La coïncidence est totalement fortuite. Pourtant, le Comité national routier a rendu publique sa dernière enquête sur la fiscalité appliquée au gazole en Europe quelques jours à peine avant que le gouvernement français n’annonce son projet de rabotage (de 2 cts par litre) de la ristourne gazole. Rappelons que cette ristourne est appliquée sur le champ européen et qu’elle vise à harmoniser les conditions de concurrence entre les États membres. C’est peu de dire que le projet de rabotage ne va pas jouer en faveur des transporteurs français (coût de 47 000 euros par an pour son entreprise, estime David Sagnard, dirigeant des Transports Carpentier). Déjà, le cadre ne plaidait pas en faveur de conditions équitables, résume l’étude du CNR : « La disparité des taux de taxation du gazole en Europe constitue, après celles des coûts de personne de conduite, une importante source de distorsion de concurrence dans le secteur du transport routier », soulignent les auteurs de l’étude.
Pour mémoire, le législateur européen a fixé le cadre des droits d’accises en 1992 puis en 2003 et 2010, dans le cadre de la directive Énergie. Cette directive fixe à 33 €/hl (hectolitres) le taux minimum de taxation sur le gazole, taux toujours en vigueur. Comme le rappelle le CNR, pour les pays membres qui n’ont pas adopté la monnaie unique*, ce taux est converti à la monnaie nationale au taux de change officiel du 1er octobre de l’année « n » pour l’année « n + 1 ». Il rappelle également que subsistaient encore, jusqu’en 2012, des dérogations à ces seuils minimaux, en relation avec le niveau de vie de ces pays. On fait allusion aux pays d’Europe de l’Est et centrale. « Actuellement, à la stricte lecture des textes, plus aucun pays n’est censé bénéficier de ce type d’exception », souligne le CNR. Lequel rappelle qu’existe également la disposition qui permet aux États membres d’appliquer une fiscalité différente selon que le gazole se destine à « un usage commercial » ou à « un usage privé ». Actuellement, neuf États membres (dont l’Espagne, le Portugal et la Croatie) appliquent cette différence. Ce qui fait dire au CNR que ses informations sont accessibles aux transporteurs qui ont à faire jouer un remboursement partiel pour du carburant acquis dans l’un de ces États.
En France, au 21 juin 2019, le taux d’accises s’élève à 60,91 €/hl (voir tableau), ce qui place l’Hexagone au troisième rang européen sur la base des niveaux de taux pratiqués, derrière le Royaume-Uni et l’Italie. En Hongrie, pavillon qui commence à peser sur l’échiquier européen, les droits d’accises s’élèvent à 35,02 €/hl (taux net : 33,92 €/hl). Le montant du remboursement, dans ce pays, s’effectue à l’année (1,10 €/hl). Chez nos voisins italiens, le montant du remboursement partiel du droit d’accises (PTAC supérieur ou égal à 7,5 t) est publié chaque trimestre par décret ministériel (21,4 €/hl pour un droit d’accises de 61,74 €).
À tous ceux qui pointent du doigt le Luxembourg pour son côté eldorado pour le prix de son carburant, le CNR prévient que, depuis le 1er mai, ses droits d’accises sur le gazole sont passés de 33,50 €/hl à 35,50 €/hl. Ce pays « semble changer d’orientation », indique le CNR. En conclusion, les auteurs de l’étude avouent la difficulté d’« établir avec certitude dans quelles proportions les différences de droits d’accises faussent le marché du transport international routier ». Il évoque des situations d’inégalité, selon les États, devant les régimes fiscaux appliqués sur le gazole. La prime à l’avantage reviendrait aux entreprises présentes à l’international. « Elles peuvent en effet choisir de s’approvisionner dans un pays peu cher et déclencher ses mécanismes de remboursement partiel lorsqu’ils existent ». Ces entreprises, dotées de flottes aux normes les plus récentes, tireraient en outre avantage de cette situation puisqu’elles sont « capables de sillonner l’Europe d’est en ouest et du nord au sud, durant presque deux semaines, avec un seul plein de gazole ».
* Pays concernés : Bulgarie, Croatie, Danemark, Hongrie, Pologne, République tchèque, Roumanie, Royaume-Uni et Suède.