« Un déséquilibre fondamental entre les plateformes et le transport »

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Les acteurs du transport léger sont remontés contre la loi d’orientation des mobilités (LOM) sur laquelle ils comptaient pour que le législateur régule les conditions (déséquilibrées selon lui) de la concurrence entre les plateformes collaboratives et les transporteurs du secteur. Hervé Street, le président du SNTL, s’est livré à l’Officiel des transporteurs.
L’Officiel des transporteurs : La loi sur les mobilités arrive à son terme. Quel regard portez-vous sur les contenus qui vous concernent ?

Hervé Street : La LOM a été un sujet de tous les instants. Après beaucoup de démarches et d’échanges avec les parlementaires, nous avions le sentiment d’avoir été écoutés sur les problématiques liées à l’économie collaborative, d’autant plus que, une fois n’est pas coutume, nous avions parlé d’une seule et même voix avec TLF, la FNTR et l’OTRE. Nous étions tous cosignataires du même document et nous avions tous participé à une table ronde avec l’ensemble des députés concernés par la LOM.

Tout au long de près de trois heures d’audition, nous avons exposé les dangers d’une loi qui serait inégalitaire entre, d’une part, les transporteurs, notamment ceux du léger, et de l’autre, les plateformes collaboratives. Cette audition faisait suite à des « one to one » individuels, avec chacun des députés et sénateurs, au cours desquels nous avons abordé l’ensemble des sujets.

Que s’est-il passé ensuite ?

H. S. : Sans doute, qu’en toute dernière minute, Uber et les VTC se sont invités à la table et ont balayé d’un revers de mains tout ce que nous avions présenté sur le thème « attention à ce que vous allez décider, il y a de l’activité en jeu », sous-entendu « comme la LOM est une loi qui balaye très large (marchandises et voyageurs), ce que vous prévoyez de faire aura des impacts très négatifs pour les VTC avec les conséquences que vous connaissez notamment dans les banlieues ». Les ordres sont venus directement d’en haut et la loi qui en est sortie institue un déséquilibre fondamental entre les plateformes collaboratives et le transport.

Dans quelle mesure ?

H. S. : Nous, transporteurs, sommes l’objet d’un examen, d’une preuve de capacité et nous devons détenir une licence de transport intérieur, laquelle est conditionnée à nos fonds propres. À l’inverse, ces contraintes (capacités financière, morale et technique) n’existent pas pour le transport réalisé par la voie collaborative. Nous nous trouvons dans une situation de distorsion de concurrence.

Par ailleurs, depuis 2004, le transport dans son ensemble a aboli le paiement à la tâche. Pour la simple raison que si un coursier veut gagner sa vie, il aura tendance à en faire plus et plus vite au mépris de sa sécurité. Or, les plateformes collaboratives, qui ne paient que le « one way », ont le droit total de rémunérer leur transport à la tâche. Ce qui, en termes de concurrence, nous laisse totalement en dehors du jeu sur ce dispositif.

Qu’en pensez-vous ?

H. S. : Je rappelle que ces plateformes mettent en avant le statut d’auto-entrepreneur de ces coursiers et ne leur reconnaissent pas celui de salariés ou de sous-traitants, en clair aucune des catégories connues jusqu’à présent dans le transport, pour lesquelles il existe un minimum de règles. Quand on est commissionnaire de transport, on doit s’assurer de la qualité de son transporteur. On en a la responsabilité (du commettant) : celle-ci n’existe pas chez les plateformes. Par conséquent, nous pensons que la LOM prédispose que le tribunal des prud’hommes – une première en France – ne sera pas qualifié pour juger de la qualité ou non de salariés de l’un des préposés de ces plateformes.

Une décision a pourtant été rendue il y a quelques mois, qui reconnaissait le statut de salarié du coursier d’une plateforme…

H. S. : Il existe effectivement des jugements, y compris de cour d’appel. Mais la loi va faire en sorte que le tribunal des prud’hommes se retrouve hors-jeu et ne soit plus en mesure de prononcer une requalification de ces salariés. C’est incroyable ! On va donc mettre à leur disposition une juridiction particulière.

On vous sent remonté…

H. S. : On va maquiller tout cela – c’est bien sulfureux – en disant « attention, les plateformes pourront signer une charte de bonne conduite » (art. 17 et 20) ». Mais, soit il existe une loi et elle s’applique, soit il n’y en a pas, et c’est la jungle, tout, sauf une société organisée. À l’arrivée, on va se retrouver avec une plateforme qui dira : « voici la loi que je compte m’appliquer ». Inutile de dire que tout cela tourne à la farce !

Ces mesures ne vous paraissent-elles pas en phase avec « l’idéologie » d’Emmanuel Macron qui, lorsqu’il était ministre de l’Économie, avait déjà affiché sa préférence pour cette économie (du numérique) créatrice d’emplois, notamment dans les quartiers difficiles ?

H. S. : Je pense que ce postulat repose sur un axiome qui est faux. Le secteur léger est un secteur qui, dans les cinq prochaines années, va avoir des besoins colossaux car les volumes vont doubler sous l’impulsion de la demande du consommateur. Et là, on nous dit : « pour répondre à cette demande, on va créer de faux emplois, des ersatz de travail. » Ce prérequis est totalement faux. On a une opportunité formidable de créer des centaines de milliers d’emplois dans le transport. Au lieu de cela, on va créer de la précarité.

On est là en plein dans le modèle allemand souvent cité en exemple, non ?

H. S. : Bien sûr, le modèle allemand des travailleurs pauvres. Est-ce de cette société-là que nous voulons, alors que nous pouvons créer des centaines de milliers d’emplois ? On nous brandit l’exemple des VTC. Mais quand on s’empare du problème par le petit bout de la lorgnette, on s’aperçoit que les taxis appartiennent à un secteur totalement verrouillé par le numerus clausus. Par voie de conséquence, il a été décrété qu’il y aurait environ 17 000 licences dans Paris. Tout le monde sait bien qu’il est compliqué d’avoir un taxi en début de matinée et en fin d’après-midi, sauf à avoir un abonnement.

Et donc ?

H. S. : Eh bien ce n’est pas le cas dans notre profession. Je ne connais pas un donneur d’ordre qui, lorsqu’il passe un appel d’offres, n’a pas en face de lui 10, 15 ou 20 transporteurs qui lui répondent. On met en compétition permanente le RSQ1 [request for quotation, Ndlr], RSQ2 et RSQ3 avec nos confrères. Conclusion : on ne peut mettre sur un même plan VTC et transport de marchandises. Nos professions n’ont jamais été verrouillées par des numerus clausus. Ce qui me révolte dans cette affaire, c’est qu’on a mélangé deux sujets : le VTC et le transport léger.

Quels sont les autres sujets du moment dans le transport léger ?

H. S. : Nous restons attentifs aux sujets liés à la fiscalité, à la concession de routes nationales, aux tonnages… Je pense que d’autres sujets se présenteront à la rentrée. Pour l’heure, nous attendons les dernières conclusions sur la LOM sans trop d’illusions. Je me répète mais cela me sidère de ne pouvoir offrir un véritable emploi à des gens que l’on mène à la précarité à travers un statut d’auto-entrepreneur. Ironie du sort, on fait partie des six professions désignées par le gouvernement qui abuseraient des contrats courts. À côté de cela, comme il n’existe pas de contrats entre un auto-entrepreneur et une plateforme d’intermédiation, on est exonéré de tout. C’est un statut formidablement instable et formidablement puissant pour n’avoir aucune responsabilité ni aucun dispositif qui s’applique à soi-même. C’est comme si on disait : « Je vais choisir un ou des départements et je vais décréter qu’on n’appliquera pas l’impôt dans ces départements. » On assiste à une sorte de retour aux seigneuries du Moyen Âge. On n’est pas loin du servage…

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