Relier la mer à la terre en flux tendus

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Ils sont seulement une poignée de transporteurs spécialisés dans les produits frais de la mer. Et pour cause : dans un secteur soumis à une stricte réglementation, les volumes et les flux varient énormément selon la météo et la saison, imposant chaque jour de nouvelles organisations des flux. Une adaptation toujours plus complexe en raison des contraintes horaires drastiques pour livrer grossistes et grandes surfaces en J + 1.

Anchois, bar, coquille Saint-Jacques, daurade, hareng, langoustine, lieu jaune, limande, lotte, maquereau, merlan, merlu, morue, rouget, sardine, sole… : plus de 150 espèces de poissons et crustacés se retrouvent régulièrement dans nos assiettes. En France, la consommation moyenne de poisson s’établit à 34 kg par personne et par an, soit environ 2 millions de tonnes pour le pays. Elle est en légère hausse depuis quelques années, contrairement à celle de la viande, en baisse régulière. Selon France Agrimer, près de 460 000 tonnes de poissons sont pêchées et débarqués chaque année dans les ports français, pour un chiffre d’affaires supérieur à un milliard d’euros, ce qui fait de l’Hexagone le quatrième producteur européen de produits de la pêche. Plus de la moitié des poissons (240 000 tonnes) est mise en vente dans les 37 halles de marées réparties sur l’ensemble du littoral. Les principales « criées » se trouvent sur la façade Atlantique au premier rang desquelles se trouve celle de Boulogne-sur-Mer où sont basés 140 navires qui débarquent 36 000 tonnes par an. Suivent celles de Lorient (26 500 tonnes), Saint-Quay-Portrieux (23 000 tonnes) et Le Guilvinec (19 000 tonnes). Au total, la Bretagne concentre près de la moitié (48 %) des prises françaises.

Travailler de nuit

En général, le délai entre le déchargement de la pêche et la livraison chez le poissonnier n’excède pas 48 heures. Du point de départ que constituent les criées, les transporteurs doivent organiser la collecte, le groupage puis la préparation de commandes et la distribution à destination des enseignes de la grande distribution et des grossistes. « La marée, c’est de la dentelle, affirme Julien Raynaud, le jeune dirigeant d’Express Marée. On jongle en permanence avec des volumes qui varient énormément selon la météo et la saison. De plus, nous sommes soumis à des énormes contraintes horaires avec l’obligation de livrer en J + 1, ce qui nous oblige à travailler de nuit. » Installée à Lézignan-Corbières, dans l’Aude, Express Marée dispose de 9 agences de ramasses le long des côtes et cinq entrepôts de distribution. Avec 110 véhicules, cette PME familiale revendique 100 000 tonnes de produits de la marée transportées en 2016 et des tractions quotidiennes vers Rungis et les autres marchés d’intérêt national (MIN).

Production fluctuante

STEF, Delanchy, Olano, Guiffant, Express Marée : ils ne sont qu’une poignée de transporteurs spécialisés dans les produits de la marée. « Les besoins de la filière nécessitent une gestion des approvisionnements en flux tendu d’une part et une adaptation aux fluctuations de la production d’autre part : cela requiert une forte expertise des équipes », avance Michel Fons, directeur des activités produits de la mer chez STEF. L’activité « seafood » de STEF représente 900 personnes et utilise 450 véhicules. Le transporteur dispose de huit sites dédiés aux produits de la mer. Ce dispositif organisé en réseau est complété par d’autres sites STEF sur lesquels sont également traités des produits de la mer en complémentarité des produits frais/surgelés. Dans le cas de sites non spécifiques, des surfaces dédiées sont prévues et adaptées au besoin du produit. STEF propose une offre globale à l’ensemble de la filière. Le groupe intervient dès l’amont pour le ramassage et la collecte des produits, répondant ainsi aux besoins de la production et aux besoins en termes de sourcing et également en aval pour la livraison sur les points de vente.

Plus de 70 % des produits de la marée sont achetés par les centrales d’achats des enseignes de la grande distribution, qui missionnent les transporteurs pour acheminer les marchandises, soit dans leurs entrepôts soit directement dans les magasins. Les mareyeurs acquièrent les 30 % restants pour l’envoyer aux grossistes comme Pomona ou Grand Frais à destination de Rungis et des 17 autres marchés d’intérêt national (MIN) répartis dans toute la France, où viennent s’approvisionner les poissonniers et les restaurateurs. « Chaque circuit a sa propre organisation. Mais schématiquement, on distingue la logistique amont qui concerne la ramasse sur les criées vers 7 h, suivie du groupage à destination de l’entrepôt. On a alors une heure ou deux pour décharger et effectuer les préparations de commandes par client et reconstituer les camions par destination. Vient ensuite la logistique aval qui concerne la distribution directe ou indirecte. Aux MIN, nous devons arriver aux alentours de minuit pour que les grossistes puissent ensuite organiser leurs propres tournées à partir de 3 heures du matin », explique Nicolas Olano, ancien acheteur de criée qui a fondé l’entreprise de transport éponyme en 1975. Dans cette course contre la montre, les conducteurs sont le plus souvent sollicités pour décharger les camions et filmer les palettes. Le groupe Olano dispose de 42 sites dont les principaux se trouvent à Saint-Jean-de-Luz (où se situe son siège), Lorient, Boulogne et Sète. Il revendique 400 000 tonnes de produits de la mer transportées chaque année pour un chiffre d’affaires d’environ 100 M€.

L’import prend du poids

En amont, les transporteurs utilisent le plus souvent des véhicules dédiés. En aval, il arrive que les produits de la mer voyagent avec d’autres marchandises nécessitant un transport frigorifique. « Avec les nettoyages rigoureux, les remorques ne sentent plus et l’on peut transporter d’autres produits — à l’exception notable du beurre qui prend l’odeur », rappelle Luc Guiffant. Basée au Guilvinec (29), son entreprise exploite 50 semi-remorques plus sept porteurs et dispose d’entrepôts à Lorient, Nantes, et La Rochelle pour des lignes quotidiennes en national, dont Paris, ou encore l’Espagne. Comme les autres, STEF confirme que pour les retours, ses camions frigos chargent des produits de toutes natures.

Les criées ne sont pas les seuls points de chargement. Avec la baisse du nombre de navires et des droits à pêcher, de plus en plus de produits de la mer sont importés et proviennent de l’étranger. Les volumes arrivant par voie terrestre transitent généralement par les criées, mais de plus en plus de produits arrivent par la voie aérienne. 40 000 tonnes de poissons sont ainsi débarquées chaque année par l’aéroport de Madrid. Les transporteurs récupèrent ensuite ces flux sur leur plateforme, comme Olano à Irun. Reste qu’à l’intérieur de l’Hexagone, la part de la route dans le transport des produits de la mer est quasi hégémonique à cause de la nature périssable du produit, d’une logistique de plus en plus sophistiquée et de flux très tendus.

Th. B.

Une réglementation draconienne en matière d’hygiène

Comme toutes les denrées alimentaires d’origine animale, les poissons et les crustacés ont soumis à une stricte réglementation en matière d’hygiène. Depuis 2002 et l’adoption de la « food law » (règlement CE n° 178/2002) établissant les principes généraux de la législation alimentaire, l’Union européenne a produit divers textes précisant les règles d’hygiène spécifiques applicables aux denrées alimentaires d’origine animale. Il s’agit en particulier des règlements consolidés 852/2004 et 853/2004 qui précisent que les produits frais de la pêche « doivent être maintenus à une température approchant celle de la glace fondante » et « le maintien de la chaîne du froid » à toutes les étapes de la chaîne alimentaire. Outre l’exigence de marque d’identification et de traçabilité, ces textes fondateurs établissent clairement la responsabilité en matière d’hygiène de tous les acteurs de cette chaîne, donc des transporteurs. Les textes européens sont complétés par la législation nationale, à commencer par l’arrêté n° 0303 du 31 décembre 2009 qui fixe entre 0 °C et 2 °C la température de la glace fondante.

Pour remplir ces obligations de résultats, l’accord sur le transport de denrées périssable (ATP) porté par l’Organisation des Nations Unies (ONU) détermine les moyens à utiliser pour que les produits soient transportés dans de bonnes conditions dès lors que la distance excède 80 km. Les exigences techniques qu’il fixe, notamment en matière de production du froid, sont réexaminées tous les ans pour tenir compte des évolutions technologiques — comme l’arrivée des remorques équipées de plusieurs compartiments à températures différentes. En France, c’est le laboratoire Cemafroid qui est agréé pour certifier la conformité technique des équipements de refroidissement des véhicules. La certification est valable 12 ans avec des contrôles techniques à 6 et 9 ans. L’ATP a été ratifié par une cinquantaine de pays. Mais en Europe, seuls la France, l’Espagne, l’Italie et le Portugal l’ont signé. Les flux transfrontaliers doivent donc s’y conformer. « Cela pose néanmoins un souci de compétitivité car une remorque réfrigérée certifiée ATP coûte 20 % de plus », calcule Valérie Lasserre, déléguée générale de l’Union nationale du transport frigorifique (UNTF).

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