République Tchèque, Estonie, Hongrie, Pologne, Slovénie et Chypre. Ces six pays actuellement demandeurs d'une adhésion à l'Union Européenne constituent « le Groupe du Luxembourg ». Les négociations en vue de leur entrée dans la Communauté n'aboutiront pas forcément en même temps et dépendent largement de leur capacité à intégrer la législation de l'Union européenne (les fameux « acquis communautaires »). Cependant, la Commission Européenne, dans son livre blanc, a déjà mis en garde le Conseil et le Parlement contre les conséquences de cette ouverture : « malgré les progrès significatifs réalisés par les pays candidats au cours des dernières années, un écart important demeure dans leur niveau de développement des systèmes de transport ; dans le routier, la question la plus délicate concerne les différences de coûts salariaux au niveau des conducteurs ; enfin, les véritables difficultés d'intégration sont certainement dans l'acquis à venir, d'autant que les insuffisances administratives et le manque de contrôleurs en particulier sont importants. »
Les transporteurs français, qui ont vécu la mise en place de la libéralisation du cabotage en 1998, savent déjà à quoi s'en tenir. « Je ne crains pas la concurrence quand les concurrents sont placés sur un strict pied d'égalité pour remporter les appels d'offres, insiste René Petit, président de la FNTR. Mais ce qui me préoccupe, ce sont les conditions dans lesquelles les ressortissants des pays de l'Europe centrale et orientale vont pouvoir, une fois entérinée leur adhésion à l'UE, exercer leur métier sur le territoire de l'Union élargie. Et plus particulièrement en France, via le libre cabotage routier »
La nature des relations bilatérales entre la France et les pays candidats montre bien que cet avertissement n'est pas vain.
« D'ores et déjà, on peut constater que la part de marché des transporteurs français dans les relations bilatérales avec les PECO sont particulièrement faibles », note Chantal Lezineau, adjointe au délégué général de l'AFTRI. Elle est de 9 % en Pologne, de 5 % en Tchéquie et de 20 % en Hongrie où on réalise encore de bonnes performances. Les chiffres ont baissé de façon importante depuis deux ou trois ans, puisqu'à la fin des années 1980, on était plutôt dans une fourchette de 13-15 %.
Pour éviter une plus grande hémorragie, les transporteurs routiers européens exigent la mise en place de garde-fous juridiques, s'inspirant largement des procédures actuellement en vigueur avec les PECO. Car cela fait maintenant plusieurs années que l'Union européenne a ouvert des négociations avec ces pays. Un accord a même été conclu avec la Slovénie qui permet le libre transit de chaque côté de la frontière. Pour les autres, l'accès aux marchés européens est couvert, soit par des accords nationaux bilatéraux, octroyant un nombre de permis sur base de réciprocité, soit par le quota multilatéral de la CEMT (Conférence Européenne des Ministres des Transports). Une bonne partie des transports avec les Pays de l'Est se fait aujourd'hui sous autorisation CEMT. Cela permet des liaisons triangulaires, même si ces autorisations sont délivrées en fonction de contraintes environnementales (entre les camions traditionnels, les camions verts à autocollant E ou U et les camions plus verts et sûrs à autocollant S).
Mais faut-il que ces pays intègrent le plus rapidement possible l'ensemble de l'acquis communautaire et bénéficient de ce fait de plein droit de la libéralisation du cabotage en Europe? Ou bien faut-il développer un système qui permettrait d'ouvrir progressivement le marché intérieur aux transporteurs des pays candidats en fonction de la transposition effective de l'acquis ? La deuxième hypothèse a la préférence de la plupart des actuels Etats membres de l'Union européenne. Et même les pays candidats semblent se rallier à cette idée. L'Estonie et la Hongrie demandent que l'acquis concernant l'harmonisation fiscale soit reporté au delà de leur adhésion. La Pologne et la Hongrie sollicitent des périodes de transition en ce qui concerne les poids maximum autorisés par essieux, pour adapter leurs infrastructures. Chypre prévoit des difficultés pour l'application du règlement 38-20 sur le chronotachygraphe et la Hongrie estime avoir des problèmes pour l'application de l'acquis sur les conditions d'accès à la profession. Dans la pratique, seule la Slovénie semble prête à intégrer les acquis « moratoires ». Lesquels se traduiront dans les faits par l'impossibilité, pour ces pays, de bénéficier de la règle du marché libre. Le cabotage leur est donc en principe interdit dans un premier temps. « On adoptera certainement un système de contingent communautaire avec des autorisations à temps, prévoit Jacques-Henri Garban, délégué général de l'AFTRI. On y ajoutera probablement des critères qualitatifs sur l'état des véhicules. Mais ce système posera un énorme problème : celui du statut et de la gestion des opérations faites en continuité des opérations internationales, qui s'assimilent peu ou prou à des opérations de cabotage. » Une interrogation sur laquelle personne n'a encore apporté de réponse.
L'Officiel des Transporteurs Magazine : Quelle est la position de la Commission sur les modalités d'intégration des pays candidats ?
Jacques-Henri Garban : Le dossier sur l'élargissement est actuellement entre les mains, non de la direction générale Transport et Environnement, mais de celle chargée de l'élargissement. Cette direction aborde le problème du transport routier sous un angle purement technique. Il semble bien que ce volet ne la passionne guère et qu'elle n'a pas pris pleinement conscience des enjeux sous-jacents.
L'O.T.M. : Quel risque pressentez vous pour les transporteurs routiers internationaux français ?
Jacques-Henri Garban : On nous dit à Bruxelles que la France est beaucoup plus à l'abri que l'Allemagne, puisqu'elle ne possède pas de frontières avec les PECO. Mais ce jugement hâtif est sans fondement. Dans la compétition internationale, le transport français a un talon d'Achille, le social, qui rend notre marché potentiellement fragile. Alors s'il est vrai que certains pays ont fait des progrès en la matière, nombre d'entre eux ont encore des pratiques sociales fortement discriminatoires. Les parts de marché des transporteurs français à l'international ont baissé de 9 % et nous sommes bien placés pour constater que la vente des carnets TIR en France recule sensiblement.
L'O.T.M. : Pensez-vous que l'idée de prévoir une période de transition avant d'ouvrir le marché européen aux transporteurs des PECO soit la meilleure solution ?
Jacques-Henri Garban : C'est actuellement le grand discours à la mode. Certains commissionnaires français, très implantés dans les pays de l'Est, appuient fortement ce type de demande. La position de l'AFTRI est intangible : il n'est pas question d'ouvrir les portes du marché communautaire, sans harmonisation des systèmes de contrôle et sans application de l'acquis communautaire, notamment sur le social. Et j'entends au niveau social, la prise en compte des rémunérations des chauffeurs.