de créer une branche transport ».

Contraintes multiples

La complexité de cette activité provient aussi d’une réglementation abondante visant le bien-être animal (lire p. 30). Celle-ci oblige à équiper fortement les véhicules : compartimentage répondant à des normes de densité variant selon le type d’animaux, système d’abreuvement adapté à chaque espèce (pipettes, abreuvoirs…), ventilateurs, système de récupération des déjections, etc.. La société Ayrault Frères (79) vient aussi de faire développer par son prestataire informatique, Strada, une solution de suivi en continu des températures : « Nous avons installé des sondes dans vingt porteurs et deux remorques, explique Jacky Morilleau, directeur général de Strada. Reliés par un système filaire à la cabine, elles permettent au conducteur et à l’exploitant de suivre les températures, sur écran. Des alertes sont émises à – 5° et à + 35 °C ».

Autant d’équipements très onéreux : « Nos 14 bétaillères, dont deux spécifiques aux chevaux, transportés à un par box, nous ont coûté chacune de 250 000 à 320 000 € », témoigne Nancy Le Febvrier. De même, Jean-François Clergial, dirigeant de la société éponyme (15), assure « qu’équiper un camion revient au minimum à 10 000 € ». Un rapport de 2012 de la Commission européenne évaluant l’impact du règlement de 2005 reconnaissait : « Il semble que les entreprises de transport n’aient pas été capables de répercuter les coûts sur d’autres acteurs du secteur alimentaire. On peut supposer que cela est dû à la situation fortement concurrentielle du secteur du transport des animaux ». Aujourd’hui encore, constate Anthony Rouxel, délégué régional Bretagne et responsable de la commission à la FNTR, « les entreprises ont beaucoup investi pour le bien-être animal, mais les donneurs d’ordre et le grand public ne le voient pas ».

Or cette contrainte est loin d’être la seule. Une autre concerne les conducteurs, pas simples à recruter : il leur faut aimer les animaux et accepter les contraintes physiques liées au chargement-déchargement des bêtes ou à leur ravitaillement éventuel. Ils doivent par ailleurs passer un certificat de compétences (ex-Captav) pour chaque type d’animaux. « Moi, je ne recrute plus que des conducteurs qui l’ont déjà, assure Romain Bardy, parce qu’auparavant, nous organisions des formations en interne et beaucoup quittaient l’entreprise une fois leur certificat en poche ! ». Cette formation théorique ne suffit en outre pas à savoir manipuler les bêtes, à trier les mâles et les femelles, ou encore à conduire une bétaillère : « En sortant d’une exploitation, sur une route étroite, il est très facile de verser, même au ralenti, explique Jean-François Clergial, car quand le camion s’incline, les vaches vont du même côté. Mes nouvelles recrues travaillent en binôme avec un ancien pendant deux mois ». Enfin, ces conducteurs doivent être en nombre suffisant pour pouvoir rouler en équipage ou se relayer lors des longs trajets. Enfin, nombreux sont les aléas qui peuvent mettre à mal l’activité de manière subite. Ils peuvent être diplomatiques, économiques, mais, souvent aussi, sanitaires. Que ce soit la grippe aviaire, la « vache folle », la fièvre catarrhale ovine, etc., les épizooties se suivent, privant les transporteurs de missions et d’indemnisations. « Nous faisons entendre notre voix pour que le transport soit pris en compte dans la chaîne d’événements et ne soit pas considéré comme le responsable de toute contamination », assure Anthony Rouxel. La FNTR participe aussi à l’élaboration, au niveau européen, de guides de bonnes pratiques professionnelles et, au plan français, elle étudie la « rénovation » du contrat-type relatif à cette activité.

S’adapter aux contraintes

Face à ces contraintes, chacun trouve ses solutions. « Lorsque le transport va mal, on peut s’appuyer sur le négoce, et vice-versa », témoigne Gilles Garcion. Comme Bardy Bresse, SSCB a aussi internalisé le lavage — très règlementé —, en se dotant de sa propre station. Les Transports Lelandais, eux, ont choisi, en 2012, de se doter d’un garage, qui « nous permet de mieux gérer les incidents locaux », explique Nancy Le Febvrier. Car un abattoir, qui fonctionne en flux tendu, n’admet aucun retard. Des transporteurs ne chargent que de petits animaux dans le cadre de leur activité d’express. Mais ils doivent eux aussi s’adapter aux contraintes : « Nous effectuons des trajets de nuit pour Geodis, explique Louis-Michel Barraud, dirigeant de la PME Trans 2000, à Evreux. Des consignes spécifiques nous sont données au chargement de colis qui contiennent, par exemple, des poussins ou des chats ». Outre la formation des équipes dans toutes ses agences, le GIE France Express met les moyens nécessaires : « Outre la responsabilisation de chacun sur la manipulation des colis d’animaux — toujours hors de la chaîne de manutention — et leur chargement, commente Philippe Gadonneix, délégué général du GIE, nous prévoyons dans chaque agence une zone spécifique, hors des courants d’air. Par ailleurs, en cas d’arrivée tardive sur une plateforme, nous déclenchons sans tarder une course ».

Le groupe GT Location, positionné dans le métier depuis 1997, a opté pour une relative diversification des animaux qu’il transporte : poules, poulets, poulettes « démarrées » (pas encore pondeuses), poussins, canards gras, etc.. Sans pour autant aller jusqu’à s’ouvrir au porc ou autres gros animaux… « Pour l’instant, lâche Pascal Guillot, directeur du développement, le transport d’animaux vivants a du sens dans notre portefeuille d’activités, mais ne traiter qu’une seule espèce serait risqué ». Depuis 2004, il a trouvé encore un autre axe de diversification avec l’euthanasie des bêtes contaminées par une épizootie. Faisant un atout de cette contrainte.

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