Entre Sète et Toulon, DFDS a finalement arbitré en faveur du port occitan pour ses services rouliers non accompagnés entre la France et la Turquie. Illustrant le mouvement de consolidation observé sur l’ensemble de ce marché en Europe, cette décision fait suite à plusieurs transactions récentes menées en Méditerranée par l’armement danois. En juin 2018, il a acquis pour 950 M€ la compagnie turque UN Roro qui, depuis 2011, opérait un service roulier entre Toulon-Brégaillon et Pendik près d’Istanbul. Le 24 mai dernier, cette acquisition a été suivie par la reprise d’Alternative Transport, filiale maritime d’Ekol Logistics. En difficulté financière, celle-ci opérait depuis 2014 une ligne entre Sète et Izmir-Cesme, dont la gestion a été transférée à DFDS au 1er juillet 2019. À partir de cette date, la compagnie danoise a analysé l’offre des deux ports français et testé avec les transporteurs routiers clients de leurs lignes franco-turques un rééquilibrage de leurs services : la desserte de Toulon est alors passée de trois rotations à deux par semaine tandis que celle de Sète passait d’une à deux par semaine.
À la suite de cette période d’essai, l’armement a décidé le 1er octobre de concentrer ses traversées roulières non accompagnées à Sète.
Parmi les raisons motivant ce choix, Lars Hoffmann, responsable de la zone Méditerranée chez DFDS, cite notamment la position « stratégique de Sète pour nos clients car proche de la plupart de nos marchés [espagne, fruits et légumes, Ndlr] » ainsi que ses installations pour le traitement de produits périssables. Lesquelles s’appuient notamment sur un terminal frigorifique exploité par Conhexa, un poste d’inspection vétérinaire et phytosanitaire (PIF-PEC), capable de traiter des noisettes et des pistaches par exemple, et un terminal roulier avec sept postes opérationnels sur trois hectares extensibles à sept. Depuis le 1er octobre, le service roulier opéré à Sète par DFDS a été réaménagé. Avec une fréquence de trois rotations par semaine et un transit-time de trois jours contre six par route, il dessert Yalova au sud d’Istanbul avec des navires d’une capacité jusqu’à 410 remorques. À Sète, les départs sont programmés les mercredis, jeudis et dimanches tandis que les arrivées sont organisées les samedis, lundis et jeudis. Enfin, si sous la bannière d’Alternative Transport, les remorques confiées provenaient pour l’essentiel d’Ekol Logistics, à destination, notamment, de l’Espagne pour le compte du groupe textile Inditex, depuis la reprise du service par DFDS, les traversées sont ouvertes à tous les transporteurs dont à son partenaire Mars Logistics (lire encadré ci-contre).
De 22 000 remorques en 2018, le trafic sétois avec la Turquie devrait au moins doubler en 2019 et dépasser très rapidement 70 000 unités (volume traité par Toulon l’an passé et ne tenant pas compte des projets sétois avec le Maghreb, dont le Maroc). En plus du textile, les produits transportés dans les deux sens sont des pièces automobiles, biens d’équipement et du fret agroalimentaire. Les formalités de dédouanement à l’import sont réalisées avant l’arrivée des navires. Si non anticipées à l’export, elles peuvent être réalisées directement sur le port sétois à l’aide de transitaires locaux. Le déploiement depuis 2015 du Cargo Community System (CCS) AP + facilite en outre le traitement et la traçabilité de toutes les procédures, douanières comprises.
Au-delà de sa position géographique et de ses installations frigorifiques, l’accès à des services intermodaux mer-fer semble aussi avoir été essentiel dans le choix de DFDS en faveur du port languedocien confirmant, une nouvelle fois, que la concurrence entre ports se joue souvent à terre. « Aujourd’hui, plus de 60 % des remorques routières sont transportées vers et depuis les marchés finaux sur des wagons et avec les conducteurs de poids lourds confrontés à des problèmes de visa, cela ne fera qu’augmenter à l’avenir », selon Lars Hoffmann. Sans compter les règles de cabotage dans l’Union européenne. Pour l’heure, elles ne seraient pas toujours respectées sans être sanctionnées faute de contrôles suffisants de l’avis de Marc Grolleau, président de l’AFTRI.
Turcs pour l’essentiel, les transporteurs clients des services rouliers entre la France et la Turquie s’appuient sur une logistique originale. Pendant que leurs remorques voyagent par mer, une partie de leurs conducteurs emprunte la voie des airs jusqu’à Marignane. Acheminés jusqu’au port de Sète, ils y récupèrent un tracteur immatriculé en France ou dans un autre pays européen voire en Turquie, puis leur remorque arrivée par bateau. Une partie des remorques est également tractée jusqu’à leur destination par des transporteurs français et européens ou emprunte le rail.
« Moyen de respecter les règles en matière de cabotage », reconnaît Marc Grolleau, l’offre sétoise de ferroutage non accompagné a été créée il y a trois ans par Ekol Logistics et VIIA, filiale du groupe SNCF. Après des tentatives avortées pour l’heure sur Zeebrugge via Noisy-le-Sec, les navettes ferroviaires relient Bettembourg-Dudelange au Luxembourg, porte d’entrée au marché nord européen, à raison de deux rotations par semaine. « La capacité par voyage et par sens est de 36 remorques et 12 conteneurs 45 pieds. Un projet de nouvelle liaison est à l’étude avec Calais et ouvre de nouvelles perspectives avec le Royaume-Uni », confie Arnaud Rieutort, directeur commercial du port de Sète Sud de France.
Sur les 22 000 remorques réceptionnées l’an passé à Sète de et vers la Turquie, près de 7 000 ont emprunté le rail. Distant d’une centaine de mètres des quais, le terminal ferroviaire actuel est géré par VIIA et les transbordements des remorques sur les trains se font à l’aide de reachstackers. « Démontrant la pertinence et la demande en faveur de ces services multimodaux, les navettes ferroviaires en exploitation affichent d’excellents taux de remplissage dans les deux sens », souligne Sylvie Orgiles Cano, directrice de la société SPS, gestionnaire du terminal roulier est chargée notamment des brouettages et des manutentions pour le compte de VIIA et de DFDS.
Fin 2020, Sète disposera d’un terminal multimodal flambant neuf toujours à proximité des quais maritimes. Représentant un investissement de 6 M€, il sera équipé de trois voies de 330 m de longueur contre deux actuellement. Chacune sera dotée de rampes de chargement capables de manutentionner de façon horizontale sur des wagons surbaissés Modalohr tous les types de remorques, préhensibles ou non. « L’utilisation de ces wagons spécifiques augmentera le nombre de remorques par train et la productivité des opérations avec la possibilité de charger ou décharger trois demi-trains de façon simultanée », confirme Arnaud Rieutort. La capacité de traitement du futur terminal est estimée à 800 remorques et conteneurs par semaine, sachant que le renforcement des services rouliers entre Sète et la Turquie s’accompagne aussi d’un nouveau flux conteneurisé en forte progression. Côté fréquences ferroviaires, l’objectif est de passer à une liaison quotidienne sur toutes les destinations desservies.
Concédée, l’exploitation du terminal fait l’objet d’un appel d’offres en cours, l’opérateur choisi sera appelé à participer au financement des 6 M€.
Aussi performante soit-elle, cette offre multimodale n’absorbera pas la totalité des flux avec la France, l’Espagne et le nord de l’Europe. « À partir de l’escale du navire, les remorques sont prêtes à être enlevées par leurs transporteurs sous un délai de quatre heures », assure Sylvie Orgiles Cano. Pour les flux routiers, Sète est desservie en direct par plusieurs autoroutes que sont l’A9, l’A75 et l’A61. « Des zones d’accueil pour les conducteurs routiers sont accessibles à l’entrée du port avec sanitaires, douches et salles de repos. Sur 8 ha à l’extérieur du port, un nouvel espace est en cours d’aménagement pour les transporteurs routiers en prévision de l’augmentation de l’activité », confie Arnaud Rieutort.
Avec la reprise en 2012 de la ligne roulière de Louis Dreyfus Armateurs (LDA) entre Marseille et Rades en Tunisie, puis d’UN-Roro en 2018 et d’Alternative Transport en 2019, DFDS s’est hissé en quelques années parmi les principaux transporteurs maritimes de remorques routières en Méditerranée en plus de ses positions de leader sur ce marché en Europe du Nord. Dans cette montée en puissance, l’acquisition d’UN-Roro pour 950 M€ a été stratégique en le dotant de 12 navires supplémentaires, d’un réseau de lignes régulières entre la Turquie, l’Italie (Trieste et Bari) et la France (Toulon) et d’installations portuaires à Trieste et à Pendik. UN-Roro a apporté aussi à l’armement danois de solides partenariats dans le combiné rail-route entre Trieste et le nord de l’Europe. Avec le concours de Mars Logistics, CFL Multimodal, filiale des chemins de fer luxembourgeois, et DFDS désormais, l’un d’eux est l’origine d’un service combiné entre le port italien et Bettembourg-Dudelange au Luxembourg opéré en correspondance avec ses lignes maritimes turques. De neuf allers-retours par semaine, la fréquence de ce service combiné acceptant tous les types de remorques, caisses mobiles et conteneurs passera à douze hebdomadaires d’ici fin 2019/début 2020. À Bettembourg, CFL propose aussi des correspondances ferroviaires quotidiennes avec Gand, Anvers et Zeebrugge avec prolongement maritime possible vers le Royaume-Uni et la Scandinavie via Göteborg. Le hub de l’entreprise luxem-bourgeoise est d’ailleurs au cœur du réseau européen ferro-maritime de DFDS destiné aux remorques non accompagnées avec la possibilité de relier la France (Lyon, Le Boulou, Valenton), Espagne (Barcelone) et en 2020, la Pologne (Poznan).
Entre 2010 et 2019, Toulon-Brégaillon a démontré sa capacité et sa fiabilité à traiter un trafic roulier de remorques routières. Sur les huit années d’exploitation de la ligne opérée par UN-Roro puis par DFDS, le port varois recense plus de 525 000 remorques cumulées. Il achève d’ailleurs un investissement de 3,7 M€ dans sa desserte ferroviaire offrant de nouvelles opportunités à des armements maritimes et logisticiens dans le déploiement de flux nord-sud entre la Méditerranée, l’Europe et l’Afrique du Nord. En complément des remorques routières, son terminal roulier permet aussi la gestion de conteneurs, voitures et colis lourds.
Pour Jean-Marc Roué, président du Bureau de promotion du Shortsea Shipping ainsi que d’Armateurs de France et de Brittany Ferries, le potentiel du transport maritime roulier est sous-exploité en France. « Comme le démontrent les services avec la Turquie, l’autoroute de la mer Montoir-Vigo-Tanger-Zeebrugge ou les lignes entre le Royaume-Uni, l’Irlande, l’Espagne et la France, les fréquences et la fiabilité proposées ainsi que la sécurité délivrée aux marchandises comme aux transporteurs routiers s’intègrent idéalement aux chaînes logistiques modernes et durables. » Sur la plupart des axes cités, les services rouliers affichent des transit-times plus courts et de meilleures performances écologiques comparés à des trajets 100 % routiers. Ces qualités environnementales sont appelées à s’améliorer avec l’entrée en flotte de nouveaux navires motorisés au GNL et le renforcement des règles d’émissions dans le transport maritime.