De sa production à sa livraison parfois jusqu’au consommateur final, la maîtrise de la température positive ou négative d’un produit couvre son transport et ses éventuelles ruptures de charge lors d’opérations de groupage/dégroupage. La capacité à la tracer et à la contrôler de façon fiable est d’ailleurs l’un des critères dans les cahiers des charges transport des chargeurs de fret thermosensible pour sélectionner leurs transporteurs routiers, de surcroît dans les filières pharma-santé ou dans certains segments agroalimentaires. Or, sur les chaînes logistiques concernées, l’interprétation et la collecte de la donnée « température » est souvent à l’origine de divergences de méthodes ou de pratiques entre donneurs d’ordres, expéditeurs, destinataires, transporteurs et logisticiens. Ces divergences sont parfois sources de litige lors des opérations de ramasse et de livraison par les transporteurs. Pour les prévenir, La Chaîne logistique du froid, qui rassemble l’Usnef(1), l’UNTF(2) et Transfrigoroute France avec le concours du Cemafroid et les structures représentatives des chargeurs concernés, œuvre à définir de bonnes pratiques et des protocoles avec le vœu d’être reconnus par tous les maillons. « Ces travaux ont donné naissance aux bonnes pratiques pour le chargement de surgelés ou au Protocole pour une tolérance des températures des produits réfrigérés à la livraison », valorise Valérie Lasserre, déléguée générale de La Chaîne logistique du froid.
C’est dans cette démarche collaborative et pédagogique que s’inscrit la récente étude scientifique sur la traçabilité des températures pendant le transport. Son objectif est d’évaluer l’impact des variations de la température d’air dans les engins de transport de produits frais, dues aux ouvertures de portes du véhicule notamment, sur la température des produits transportés. À l’initiative de Transfrigoroute France avec le concours de la Direction générale de l’alimentation (DGAL) cofinanceur et du Cemafroid, chargé de la mener, ses conclusions visent « à prévenir les risques de conflit lors des opérations de ramasse et de livraison, à déterminer la corrélation entre les températures de l’air et des produits pour, au final, limiter les refus à tort de produits conformes ou, pis, éviter l’acceptation à tort de produits non conformes », explique Valérie Lasserre.
Un enjeu de taille, sachant que la traçabilité des températures pendant le transport est soumise à une double obligation pesant sur les transporteurs, « de résultats en termes de maintien et de suivi des températures au regard de textes européens et nationaux en vigueur (paquet Hygiène, règlement 853/ 2004, arrêtés ministériels du 21 décembre 2009, du 8 octobre 2013) et de moyens (conformité technique AFT) ». Reconnus pour leur pertinence depuis plus d’une vingtaine d’années pour certains, ces textes ne précisent pas comment respecter ces obligations et les moyens pour y parvenir. Ils renvoient parfois à des normes, comme le règlement 37/2005 qui impose de suivre et d’enregistrer la température de l’air pour le transport d’aliments surgelés destinés à l’alimentation humaine (hors distribution locale définie par l’arrêté ministériel du 2 février 2015). Pour respecter cette obligation, ledit règlement précise que pour suivre et enregistrer la température de l’air, les enregistreurs, capteurs et autres thermomètres utilisés ainsi que leur étalonnage doivent être certifiés sur la base des normes EN 12830, EN 13485 et EN 13486.
Au moyen d’un questionnaire, la première étape de l’enquête a sondé une vingtaine de transporteurs spécialistes du transport de produits frais sous température dirigée. Les réponses obtenues ont permis de dresser plusieurs constats. « Si de nombreux transporteurs enregistrent régulièrement les températures durant le transport, le choix et la maîtrise des moyens de mesure, leur traçabilité et leur suivi méthodologique ainsi que leur utilisation restent perfectibles. C’est en particulier le cas lors des contrôles contradictoires de températures aux interfaces de transport lors des chargements et des déchargements des marchandises », indique Gérald Cavalier, président du groupe Tecnea-Cemafroid.
Un deuxième enseignement souligne « le manque de procédures robustes de mesure des températures, l’inadéquation des outils, la formation insuffisante des conducteurs qui nuisent à l’efficacité des contrôles et ne permettent pas toujours d’ôter le doute sur la température des produits au chargement et/ou la qualité des opérations de transport laissant ainsi un nombre trop important de refus de produits conformes qui sont inutilement détruits ». Ce sondage révèle enfin que si les transporteurs font face à des refus de réception de marchandises à la livraison, eux-mêmes ne refusent que très rarement de charger en amont des produits dont la température ne respecte pas la réglementation sur les denrées périssables. En conclusion de cette première partie de l’enquête, la performance des transporteurs est jugée « bonne avec un nombre peu élevé de vrais accidents ». Les constats dressés montrent aussi « une marge de progression pour réduire les pertes, augmenter la confiance des clients et continuer à assurer la sécurité alimentaire des produits transportés », note Gérald Cavalier.
Un second volet de l’enquête s’est appuyé sur l’analyse de tournées en conditions réelles de produits frais agroalimentaires palettisés entre mai et juin 2018 à Paris et à Bordeaux à l’aide de porteurs et semi-remorques frigorifiques. Objectif de ces pilotes : mesurer l’impact des variations de la température d’air dans les engins de transport de produits frais, dues notamment aux ouvertures de portes du véhicule, sur la température des produits transportés.
En hauteur et proche du sol dans les caisses des véhicules, cette campagne de mesures des températures a été conduite par le Cemafroid avec le concours de STEF, STG, Carrier Transicold, Thermo King et Petit Forestier. Au total, 520 livraisons ont été analysées au moyen de différents instruments et capteurs d’ouverture de portes, de température prise à l’avant et à l’arrière de la caisse, sondes à inertie et de géolocalisation. À l’issue de cette campagne, plus de 1,5 million de températures ont été enregistrées. Pour 67 % des livraisons, les températures d’air dans la caisse ne dépassent pas 6 °C ; les consignes de températures sont donc respectées et les produits demeurent conformes. Dans 31 % des cas, malgré des dépassements ponctuels de la température d’air au-dessus de 6 °C (limite réglementaire), les produits restent également conformes en température. Pour seulement 1,7 % des livraisons, on observe en revanche un dépassement de la température de 6 °C des produits lors de dépassements ponctuels de la température d’air supérieurs à 6 °C.
En conclusion de cette campagne de mesures, le Cemafroid relève que dans la majorité des cas (98,3 %), les produits restent en température pendant le transport et à ses interfaces (chargements et déchargements), même lors de dépassements ponctuels de la température d’air de 6 °C dans la caisse. « Ces résultats sont obtenus sous réserve de respecter de bonnes pratiques sur toute la chaîne », insiste Valérie Lasserre.
Parmi ces bonnes pratiques, la déléguée générale de La Chaîne logistique du froid cite « le prérefroidissement de la caisse du véhicule, l’arrêt du groupe lors des ouvertures de portes ainsi que lors des chargements et déchargements », ou encore, « le contrôle et l’assurance que les produits chargés sont à bonne température ». La synthèse des résultats de l’enquête menée par le Cemafroid souligne également que la « qualité de la mesure de température est primordiale » grâce aux instruments utilisés, leur position dans la caisse, la vérification et l’interprétation des données. Le centre d’expertise insiste aussi sur « l’indispensable formation et l’information des personnels » à chaque maillon de la chaîne, conducteurs routiers compris. Il indique enfin que les sondes à inertie permettent d’obtenir des relevés de températures plus proches des températures réelles des produits que les sondes d’air, sans permettre toutefois de régler totalement le souci des interfaces.
Sur la base de ces travaux, La Chaîne logistique du froid prévoit de rédiger un guide de bonnes pratiques à l’attention de tous les maillons de la logistique sous température dirigée. Cette démarche devrait tendre vers l’établissement de « nouvelles règles et méthodes réalistes et communes de suivi des températures pendant le transport », encourage Valérie Lasserre. Ces règles devraient permettre « une contractualisation claire des objectifs, un suivi efficace, des décisions partagées et indiscutables sur la conformité des températures durant le transport afin de diminuer les conflits entre les maillons des chaînes logistiques sous température dirigée et réduire le gaspillage alimentaire ». La validation escomptée de ces règles par la DGAL et les structures représentatives des chargeurs concernées pourrait donner naissance à un protocole interprofessionnel à l’image de celui consacré au contrôle des températures des DAOA réfrigérés au stade de leur livraison et réception. Repris dans la note de service DGAI/SDSSA/2017-425 du 10 mai 2017, ce protocole prévoit que « seuls les thermomètres étalonnés et vérifiés conformément aux normes EN 13485 et EN 13486 peuvent être utilisés par les opérateurs, ce qui exclut de fait les appareils à visée infrarouge ou laser » au profit d’instruments à sonde.
Parmi les autres projets susceptibles d’approfondir l’enquête sur la traçabilité des températures pendant le transport, les membres de La Chaîne logistique du froid envisagent de mener une étude définissant les modalités nécessaires à la construction d’une base de données des enregistrements de température de tous les maillons de la chaîne de livraison.
À l’image du règlement 37/2005 ou de la note de service DGAI/SDSSA/2017-425, plusieurs textes européens et nationaux relatifs au respect et au contrôle des températures pendant le transport imposent la conformité des moyens de mesure utilisés à plusieurs normes. Trois se distinguent dont les normes EN 12830 et EN 13485 qui fixent les caractéristiques techniques et fonctionnelles des enregistreurs et thermomètres de température. S’ajoute la norme EN 13486 définissant les conditions de leurs vérifications et étalonnages périodiques. Jusqu’en 2018, ces trois normes couvraient les enregistreurs et thermomètres destinés à équiper les moyens de transport et de stockage des denrées réfrigérées, congelées et surgelées. Ce périmètre est en passe d’évoluer. Achevé pour la norme EN 12830 et en cours pour les normes EN 13485 et EN 13486, ce changement vise à renforcer le référentiel de chacune imposé aux fabricants d’enregistreurs et de thermomètres connectés, et à étendre leur périmètre à tous les produits thermosensibles, pharma-santé en particulier. Classes de mesures plus précises (0,2/0,5 °C), composants mécaniques (IP et IK), temps de réponse, couverture des logiciels associés… sont quelques-unes de ces évolutions. À la recherche de standards qui couvrent tous les produits thermosensibles, dont pharma-santé, cette réforme vise aussi à prendre en compte les nouvelles technologies informatiques, télécoms, de mesure, etc. susceptibles d’améliorer et d’optimiser le respect, le contrôle et la traçabilité des températures pendant le transport (et stockage). À noter que la plupart des fournisseurs de solutions de traçabilité des températures à l’attention du transport routier fournissent aussi des capteurs, enregistreurs et thermomètres non certifiés pour des flux nécessitant ce suivi sans obligation réglementaire. Tel est le cas du vin, des fleurs ou de certaines références cosmétiques et électroniques.
E. D.
(1) Union syndicale nationale des exploitations frigorifiques
(2) Union nationale du transport frigorifique