L'exercice le plus périlleux consisterait aujourd'hui à définir avec précision le concept de logistique. Englobant « le mouvement et la manutention des marchandises du point de production au point de consommation ou d'utilisation », elle laisse place à toute une série d'opérations dont on perçoit de moins en moins les limites.
« Lorsque nous parlions logistique, il y a quelques années, rappelle Elizabeth Codevelle, secrétaire générale du Syndicat des Industries de Matériels de Manutention, elle faisait partie intégrante de l'entreprise ». De l'approvisionnement en matières premières jusqu'à la distribution des produits finis, généralement, toutes les opérations intermédiaires étaient intégrées, y compris souvent le transport. Puis, depuis une quinzaine d'années, une inversion de tendance s'est opérée. « Les industriels, poussés par la concurrence, ont commencé à se concentrer sur leur « coeur de métier », explique Elizabeth Codevelle, et ont décidé de sous-traiter une partie de leur logistique, amont et aval. Je dis bien une partie car, soyons logiques, la logistique ne peut pas être à la fois « stratégique », comme ont l'entend souvent, et être sous-traitée en totalité. En fait, plus nous allons vers des flux tendus, plus nous constatons que la chaîne logistique s'externalise. Mais, étape par étape et jamais totalement, les entreprises souhaitant garder la maîtrise de leur logistique ».
Les flux tendus impliquant une organisation de transport parfaitement maîtrisée, il était logique que le secteur industriel commence par externaliser leurs parcs intégrés, pénalisés par une réglementation inadaptée les contraignant à transporter les seules marchandises issues de leur production. Par ailleurs, la gestion d'une flotte en propriété induisait une immobilisation de fonds propres que les entreprises ont ainsi pu récupérer pour les investir dans leur « core business ».
Et, progressivement, les transporteurs routiers se sont ensuite immiscés dans la chaîne logistique de leurs clients. Assimilés à du stock roulant, les flux tendus ont, petit à petit, conduit les opérateurs de transport à s'intéresser aux opérations de magasinage. Le stockage et les manutentions qu'il sous-tend, puis la gestion des stocks et la préparation des commandes ont, à leur tour fait l'objet, d'un mouvement de transfert.
« Si la tendance est à l'externalisation, poursuit Elizabeth Codevelle, c'est essentiellement pour bénéficier de gains de productivité. On a en effet constaté qu'en amont et en aval d'une logistique intégrée, il restait beaucoup de points de productivité à gagner. Alors on s'est intéressé à gérer l'ensemble, dans un seul et même concept: la supply chain ou, plus simplement, la chaîne logistique du fournisseur au client du client. Mais l'organisateur de la supply chain reste le donneur d'ordres car c'est lui qui veut, en fin de comptes, gagner des points de productivité ».
Corollaire de ce processus d'externalisation, on a assisté au développement du rôle des transporteurs: au stockage et à la préparation de commandes sont venus s'ajouter, progressivement, le co-packing, le post-manufacturing, la préparation de cross-docking, etc. Les transporteurs, aujourd'hui, sont en mesure d'offrir une somme de prestations à valeur ajoutée qui relèvent du sur mesure et dont certaines sont pour le moins originales... On a ainsi vu le groupe Mory assembler, pour le compte de l'importateur, les motos Honda que le transporteur recevait en CKD. Bils Deroo qui stocke les pare brise d'un client constructeur, les livre pré-encollés à l'usine voisine prêts à être montés. Un autre, qui stocke des pneus pour un manufacturier, les fournit au constructeur installés sur leurs jantes.
« Les entreprises sont à peu près toutes orientées vers la gestion étendue des flux de marchandises », poursuit Elizabeth Codevelle. « Les flux amont, la logistique des fournisseurs, l'aval et celle des clients. Il est clair que la logistique fait à présent partie intégrante du produit, elle est un service associé. Et l'industrie de la manutention est aujourd'hui au coeur de la logistique. Elle en est l'outil principal. N'oublions pas que la manutention est un moyen d'accélération des flux qui, justement, permet à l'entreprise de gagner en productivité et en réactivité qui sont deux demandes essentielles des donneurs d'ordre ».
Certes. « Mais ce qui constitue notre "richesse ", objecte Gilles Barbier, responsable de la communication chez Géodis Logistique, ce n'est pas tant nos 2 millions de surface d'entreposage, l'importance du parc de véhicules dont dispose le groupe ou la capacité de traitement du matériel automatisé. La performance logistique réside dans le savoir-faire des hommes, dans la conception des tâches. Tout repose aujourd'hui sur la puissance des moyens d'information, de communication et de transfert des données. Quelle que soit l'entreprise, un engin de manutention aura le même usage. Sauf s'il évolue dans un entrepôt informatisé où les moyens de manutention disposent d'informatique embarquée et sont reliés par radio fréquence ». L'entreprise, en effet, a annoncé, début septembre, qu'elle se dotait des solutions de Supply Chain Management proposée par Manugistics, l'un des principaux éditeurs mondiaux de logiciels dédiés. « La mutation de notre métier de prestataire logistique s'accélère, notait à cette occasion, Eric Hémar, P-dg de la société. Nous sommes passés en quelques années du stade de gestionnaire d'entrepôts à celui de gestionnaire de supply Chain pan-européen et mondial ».
Il faut donc considérer aujourd'hui qu'une organisation logistique repose sur deux pôles essentiels : la gestion des flux physiques et la gestion des flux d'informations, l'une pilotant l'autre. La première sur des matériels « mécaniques » l'autre sur des systèmes informatiques, évoluant en parallèle. Et à quel rythme!
Selon les indicateurs conjoncturels du Simma, l'an dernier « et pour la deuxième année consécutive, la manutention s'est démarquée très nettement de son secteur de référence, les biens d'équipement mécanique, avec un taux de croissance trois fois supérieur ». Le marché intérieur a représenté 23,1 MdF, soit une augmentation de 11,2 % en francs courants. Il se répartit entre 6 branches principales: le levage dont la part de marché représente 29 %, la manutention continue (17 %), les chariots automoteurs (31 %), les chariots manuels (6 %), le matériel de stockage (9 %) et les robots ou automatismes (8 %).
« Au total, l'année 1999 s'inscrit définitivement comme l'année du plus haut niveau du marché avec deux records , souligne-t-on au Simma : franchissement de la barre des 46 000 chariots livrés et, sous l'effet de la poussée des chariots thermiques, l'approche des 50 000 engins en commande, ce qui serait annonciateur du franchissement de ce plafond mythique dés cette année ».
Pour les engins de manutention continue, les facturations, en 1999, s'inscrivaient en baisse de 13 % par rapport à l'année précédente, selon l'enquête du Simma. Il faut y voir sans doute les effets de la concurrence qui est faite dans ce domaine par les chariots automoteurs.
Les engins de levage industriel, en revanche, connaissent une bonne croissance dans la plupart de leurs composantes tandis que les ventes de grues sont parties à la baisse. A l'exception des engins de levage manuel et des tables élévatrices qui sont en baisse de 10%, tous les autres matériels sont en progression: levage motorisé, hayons élévateurs, accessoires. Le Simma accorde une mention spéciale aux ponts roulants, notamment les ponts spéciaux, et aux nacelles élévatrices dont les ventes sont exponentielles à la suite d'une nouvelle réglementation technique.
Pour le stockage, selon cette même enquête, la facturation en ce qui concerne les rayonnages, la hausse légère enregistrée en 99 occulte en fait une baisse pour la majorité des constructeurs. Ce recul fait suite à une année de rattrapage par rapport à l'année creuse qu'a été 1997. Les marges des fabricants se sont dégradées en raison de la hausse du prix des aciers qui n'a pu être répercutée sur les prix de vente. « Mais les perspectives de développement que laisse entrevoir l'ouverture de nouvelles plates-formes rendue nécessaire par la montée en puissance du commerce électronique devraient relancer le marché ».
Par ailleurs, la mise ne place de l'e-commerce est à l'origine du formidable développement enregistré par tous les systèmes informatiques sur lesquels reposent aujourd'hui toute organisation logistique. Les chiffres donnent le vertige. I2 Technologies, l'un des éditeurs leaders de progiciels SCM (Supply Chain Management) a annoncé, l'an dernier des résultats records avec un chiffre d'affaires de 369,2 millions de dollars et enregistre une progression de 55 % par rapport à l'année précédente. Sur le seul 4e trimestre, Oracle Corporation déclarait un bénéfice net de 498 millions de dollars, en progression de 80 % par rapport à la période de référence de l'année précédente. PeopleSoft enregistrait des revenus globaux en croissance de 42 % et des ventes de licences étaient en augmentation de 83 % entre le troisième et le quatrième trimestre de l'année dernière. Symix a atteint les 787 MF dont 40 en France. Et ce n'est pas fini!
En 1997, le marché mondial des logiciels SCM était estimé à 1 820 millions de dollars. Il devrait atteindre 5840 millions de dollars cette année et 10 420 millions de dollars en 2002 . En France, à la même époque, le marché représentait 90 MF. Il est passé successivement à 170 MF en 98 (+ 88,9 %), à 280 MF en 99 (+ 64,7 %) et devrait atteindre 520 MF cette année, soit une progression de 85,7 %. En 2002, les ventes de licences, support et maintenance compris, devraient représenter 1160 MF.
Selon Pierre Audrain, directeur associé du cabinet Pierre Audouin Conseil, qui analysait cette évolution du marché dans un article publié par notre confrère Logistiques Magazine, le taux de croissance du marché se maintient à 53% depuis 1998. Les ventes de licences de progiciels SCM devraient continuer à progresser de 40% par an jusqu'en 2002, date à laquelle elles pourraient marquer un fléchissement...à 30%.
Après l'euphorie des années passées fabricants de matériels de manutention et concepteurs de systèmes informatiques dédiés aux applications logistiques s'attendent à un tassement de leurs activités. Deux raisons à cela: d'un part, en ce qui concerne les logiciels, on devrait atteindre le point culminant et « les éditeurs déploieront leurs solutions chez leurs clients, explique Philippe Audrain. Ils chercheront à soutenir la croissance du marché en améliorant la qualité des produits et en intégrant de nouvelles fonctions. » D'autre part, parce que, parallèlement, on assiste à des retours en arrière et matière de sous-traitance logistique et aux prémices d'une certaine désillusion comme le souligne Luc Marcus, président de Exe Technology. « Apparue, il y a 10 ans, la sous-traitance s'est amplifiée au cours des 5 dernières années. A présent, nous avons suffisamment de recul pour analyser le phénomène. Certaines entreprises qui recherchaient une meilleure qualité et une réduction significative des coûts trouvent, in fine, les résultats peu probants. En réalité, on commence à s'apercevoir que la sous-traitance peut s'appliquer à une partie seulement de l'activité et qu'il ne s'agit pas d'une solution miracle de toutes les circonstances. Il y a eu les déçus du tout automatique, il peut y avoir les désenchantés de l'externalisation à outrance. Le marché devient adulte, tout simplement, et commence à peser le pour et le contre ».
Afin d'orienter les formations en matière de transport/logistique, le Groupe AFT-Iftim a réalisé une étude auprès de 600 entreprises égales ou supérieures à 100 salariés opérant dans quatre secteurs principaux: l'agro-alimentaire, le commerce, la construction automobile et les industries chimiques.
Il ressort de cette étude que 86% des entreprises contactées sous-traitent tout ou partie de leur logistique. Elles étaient 79% lors de l'enquête effectuée l'année précédente et 60% l'année avant.
Les opérations logistiques le plus fréquemment sous-traitées sont:
le transport. 85% des entreprises interrogées déclarent sous-traiter partiellement leurs opérations de transport contre 79% l'année précédente. 56% des entreprises qui ont répondu à l'enquête sous-traitent la totalité de leurs transports.
le stockage/entreposage: 70% des entreprises sous-traitent partiellement leur stockage et 30% intégralement. Mais ces pourcentages varient sensiblement en fonction des secteurs concernés. 14% des entreprises du secteur automobile le sous-traitent intégralement, 19% des entreprises du secteur agro-alimentaire, 25% des entreprises du secteur de la chimie et 38% des sociétés commerciales.
Manutention. 7% des entreprises interrogées sous-traitent la manutention et la conduite des engins spécialisés.
commandes. 5% des entreprises sous-traitent leurs préparations de commandes
conditionnement. 3% des entreprises sous-traitent l'emballage au profit de prestataires extérieurs.
La plupart de ces entreprises estiment que la part de ces opérations qu'elles confient à des prestataires extérieurs devrait rester relativement stable, à l'exception de l'entreposage sous-traité qui devrait augmenter, principalement dans le secteur agro-alimentaire et la chimie.